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contre un qu'il ne réussirait point: mais il n'en était pas moins décidé à le tenter, si la guerre devait être la conséquence de la discussion actuelle; ses troupes y étaient tellement bien disposées, que dans une pareille entreprise on n'aurait point de peine à trouver une armée pour en remplacer une autre.

Il en revint à l'Égypte, et me dit que s'il avait eu la plus légère intention de s'en emparer par la force, il l'aurait pu faire depuis plus d'un mois, en envoyant à Aboukir vingt-cinq mille hommes, qui auraient pris possession de tous les pays, malgré les quatre mille Anglais en garnison à Alexandrie; qu'au lieu d'être un moyen de protéger l'Égypte, cette garnison ne faisait que lui fournir un prétexte pour l'envahir. Il ne le ferait pourtant pas, quelque désir qu'il pút avoir de la posséder comme colonie, parce qu'il ne croyait pas qu'elle valút la peine de courir les risques d'une guerre dans laquelle il serait peut-être possible qu'il fût regardé comme aggresseur, et qui l'exposerait d'ailleurs à perdre plus qu'il ne pourrait gagner, puisque tôt ou tard l'Égypte appartiendrait à la France, soit par la chute de l'empire turc, soit par quelque arrangement avec la Porte.

Il s'étendit alors beaucoup sur les forces naturelles des deux contrées : il peignit la France pouvant mettre sur pied une armée de quatre cènt quatre-vingt mille hommes, car il la portait à ce nombre; et il ajouta

qu'elle allait étre incessamment au complet, toute prête à tenter les entreprises les plus désespérées ; et l'Angleterre possédant une flotte qui la rendait maîtresse des mers, une flotte à laquelle il ne croyait pas pouvoir en opposer une pareille en moins de dix années. Deux puissances de cette force, en s'entendant bien, pourraient gouverner le monde; mais elles pourraient aussi le bouleverser dans leur lutte. Il dit que s'il n'avait pas constamment éprouvé les effets de l'inimitié du gouvernement britannique, depuis le traité d'Amiens, il n'y aurait rien eu qu'il ne fit pour lui prouver son désir de vivre en bonne intelligence : il l'aurait admis à participer aux indemnités aussi-bien qu'à l'influence sur le continent; il aurait fait avec lui des traités de commerce, en un mot, tout ce qui aurait pu le satisfaire et lui témoigner ses dispositions amicales. Mais rien n'avait pu vaincre la haine invétérée du gouvernement anglais, et l'on en était arrivé aujourd'hui à décider la grande question de la paix ou de la guerre. Pour conserver la paix, il fallait remplir le traité d'Amiens, sinon supprimer totalement, du moins resserrer dans des bornes étroites, et borner aux papiers anglais le système de diffamation suivi dans les papiers publics; enfin retirer la protection accordée si ouvertement à ses plus cruels ennemis (c'est-à-dire à Georges et autres gens de cette espèce). Voulait-on la guerre ; il

ne fallait que le dire, et se refuser à remplir le traité d'Amiens. Il passa alors l'Europe en revue, pour me prouver que dans l'état actuel où elle se trouvait, il n'y avait pas de puissance avec laquelle nous dussions réussir à nous coaliser pour faire la guerre a la France. Notre intérêt était donc de gagner du temps,

de ne

ét, si nous avions quelque chose à prétendre, rentrer en guerre que quand les circonstances nous seraient plus favorables. Il dit que ce n'était pas lui rendre justice que de supposer qu'il se crût au-dessus de l'opinion de son pays ou de l'Europe; il ne voudrait pas courir le risque de la réunir contre lui par quelque acte de violence et d'agression; il n'était pas non plus assez puissant en France pour déterminer la nation à entrer en guerre, à moins qu'il ne lui en démontrât la nécessité. Il ajouta qu'il n'avait point châtié les Algériens, de peur d'exciter la jalousie des autres puissances; mais qu'il espérait que l'Angleterre, la Russie et la France sentiraient, un jour, qu'elles ont intérêt à détruire un pareil nid de brigands, et à les forcer de vivre plutôt de la culture de leurs propres terres que de pillage.

Dans le peu que je lui dis, car pendant deux heures il ne me laissa que rarement la facilité de placer un mot, je me renfermai strictement dans la teneur des instructions que j'ai reçues de votre seigneurie. Je le pressai de la même manière que j'ava

fait avec M. de Talleyrand, et j'insistai, autant qu'il me fut possible, sur la sensation produite en Angleterre par le rapport du colonel Sébastiani, où les arrière-pensées de la France sur l'Égypte éveillent toujours l'inquiétude et commandent la plus grande vigilance. Il persista à soutenir que ce qui devait nous convaincre de son désir de conserver la paix, était, d'un côté, le peu qu'il avait à gagner à renouveller la guerre, et de l'autre, la facilité qu'il aurait eue à reprendre l'Égypte avec les mêmes troupes et les mêmes vaisseaux qui passaient actuellement de la Méditerranée à Saint-Domingue; entreprise qu'il aurait exécutée d'ailleurs avec l'approbation de toute. l'Europe, et particulièrement des Turcs, qui l'avaient invité, à plusieurs reprises, à se joindre à eux pour nous forcer d'évacuer leur territoire.

Je ne prétends pas suivre les raisonnemens du premier Consul en détail; cela serait impossible d'après. la prodigieuse variété de matières qu'il saisit l'occasion de faire entrer dans la conférence. Son but était évidemment de, me convaincre que de Malle dépendait la paix ou la guerre, et en même temps de me laisser une forte impression des moyens qu'il avait de nous faire du mal tant au dedans qu'au dehors.

Quant à la méfiance et à la jalousie qu'il prétendait avoir constamment régné depuis le traité d'Amiens, je lui fis observer qu'après une guerre d'aussi longue

durée, si haineuse, et faite d'une manière dont l'histoire n'offrait pas d'exemple, il était tout naturel qu'il restât encore beaucoup d'agitation et d'effervescence; mais qu'elle tomberait par degrés comme la vague se rasseoit après la tempête, si elle n'était entretenue par la politique de l'une ou de l'autre partie belligérante. Je lui dis que je ne prétendais pas prononcer qui avait été l'agresseur dans la guerre de gazette dont il se plaignait, et qui avait encore lieu, quoique avec cette différence, qu'en Angleterre elle était indépendante du gouvernement, tandis qu'en France elle était son fait et son acte propre. J'ajoutai qu'au moins devaiton admettre que nous avions contre la France des motifs de méfiance tels qu'on n'en pouvait alléguer de semblables contre nous; et j'allais fournir pour exemple l'augmentation de territoire et d'influence gagnés par la France depuis le traité, lorsqu'il m'interrompiten me disant : « Vous voulez probablement parler du Piémont et de la Suisse; ce sont des bagatelles; d'ailleurs vous auriez dû le prévoir lorsque la négociation était encore pendante; vous n'avez pas le droit d'en parler à cette heure.>>

J'alléguai alors, comme motif de méfiance et de jalousie, l'impossibilité d'obtenir justice ou aucune espèce de redressement de torts pour aucun des sujets de Sa Majesté. Il me demanda sous quels rapports; et je lui appris que depuis la signature du traité pas

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