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Mojaisk, 12 septembre 1812.

EXTRAIT DU DIX-HUITIÈME BULLETIN

DE LA GRANDE ARMÉE.

« Le 6, à deux heures du matin, l'empereur par« courut les avant-postes ennemis on passa la journée « à se reconnaître. L'ennemi avait une position très« resserrée.

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« Cette position parut belle et forte. Il était facile de « manœuvrer et d'obliger l'ennemi à l'évacuer; mais cela « aurait remis la partie.

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« Le 7, à six heures du matin, le général comte « Sorbier, qui avait armé la batterie droite avec l'artil«lerie de la réserve de la garde, commença le feu..

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« A six heures et demie, le général Compans est « blessé. A sept heures, le prince d'Eckmühl a son che« val tué..

« A sept heures, le maréchal duc d'Elchingen se « remet en mouvement et, sous la protection de soixante pièces de canon que le général Foucher avait placées « la veille contre le centre de l'ennemi, se porte sur le « centre. Mille pièces de canon vomissent de part et « d'autre la mort.

« A huit heures, les positions de l'ennemi sont enle« vées, ses redoutes prises, et notre artillerie couronne «ses mamelons.

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« Il restait à l'ennemi ses redoutes de droite; le gé«néral comte Morand y marche et les enlève; mais à neuf

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heures du matin, attaqué de tous côtés, il ne peut s'y «< maintenir. L'ennemi, encouragé par ce succès, fit «< avancer sa réserve et ses dernières troupes pour tenter encore la fortune. La garde impériale russe en fait par«< tie. Il attaque notre centre sur lequel avait pivoté notre « droite. On craint pendant un moment qu'il n'enlève le village brûlé; la division Friant s'y porte : quatre-vingts pièces de canon françaises arrêtent d'abord et écrasent « ensuite les colonnes ennemies qui se tiennent pendant « deux heures serrées sous la mitraille, n'osant pas avan«< cer, ne voulant pas reculer, et renonçant à l'espoir de «< la victoire. Le roi de Naples décide leur incertitude; il « fait charger le quatrième corps de cavalerie qui pé«< nètre dans les brèches que la mitraille de nos canons a faites dans les masses serrées des Russes et les escadrons

« de leurs cuirassiers; ils se débandent de tous côtés.

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il est deux heures après midi, toute espérance

« abandonne l'ennemi : la bataille est finie, la canonnade

.

« continue encore; il se bat pour sa retraite et pour son salut, mais non pour la victoire.

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« Notre perte totale peut être évaluée à dix mille hommes; celle de l'ennemi à quarante ou cinquante << mille. Jamais on n'a vu pareil champ de bataille. Sur « six cadavres il y en avait un français et cinq russes. Quarante généraux russes ont été tués, blessés ou pris: « le général Bagration a été blessé.

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« Nous avons perdu le général de division comte « Montbrun, tué d'un coup de canon; le général comte « Caulaincourt, qui avait été envoyé pour le remplacer, « tué d'un même coup une heure après.

« Les généraux de brigade Compère, Plauzonne, « Marion, Huart, ont été tués; sept ou huit généraux ont « été blessés, la plupart légèrement. Le prince d'Eckmühl «< n'a eu aucun mal. Les troupes françaises se sont cou« vertes de gloire et ont montré leur grande supériorité « sur les troupes russes.

« Telle est en peu de mots l'esquisse de la bataille « de la Moskowa, donnée à deux lieues en arrière de Mojaïsk et à vingt-cinq lieues de Moscou.

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L'empereur n'a jamais été exposé; la garde, ni à pied ni à cheval, n'a pas donné et n'a pas perdu un « seul homme. La victoire n'a jamais été incertaine. Si l'ennemi, forcé dans ses positions, n'avait

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pas

voulu les

reprendre, notre perte aurait été plus forte que la

<< sienne; mais il a détruit son armée en la tenant depuis «< huit heures jusqu'à deux sous le feu de nos batteries et « en s'opiniâtrant à reprendre ce qu'il avait perdu. C'est «la cause de son immense perte.

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Ce bulletin froid et rempli de réticences est loin de

donner une idée de la bataille de la Moskowa, et surtout des affreux massacres à la grande redoute : quatre-vingt mille hommes furent mis hors de combat; trente mille d'entre eux appartenaient à la France. Auguste de La Rochejaquelein eut le visage fendu d'un coup de sabre et demeura prisonnier des Moscovites : il rappelait d'autres combats et un autre drapeau. Bonaparte, passant en revue le 61° régiment presque détruit, dit au colonel : « Colonel, qu'avez-vous fait d'un de vos bataillons? — Sire, « il est dans la redoute. » Les Russes ont toujours soutenu et soutiennent encore avoir gagné la bataille : ils vont élever une colonne triomphale funèbre sur les hauteurs de Borodino.

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Le récit de M. de Ségur va suppléer à ce qui manque au bulletin de Bonaparte : « L'empereur parcourut, dit-il, « le champ de bataille. Jamais aucun ne fut d'un si « horrible aspect. Tout y concourait : un ciel obscur, une pluie froide, un vent violent, des habitations en cendres, une plaine bouleversée, couverte de ruines et de « débris; à l'horizon, la triste et sombre verdure des ar«<bres du Nord; partout des soldats errants parmi des « cadavres et cherchant des subsistances jusque dans les << sacs de leurs compagnons morts; d'horribles blessures, «< car les balles russes sont plus grosses que les nôtres; << des bivouacs silencieux; plus de chants, point de récits: «< une morne taciturnité.

<< On voyait autour des aigles le reste des officiers « et sous-officiers, et quelques soldats, à peine ce qu'il en « fallait pour garder le drapeau. Leurs vêtements étaient déchirés par l'acharnement du combat, noircis de « poudre, souillés de sang; et pourtant, au milieu de

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«< ces lambeaux, de cette misère, de ce désastre, un air fier, et même, à l'aspect de l'empereur, quelques cris « de triomphe, mais rares et excités : car, dans cette ar«mée, capable à la fois d'analyse et d'enthousiasme, «< chacun jugeait de la position de tous.

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L'empereur ne put évaluer sa victoire que par les « morts. La terre était tellement jonchée de Français « étendus sur les redoutes, qu'elles paraissaient leur appartenir plus qu'à ceux qui restaient debout. Il sem« blait Ꭹ avoir là plus de vainqueurs tués que de vain« queurs vivants.

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« Dans cette foule de cadavres, sur lesquels il fallait « marcher pour suivre Napoléon, le pied d'un cheval « rencontra un blessé et lui arracha un dernier signe de « vie ou de douleur. L'empereur, jusque-là muet comme « sa victoire, et que l'aspect de tant de victimes oppressait, éclata; il se soulagea par des cris d'indignation, « et par une multitude de soins qu'il fit prodiguer à ce « malheureux. Puis il dispersa les officiers qui le suivaient « pour qu'ils secourussent ceux qu'on entendait crier de « toutes parts.

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« On en trouvait surtout dans le fond des ravines où « la plupart des nôtres avaient été précipités, et où plu« sieurs s'étaient traînés pour être plus à l'abri de l'en« nemi et de l'ouragan. Les uns prononçaient en gémis« sant le nom de leur patrie ou de leur mère : c'étaient les plus jeunes. Les plus anciens attendaient la mort

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d'un air ou impassible ou sardonique, sans daigner implorer ni se plaindre d'autres demandaient qu'on les « tuât sur-le-champ: mais on passait vite à côté de ces

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