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Un ouvrier me raconta qu'un jour un de ses camarades, qui, distrait par son voisin, ne suivait pas l'opération, avait été surpris par le métal en fusion. Le malheureux jeta un cri et tomba comme un arbre qu'on pousse : il avait les deux pieds coupés au-dessus de la cheville. Quant aux membres absens, on chercha à en retrouver quelque trace dans la lave: la lave les avait dévorés, et il n'en restait aucun vestige.

A la fin de ce récit, je fis remarquer à Jadin que la demi-heure que nous avait demandée notre hôte pour la préparation de notre souper était plus qu'écoulée, et nous prîmes congé de M. Zeni, en le chargeant de nos complimens pour toutes ses machines.

En revenant nous vîmes force groupes; Cosne paraissait dans une agitation tout-à-fait anormale. Toute ville de province de bonnes vie et mœurs doit se coucher à neuf heures du soir : il en était près de dix, et toutes les

boutiques de la ville étaient ouvertes, tous les habitans étaient dans les rues. Nous nous informâmes de ce qui causait un mouvement si extraordinaire, et nous apprîmes que le docteur M., le même qui était accusé d'empoisonnement sur la personne de sa femme et de son enfant, venait de se suicider dans sa prison én s'ouvrant l'artère crurale. Cette nouvelle réhabilita Cosne dans notre esprit. Il y avait effectivement dans un semblable événement de quoi tenir une ville de six mille âmes éveillée une demi-heure de plus que d'habitude.

En rentrant à l'hôtel, nous trouvâmes Ambroise R., qui, ayant appris notre arrivée, nous attendait. Nous lui offrîmes de partager notre souper; mais il refusa : le cadavre du docteur M., dont il venait, appelé par les autorités, de constater l'identité, lui avait ôté l'appétit.

Nous lui demandâmes alors par quel ha

sard il se trouvait mêlé comme témoin dans cette horrible affaire, et il nous raconta une de ces histoires étranges desquelles ressortent toutes les bizarreries de la perversité et de la faiblesse humaines.

Le docteur M. habitait un village à deux ou trois lieues de la campagne d'Ambroise : ils étaient liés depuis long-temps, presque amis de collége, et se voyaient autant que la distance et leurs affaires réciproques le per

mettaient.

Le docteur avait épousé une jeune fille des environs, qui lui avait apporté en dot une centaine de mille francs, dont elle lui avait fait donation par son contrat de mariage, au cas où elle mourrait sans enfans. Au bout de dix mois, la jeune femme accoucha d'une fille, et l'époux et le père parurent aussi joyeux l'un que l'autre.

Trois ans s'écoulèrent. Tout-à-coup on

entendit dire que madame M. venait de mou

rir subitement. On courut à la maison mortuaire, comme c'est l'habitude en province; on trouva le mari désolé : il tenait sa fille embrassée, et disait que sa fille seule pouvait lui faire supporter la vie.

Trois mois après, l'enfant tomba malade à son tour, et, quelques soins que lui prodiguât son père, elle mourut. Pendant trois mois, à dix lieues à la ronde, on ne parla que du malheur du pauvre docteur M. fut long-temps sans paraître même chez ses meilleurs amis, et lorsqu'on le revit, chacun le trouva horriblement changé. Au reste, l'intérêt que chacun lui portait fut profitable à sa fortune; en moins d'un an sa clientelle doubla.

Il y avait dix-huit mois à peu près que le docteur M. avait perdu sa femme, lorsque celle d'Ambroise, qui depuis quelques jours n'attendait plus que le moment d'accoucher, se sentit prise de douleurs. Ambroise monta aussitôt à cheval, et courut à fond de train

chercher le docteur M. Le docteur M. monta à cheval et revint avec lui à Marsilly. C'était vers les deux heures de l'après-midi.

Le travail dura jusqu'à sept heures du soir; à sept heures du soir, la femme d'Ambroise accoucha d'une jolie petite fille. En voyant l'enfant, le docteur M. faillit se trouver mal. On pensa que cette vue avait rappelé au pauvre père la perte qu'il avait faite, et que la joie de son ami avait redoublé sa douleur.

A dîner, le docteur mangea à peine. Vers les neuf heures, le domestique d'Ambroise, qui en avait reçu dans la journée l'ordre du docteur lui-même, lui sella son cheval, et vint lui annoncer que, s'il voulait retourner chez lui, sa monture était prête. Le docteur se leva, puis presque aussitôt se rassit en pâlissant. Ambroise vit le mouvement; il lui prit la main. Sa main était froide, et cependant de grosses gouttes de sueur roulaient sur

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