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tanés des passions n'en peuvent dénaturer l'essence. Soyons justes, faisons la part de la folie et de la perversité dans les oeuvres humaines; mais réservons aussi celle de la raison et de la vertu ne sait-on pas qu'on peut extraire des substances les plus douces des liqueurs enivrantes jusqu'à la fureur?

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On ne saurait trop le redire, les effets de cette grande révolution sont présens et nous touchent la cause en est éloignée; nous ne pouvons plus ni l'atteindre, ni changer sa nature, et nous nous obstinons à considérer ses effets comme s'ils étaient la cause ellemême. Cette erreur est surtout remarquable dans les efforts que presque tous les gouvernemens ont tenté pour restreindre le libre usage des feuilles publiques, dont la multiplication prodigieuse est devenue le plus fort levier de l'opinion.

Ce fut le cardinal Mazarin qui s'avisa le premier de faire un instrument politique des feuilles qui, à l'imitation de la gazetta de Venise, se publiaient en Italie. Ce ministre astucieux y faisait insérer des bulletins de la guerre d'Espagne, et des nouvelles politiques sur les événemens intérieurs de la France, auxquels il donnait la couleur qui convenait à ser vues, et favorisait ses intrigues. Cet exemple ne manqua pas d'imitateurs.

Les gazettes établies en France en 1631 par un médecin, et bientôt après en Allemagne et dans toute

l'Europe, furent d'abord rédigées sous l'influence des gouvernemens; et pendant plus d'un siècle, elles furent soumises à la plus rigoureuse censure. Seulement, l'intérêt de chaque cabinet permettait de publier, selon les circonstances, sur les événemens et sur les actes des gouvernemens étrangers, ce qu'il aurait prohibé pour lui-même et pour ses alliés. Ainsi les mystères de la politique, soigneusement voilés pour tel ou tel point de vue, étaient ailleurs mis à découvert par des intérêts opposés, et la curiosité était de plus en plus excitée par cet échange de mensonges.

La liberté de la presse en Angleterre, que ses abus, comme il arrive toujours, avaient forcé de restreindre, après la dernière révolution, ne tarda pas à reprendre son essor; les journalistes anglais s'affranchirent les premiers de toute espèce de circonspection, et soit en soutenant, soit en frondant l'autorité, ils devinrent de puissans auxiliaires des deux partis, dont la lutte, continuelle et nécessaire, est pour les gouvernemens représentatifs un principe de force et de vitalité.

Les effets d'un spectacle si intéressant, le retentissement des discours parlementaires ne furent point assez remarqués vers le milieu du dix-huitième siècle ; la situation insulaire des Anglais (divisos toto orbe Britannos), la différence des moeurs, celle des formes de leur gouvernement par rapport aux monar

chies absolues du continent, ou le pouvoir législatif confondu dans les droits de la couronne, n'était qu'illusoirement contrôlé; l'éternelle rivalité de la France, les guerres fréquentes des deux nations, firent perdre de vue les progrès de l'esprit d'imitation et du goût des discussions politiques qui se répandait en France, et de là dans le reste de l'Europe. On s'amusait de l'anglomanie; elle était plus sérieuse que la mode qui n'est qu'un signe frivole: mais ce fut surtout dans les colonies anglaises de l'Amérique septentrionale que s'éleva le fanal de la vraie liberté et de l'affranchissement de l'opinion.

Le docteur Franklin, dans sa gazette de Pensylvanie publiée en 1760, s'élevant aux plus hautes questions de la morale, du droit des nations et de la politique, ouvrit une nouvelle carrière. Il ne se rendit pas moins célèbre par cette publication que par ses expériences physiques; ce fut une autre électricité dont mille conducteurs portèrent le fluide, et dont les commotions se firent sentir jusqu'aux extrémités de l'Europe, et particulièrement en France; ce qui fit dire de l'illustre docteur :

Eripuit cælo fulmen sceptrumque tyrannis.

Depuis cette époque les feuilles publiques devinrent, pour ainsi dire, un aliment indispensable pour toutes les sociétés, une denrée de première nécessité : à l'exemple de l'Angleterre et de l'Amérique septen

trionale, tous les gouvernemens européens établirent des journaux, et ne manquèrent pas d'en faire, comme le cardinal Mazarin, une arme de diplom tie La littérature et les sciences retirèrent d'abord un grand avantage de la fréquence et de la promptitude de ces moyens de communication; les divers' idiomes furent aussi réciproquement plus cultivés.

Cette fermentation des esprits qui remplit le court intervalle entre le triomphe de l'indépendance amé→ ricaine et la révolution française, fit éclore par milliers les écrits politiques: on sait comment les fruits salutaires de la liberté de la presse furent corrompus par la licence la plus effrénée; les journaux quotidiens se multiplièrent sous toutes les formes, sous toutes les dénominations que l'esprit de parti et la cupidité firent imaginer. Leur influence fut souvent utile et trop souvent funeste à la cause de la liberté mais enfin ce torrent ayant rompu ses faibles digues, il fallut lui laisser un libre cours; ce ne fut pas seulement sur l'état social et politique de la France qu'il porta capricieusement ses bienfaits et ses ravages; l'inondation fut générale: elle s'étendit surtout en Allemagne , parce que les moeurs plus graves, l'éloignement des distractions, le goût des études sérieuses, de la littérature ancienne et des recherches métaphysiques contribuaient à exalter les imaginations. Une foule de savans et d'hommes

de lettres se jeta dans les discussions polémiques, auxquelles donnaient lieu les innovations qui s'opéraient en France; la bizarre diversité des régences des états de l'Empire; la divergence des intérêts des grands et des petits souverains favorisèrent cette propagande; la quantité prodigieuse de gazettes et d'ouvrages périodiques, continuellement publiés malgré les prohibitions et les censures, malgré les calamités de la guerre et les changemens de domination, fait assez connaître que l'influence des écrivains n'a pas été moindre chez les peuples allemands, que chez les Anglais et les Français.

Nous avons sous les yeux une notice de presque toutes les feuilles publiques qui parurent successivément en Europe depuis la déclaration de l'indépendance des États-Unis, véritable ère moderne de la liberté, jusqu'à la dictature militaire de Bonaparte: pour rendre cette notice aussi curieuse qu'utile pour l'histoire, il faudrait, en y marquant soigneusement la première et la dernière date de chaque feuille (ce qui ferait connaître l'époque et les circonstances où elles furent publiées, leur vogue et leur durée), caractériser l'esprit dans lequel elles furent rédigées; on devrait y joindre aussi les noms et la biographie des auteurs. Ces recherches, que nous avions entreprises, nous auraient trop écarté de notre sujet : nous souhaitons que quelqu'un de nos contemporains,

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