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de sa marine, les peuples de l'Europe se livraient aux illusions de la paix ; ils étaient loin d'en goûter les fruits. Les gouvernemens auxquels cette paix avait été successivement dictée ou imposée par la nécessité ne retrouvaient plus les anciennes bases de leur système politique. Comme il arrive presque toujours dans les grands naufrages, chacun cherchait son salut pour son propre compte: on se disputait les débris du vaisseau, et même les dépouilles des morts. Comment cette dislocation de l'Europe, qui favorisait les desseins du génie qui la dominait, aurait-elle produit un état de choses durable, quand aucune opinion, aucun autre intérêt que celui du vainqueur ne pouvaient s'y placer ? Sa modération, à laquelle on n'aurait pas voulu croire, n'aurait pas éteint de si profonds ressentimens ; tant d'espérances déçues, tant de passions irritées, tendaient à réagir contre la force des circonstances, et ne pouvaient manquer d'enfanter de nouvelles discordes. On vit éclater les premières en Suisse, au milieu

des cantons démocratiques; et ce n'est pas le soin le moins digne de l'histoire, que de rechercher par quelle bizarre destinée le berceau de la liberté, alors partout opprimée, servit d'asile au parti aristocratique, et fut son dernier rempart.

Les nouveaux troubles qui éclatèrent en Suisse à cette époque furent le résultat du choc d'intérêts si divers, que, pour en montrer les causes, il faut rappeler les événemens qui avaient ébranlé jusque dans ses fondemens l'ancienne constitution fédérative.

La Suisse avait joui d'une profonde paix sous ce gouvernement, assemblage de féodalité, d'oligarchie et de démocratie; il convenait à ces contrées dont la population, les mœurs, la religion, le langage: ne différaient pas moins que les localités; une longue habitude, la difficulté des communications, l'attachement aux usages, l'esprit de famille plus fort chez les habitans des pays montagneux, avaient isolé leurs intérêts politiques; certains cantons recher

chaient la protection de l'Autriche; le plus grand nombre s'attachait à celle de la France: la combinaison de ces influences, leur complication même, loin de troubler la bonne harmonie, servaient à la maintenir. L'indépendance réciproque des cantons resserrait ce lien fédéral; auprès de la plus exclusive oligarchie, on voyait régner les principes d'une pure démocratie. A Berne, à Fribourg, des castes privilégiées exerçaient une sorte de monopole politique et commercial. Les familles des chefs- lieux de canton s'attribuaient, avec les droits de bourgeoisie, toutes les fonctions publiques, et n'admettaient pas les habitans des campagnes au partage de cette propriété héréditaire. Ce système, introduit du temps de la ligue helvétique, avait été peu à peu converti en loi constitutionnelle ; et cette aristocratie était encore plus absolue que celle de la noblesse, dont les titres pouvaient être achetés. Au contraire, dans les petits cantons, le peuple exerçait sans intermédiaire, sans aucune délégation, la pleine souverai

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neté; les affaires publiques étaient traitées et débattues dans des assemblées générales, dont le nom Landsgemeine ( Communauté du pays) est l'expression la plus exacte d'une parfaite égalité entre les citoyens.

mes,

On regardait comme un phénomène politique cette république fédérative; on admirait l'esprit national qui résultait de cette agrégation d'élémens hétérogènes, et qui, tirant sa force et sa solidité de la disparité des forconfondait toutes les théories de l'ordre social. L'Europe était, déjà depuis plusieurs années, dévorée par la guerre de la révolution, tandis que le pacte fédéral des treize cantons restait intact, et semblait être comme le chaos des Alpes, inébranlable au milieu de l'embrasement; le calme qui régnait dans ces profondes vallées, et sur ces lacs dont les eaux étaient encore franches d'horreurs, contrastait avec la subversion générale, et consolait les amis de l'humanité : ils y trouvèrent un asile aussi long-temps que la neutralité des Suisses fut respectée, c'est-à-dire, jusqu'au moment où les puissances belligérantes eurent intérêt à la violer.

On a vu au commencement de cet ouvrage, que le crime de cette agression fut celui du directoire de la République française ; mais l'histoire n'en saurait absoudre les autres gouvernemens des puissances belligérantes. Bien avant l'époque où ce malheureux pays devint le principal théâtre de la guerre et le noeud des opérations décisives, les divers partis y avaient établi le foyer de leurs intrigues; les propagateurs des doctrines révo lutionnaires s'y faisaient aisément de nombreux partisans en réveillant de vieilles haines, excitant les jalousies, enflammant les espérances; les ennemis de la révolution considéraient la Suisse comme un poste avancé d'où ils pouvaient, sans danger, en observer le mouvement, et soutenir leur parti dans l'intérieur de la France, par la facilité et la fréquence des communications; ils trouvaient aussi de puissans appuis dans l'aristocratie effrayée des progrès de l'opinion. Ce double patronage ne pouvait manquer de corrompre les principes de la neutralité de la Suisse; les garanties physiques et morales furent à jamais renversées dès

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