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tons, qui adressèrent au premier Consul de vives réclamations; elles n'eurent d'autre effet que de le déterminer à détacher les Valaisains de la confédération, et d'en faire une république indépendante, sous la protection de la France, afin qu'aucun intérêt politique ou commercial ne pût le gêner dans l'usage qu'il se proposait de faire de la route du Simplon, pour l'importation en France des matières premières, par la voie d'Italie, et de l'exportation des produits des manufactures françaises. Les Suisses prévoyaient que les profits que leur procurait le passage des voyageurs par le Saint-Gothard prendraient bientôt une autre direction. Déjà les belles routes que les Autrichiens avaient construites dans le Tyrol, d'Inspruck à Trente par le Brenner, et de Clagenfurth a Udine par la Ponteba, en avaient détourné une grande partie. Les portes de l'Italie s'ouvraient, de toutes parts, du côté de l'Allemagne; et le premier Consul pensait qu'en ouvrant aussi du côté de la France, au nord et à l'ouest, les passages où l'art pouvait vaincre la nature, toutes les communications qu'on parviendrait à rendre praticables pour l'artillerie, et commodes pour toute espèce de charrois, il s'assurait à jamais la possession de ces belles contrées. Il les avait deux fois conquises il y veillait d'un oeil jaloux ; il n'y voulait point de partage. Richelieu avait dit autrefois : Qu'il n'y ait

plus de Pyrénées! Bonaparte aurait volontiers renversé, aplani cette grande muraille des Alpes, depuis les sources du Rhône, et du Rhin jusqu'à l'embouchure du Var; jamais il ne considéra cette muraille protectrice comme la vraie frontière de la France. Nous le verrons bientôt porter toute son attention, prodiguer son or pour fortifier la frontière orientale de l'Italie entre les Alpes et la mer Adriatique, et fixer le système de sa défense intérieure au point stratégique d'Alexandrie

rien ne

fut épargné pour préparer dans cette place une retraite sûre, un vaste dépôt, un formidable boulevard à l'armée qui, après une bataille perdue, n'aurait pu tenir la campagne sur la rive gauche du Pó, et aurait été forcée de venir s'appuyer aux Appennins.

En voyant les efforts que se hâta de faire le premier Consul pour lier l'Italie à la France par des routes militaires et par la contiguité des territoires, on est conduit à faire un juste rapprochement de son système de conquêtes et de domination avec celui des Romains. Cette Italie était pour lui ce que la Gaule et l'Espagne avaient été pour eux pendant plusieurs siècles: ils ne s'occupèrent que des communications intérieures en-deçà et au-delà des Appennins, telles que la magnifique voie Appienne de Rome à Capoue, la voie Aurélienne et la voie Flaminienne. On sait que, du temps de César, ces travaux s'é

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taient tellement perfectionnés, que les principales villes d'Italie communiquaient entre elles par des chemins pavés, et que ces routes commencèrent dès lors à s'étendre dans les provinces conquises. La voie Domitia, construite par le superbe Domitius Ænobarbus après sa victoire sur les Auvergnats, conduisait dans la Savoie et le Dauphiné. Auguste fit percer d'autres routes dans les Alpes vers Lyon, et par les Appennins vers Marseille. Les routes d'Espagne furent perfectionnées; la Gaule fut ouverte dans toutes les directions, depuis Lyon jusqu'au fond de l'Aquitaine, depuis Marseille jusqu'à Trèves. A mesure que les aigles romaines pénétrèrent en Germanie les voies militaires s'étendirent au-delà des Alpes Rhétiennes, et des monts Carpathes sur le cours du Danube jusqu'à son embouchure dans le PontEuxin. On communiquait aussi de la Haute-Italie par les routes qui partaient d'Aquilée au fond du golfe Adriatique jusqu'aux extrémités des provinces de l'empire. La principale de ces routes, dont les tableaux itinéraires sont parvenus jusqu'à nous, traversait l'Illyrie, la Macédoine, la Thrace, et conduisait à Bizance; elle était continuée au-delà du Bosphore dans l'Asie-Mineure, et par la Phénicie, la Palestine et l'Égypte, aboutissait à Alexandrie.

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Ce fut ainsi que les Romains parvinrent à subjuguer tant de peuples divers; ils portaient leurs

armées et leurs machines de guerre avec une étonnante célérité, au sein du pays conquis et jusqu'aux extrémités de la terre habitable. Ils rompirent, par cette facilité de se mouvoir en restant en bon ordre, les coalitions des princes de l'Orient; ils prévinrent souvent la réunion des essaims de barbares, et arrêtèrent long-temps leurs redoutables invasions : enfin ces routes militaires, d'une solidité presque indestructible, dont les vestiges sont encore aujourd'hui des modèles imparfaitement imités, étaient les véritables chaînes dont les vainqueurs chargeaient les vaincus, et que ceux-ci étaient contraints de forger eux-mêmes.

Plein de ces grands souvenirs, le vainqueur de l'Égypte et de l'Italie, encore dans la vigueur de l'âge (il n'avait que trente-deux ans), tenant sous sa dépendance plus de la moitié de la population dù continent européen, disposant d'une nombreuse et valeureuse armée, pouvait croire qu'il s'était élevé jusqu'à la célébrité d'Alexandre, d'Annibal et de César. Non-seulement ses flatteurs, mais ses ennemis eux-mêmes, le comparaient à ces brillans météores de l'espèce humaine : il avait sans cesse leur image sous les yeux; leur histoire, l'examen critique de leurs grandes actions, le parallèle de leur génie, de leur caractère et de l'influence qu'ils avaient exercée sur l'esprit de leur siècle, étaient les sujets les plus

fréquens de ses entretiens avec les chefs de l'armée, les savans et les artistes ; il n'aspirait à rien moins qu'à surpasser ses modèles, et comme conquérant, et comme législateur.

On ne saurait expliquer, autrement que par cette noble folie, par l'ivresse de la gloire, la chimère qu'il s'était faite d'une domination universelle, toute semblable à celle des Romains : nul ne connaissait pourtant mieux que lui tout, ce que la différence des temps, les effets de la civilisation, la diffusion des lumières, presque au même degré chez toutes les nations, amoncelaient d'obstacles que les anciens Ro mains n'avaient pas rencontrés, et dont leurs efforts et leur constance n'auraient vraisemblablement pas triomphé. Si, dans la méditation de ces vastes projets, il était forcé d'arrêter sa pensée sur ces considérations, il s'élevait bientôt au-dessus d'elles, et allant toujours du connu à l'inconnu, voyant tout ce qu'il avait, en si peu de temps, entrepris et achevé, il trouvait dans son génie, dans ce qu'il appelait sa force intérieure, assez de moyens pour vaincre de nouvelles difficultés, assez de confiance pour s'abandonner à sa

fortune.

Telle était la disposition d'esprit du premier Consul à l'époque à laquelle se rapporte l'objet de cette note. Nous continuerons de l'observer avec la même sévérité, la même justice, à d'autres époques de son im

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