Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Louis XVI, sur son conseil, permit à un financier, nommé Besnard, d'en établir une analogue qui, sous le nom de caisse d'escompte, s'engagea à escompter toutes lettres de change et autres effets commerçables, dont les endosseurs lui présenteraient garantie, à un taux maximum d'intérêt de quatre pour cent l'an; et, en outre, à se charger en recette et en dépense des deniers, caisses et payements des particuliers qui le désireraient, et cela sans aucune commission. Une compagnie d'actionnaires, au capital de quinze millions de livres, se constitua sous la direction de Besnard pour exploiter cette banque, et Turgot en rédigea les statuts, qui depuis, ont servi en partie de modèle à l'organisation de la Banque de France.

Cependant l'usure n'était pas le seul fléau du travail et du commerce, en France, tant s'en faut. Le règne de Louis XV avait aggravé tous les procédés fiscaux, même les plus odieux, de l'ancien régime; ainsi, par exemple, la contrainte solidaire par corps, loi cruelle s'il en fût, par laquelle les receveurs de tailles étaient autorisés à choisir plusieurs habitants parmi les plus haut imposés d'une paroisse, pour les contraindre à payer, même par voie de prise de corps, ce que cette paroisse, soit par infidélité, soit par insolvabilité du collecteur, se trouvait devoir sur ses impositions. Cette loi très-ancienne était exécutée par les percepteurs des contributions avec la dernière rigueur, et elle entraînait, dans les campagnes surtout, la ruine des contribuables. Turgot l'abrogea. Il en fit autant de vingt ou trente autres droits établis sur des travaux d'utilité publique ou sur les transactions commerciales, qui étouffaient le développement de l'industrie et de l'agriculturé : convaincu, répétait-il, et avec la plus haute raison,

à Louis XVI, qu'en fait d'établissement et de collection d'impôts, la modération est toujours d'accord avec l'in

térêt.

C'est dans ce même esprit qu'il fit ordonner encore lá suppression de la plus dure et de la plus coûteuse des charges que l'esprit mal entendu de l'administration financière de l'ancienne monarchie eût établies sur le travail de la population: la corvée.

On sait ce que c'était que la corvée, c'était un impôt en journées de travail prélevé sur la partie de la population qui, par sa misère, échappait à l'impôt en argent, pour la confection et l'entretien des grandes routes. L'odieux de la manière dont se percevait cet impôt égalait seul l'iniquité et la maladresse de son institution. Turgot proposa à Louis XVI de le supprimer et de le remplacer par une contribution en argent, payée par tous les propriétaires de biens fonds, nobles et autres, sans exception. Mais ce fut là qu'il éprouva de la part des classes privilégiées, qui vivaient des abus du temps, les premières résistances qu'il avait bien prévues et contre lesquelles il avait si éloquemment supplié Louis XVI de s'armer de fermeté. Un de ses collègues même, le garde des sceaux Miroménil, son ennemi secret, se fit contre lui, dans le Conseil, l'avocat des corvées. Mais Turgot, dans une réponse où la plus vigoureuse dialectique était mise au service de la raison et de l'humanité, réduisit à néant l'étrange plaidoyer de Miroménil, et Louis XVI signa l'édit de suppression, malgré les clameurs de sa cour. Heureux si la noblesse de son cœur eût toujours trouvé cet appui dans l'énergie de sa volonté !

Turgot l'emportait; mais ces réformes, tout impor

tantes qu'elles fussent, n'étaient rien encore en comparaison de celles qu'il avait résolu de réaliser. Il en était quatre surtout dont les temps étaient évidemment venus, et qu'il avait inscrites en tête de son programme, en acceptant le ministère : c'étaient l'abolition des douanes provinciales, l'établissement de la liberté du commerce des blés, celui de la liberté du travail, et enfin la suppres sion de toute exemption, privilége ou inégalité en matière d'impôt.

On se rappelle quelles difficultés de tout genre avait autrefois trouvées Colbert à abolir les douanes provinciales. Bien que tout un siècle se fût écoulé depuis lui, ces difficultés, à l'époque de Turgot, étaient encore immenses. Les prétentions des pays d'Etats, les habitudes commerciales des provinces réputées étrangères, de celles de dernière réunion surtout, comme l'Alsace et la Lorraine, par exemple, étaient toujours de graves obstacles à la réalisation d'une telle entreprise. Turgot le savait. Il n'y a pas de doute qu'il ne fût parfaitement résolu à les briser et à constituer cette unité commerciale de la nation sans laquelle la constitution définitive de son unité politique était imparfaite et le développement harmonieux des éléments divers de sa prospérité, impossible; mais il savait aussi qu'une telle réforme n'était réalisable qu'à mesure, et dans le cours d'un long ministère. Il passa si vite qu'il n'eut le temps que d'y mettre la main; il l'y mit cependant, d'une manière qui témoigne de ce qu'il aurait pu faire en ce genre, s'il eût duré davantage.

Il donnait, comme nous avons vu, dans l'erreur spéculative de Quesnay, qu'il n'y a que la terre qui soit une source effective de richesse; mais cette erreur avait du

moins ce bon effet sur l'esprit de son administration, de le porter à prendre en faveur des campagnes, depuis si longtemps négligées, toutes les mesures de protection dont elles avaient besoin. Il vit à merveille que le premier encouragement à donner à la production des denrées était de faire triompher dans les lois et dans les mœurs le principe de leur libre circulation. Il s'agissait d'abord de faire prévaloir l'intelligence de ce principe dans le conseil de ses collègues : ce fut, avec l'aide de Malesherbes, par où il commença; puis, cette victoire obtenue, il se hâta d'appliquer la doctrine aux deux grandes productions agricoles du royaume, les vins et les blés.

La libre circulation, la libre vente et le libre achat des vins étaient entravés par mille droits féodaux, ou mille priviléges de villes dont l'extravagance seule égalait le poids. Ainsi, par exemple, les vins du Languedoc n'avaient pas la liberté de descendre la Garonne avant la Saint-Martin, et il n'était pas permis de les vendre avant le premier décembre. Ainsi encore, les propriétaires de la sénéchausssée de Bordeaux étaient en possession du pouvoir d'interdire la consommation et la vente, dans la ville de Bordeaux, de tout autre vin que celui du cru de la sénéchaussée. Les propriétaires bordelais s'appuyaient, pour la conservation de leur privilége, d'un parchemin du temps de Louis XI. Des abus de même genre désolaient le commerce et décourageaient la culture de tous les vignobles. Turgot, d'un coup, les raya tous et ordonna la liberté entière de la circulation des vins. Les Parlements de Bordeaux et de Provence refusèrent d'enregistrer son édit; mais il allait les y obliger, quand il tomba.

La question du libre commerce des blés était tout aussi

urgente et bien autrement complexe; elle le trouva aussi résolu, et, chose peu remarquée, mais qui mérite infiniment de l'être, aussi modéré, quelque attachement qu'il eût d'ailleurs aux théories de Quesnay, que la critique économique la plus sévère aujourd'hui le peut exiger. C'est qu'il avait alors la main aux faits, ce qui est tout autre chose que de l'avoir à la plume.

Sa situation était grave en matière de subsistances. Comme autrefois Colbert, à son entrée au Conseil et pour ses débuts d'administration, il se trouvait en face d'une disette. La récolte de 1774, du moins, avait été insuffisante; le pacte de famine, qui continuait toujours ses ténébreuses et abominables manœuvres, en avait profité pour spéculer sur les blés, et, bien que la quantité réellement existante des grains eût été peut-être, si elle eût été toute jetée sur le marché, suffisante à prévenir une hausse excessive, les accapareurs, d'une part, les propriétaires timides, de l'autre, raréfiaient la marchandise à ce point de faire craindre une famine.

Turgot tout d'abord trancha dans le vif: il fit rendre un arrêt du Conseil, précédé d'un préambule explicatif qui est resté l'œuvre la plus élevée qu'ait produite en cette matière l'économie politique, et par lequel, après avoir ordonné la liberté absolue du transport des grains et des farines dans l'intérieur du royaume, il fit savoir que l'Etat, se reposant, pour conjurer la disette, sur l'intelligence et sur l'activité du commerce, n'interviendrait en rien dans ses transactions, que pour les faire respecter.

Mais cela ne suffisait pas les pratiques des accaparements et les fausses manœuvres de l'ignorance et de la peur n'étaient pas conjurées par cette grande mesure.

« ZurückWeiter »