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ne lui imposât silence. Son discours dura près de cinq quarts d'heure, et on attendoit qu'il parlât encore lorsqu'il mit fin à sa harangue.

On jugeroit de là qu'il étoit en grande liaison avec M. Arnauld; cependant, lui ayant demandé un jour ce que M. Arnauld répondoit à une certaine objection qu'on lui avoit faite : « Je n'en sai rien, répondit-il. D'où vient, lui dis-je, que vous ne lui avez point demandé ?

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Je n'ai jamais parlé à M. Arnauld, me répliquat-il; je n'ai point voulu le voir, pour être assuré, autant qu'on le peut être, que les sentimens que j'ai sur les matieres de la grace ne me viennent point de la chair et du sang; que ce n'est point l'amitié qui m'engage à soutenir une opinion plûtôt qu'une autre, et pour avoir lieu de croire que ce n'est que Dieu seul qui me l'inspire. » Non-seulement il avoit peur que la chair et le sang n'eussent part aux sentimens qu'il avoit sur les matieres de la foi, mais il craignoit que ceux avec qui il conversoit ne fissent la même chose à son égard, et ne se rangeassent à son opinion par amitié pour lui. On le vit bien dans une circonstance que je vais raconter. Il étoit fort ami de M. Varet, qui fut depuis. grand-vicaire de monseigneur l'archevêque de Sens, et qui étoit un excellent homme. M. Varet, fort jeune encore, et élevé par sa mere, femme très-pieuse, dans la crainte ter

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rible d'être empoisonné par les mauvaises doctrines que l'on voyoit se répandre alors dans l'Eglise, étoit fort embarrassé sur le fait de mon frere, qu'il étoit comme obligé de voir souvent à cause de l'amitié, du voisinage et de l'alliance qu'il y avoit entre sa famille et la nôtre, M. Pepin, notre cousin-germain, ayant épousé Mlle Varet, sa sœur. Il connoissoit mon frere pour un très homme de bien, prêtre et docteur de Sorbonne, mais soupçonné de jansénisme. Mon frere, qui remarqua son embaras, lui dit : << N'êtes-vous pas persuadé que la doctrine de S. Augustin sur la matiere de la grace est la doctrine de l'Eglise? Oui, lui dit M. Varet, et je sai même que les canons du concile de Trente sur la grace sont composés des propres termes de S. Augustin. » Mon frere lui dit ensuite: «Vous n'aurez donc point de repugnance à lire les écrits de ce Pere sur la matiere de la grace? Non, assurément, lui dit le jeune Varet. Lisez-les donc, Monsieur, lui dit mon frere, après cela nous parlerons tant qu'il vous plaira sur cette matiere; jusques-là, nous n'en dirons pas un mot, s'il vous plaît; nous avons mille autres questions de théologie que nous pourrons examiner en attendant. » Au bout de quelques jours, M. Varet voulut parler de la grace; mon frere lui demanda s'il avoit lû tout S. Augustin sur cette matiere. «< Non, lui

dit M. Varet. Parlons donc d'autre chose, >> lui dit mon frere. Quand M. Varet eut lû tout S. Augustin sur la matiere de la grace, mon frere lui en laissa parler; mais il trouva qu'il poussoit les choses un peu trop loin, et il fut assez long-temps à le faire rentrer dans les justes bornes qu'il faut garder dans cette matiere.

Après avoir été exclu de la Sorbonne avec les soixante et dix autres docteurs de son même avis, non-seulement il n'y alla plus, mais il ne voulut plus continuer d'aller aux assemblées des prêtres de Saint-Etienne-du-Mont, sa paroisse. Le curé, qui vit que cette assemblée étoit comme sans ame, mon frere n'y allant plus (car c'étoit lui qui proposoit et résolvoit une grande partie des questions et des cas de conscience qui s'y agitoient), le vint prier deux ou trois fois d'assister à ces assemblées. « Comment pouvezvous, Monsieur, me faire une telle priere? lui disoit mon frere. Je suis un de ceux dont vous dites dans votre prône que la doctrine est empoisonnée, et vous voulez que j'assiste à vos conférences! » Le curé eut beau l'en prier, il crut ne devoir pas répondre à ses instances. Mille gens lui disoient tous les jours qu'il devoit signer le formulaire, et qu'un homme comme lui ne devoit pas, pour si peu de chose, cesser d'être utile à l'Eglise, soit en prêchant, soit en con

fessant, soit en assistant à des conférences ecclésiastiques. A tout cela il faisoit une réponse bien chrétienne et bien sensée : « Dieu, disoit

il, n'a que faire de moi pour toutes les choses dont vous me parlez, et je ne dois songer qu'à la seule dont il m'a chargé : il m'a fait par sa grace docteur de Sorbonne, et je me regarde en cette qualité comme une sentinelle posée pour empêcher qu'il ne passe rien contre la vérité. Je n'ai que cela à faire, et je ferai beaucoup si je m'acquitte bien de cette commission. Dieu pourvoira à tout le reste. Je me suis servi de cette pensée dans l'éloge de M. Arnauld, où elle est très-juste et tout-à-fait à sa place. Je puis dire que ce docteur étoit un très/ homme de bien, mort trop jeune pour sa famille et pour le public. Il n'a jamais voulu de bénéfices, et toute son ambition étoit d'être professeur de théologie en Sorbonne. >>

Dans le tems que l'on s'assembloit en Sorbonne pour condamner M. Arnauld, mes freres et moi, M Pepin et quelques autres amis encore, voulûmes sçavoir à fond de quoi il s'agissoit. Nous priâmes mon frere le docteur de nous en instruire; nous nous assemblâmes tous au logis de feu mon pere, où mon frere le docteur nous fit entendre que toutes les questions de la grace qui faisoient tant de bruit rouloient sur un pouvoir prochain et sur un pouvoir éloi

gné que la grace donnoit pour faire de bonnes actions. Les uns disent qu'à la vérité, lorsque S. Pierre pécha, il n'avoit pas la grace qui donne le pouvoir prochain de bien faire, mais qu'il avoit la grace qui donne le pouvoir éloigné, laquelle ne fait jamais faire la bonne action, mais en donne seulement la puissance, et qu'ainsi M. Arnauld avoit eu tort d'avancer qu'on trouvoit en S. Pierre un juste à qui la grace, sans laquelle on ne peut rien, avoit manqué, parce que S. Pierre avoit en lui la grace qui donne le pouvoir éloigné de bien faire. Les autres soutenoient que, le pouvoir éloigné ne produisant jamais la bonne action, et S. Pierre n'ayant point eu la grace qui la produit, M. Arnauld n'avoit point mal parlé quand il avoit dit que la grace, sans laquelle on ne peut rien, lui avoit manqué, puisqu'à parler raisonnablement, le pouvoir qui ne produit jamais son effet n'est point un vrai pouvoir. Nous vîmes par-là que la question méritoit peu le bruit qu'elle faisoit. Mon frere le receveur raconta cette conférence à M. Vitart, intendant de M. le duc de Luynes, qui demeuroit à Port-Royal, et lui dit que messieurs du Port-Royal devoient informer le public de ce. qui se passoit en Sorbonne contre M. Arnauld, afin de le désabuser de la croyance où il étoit qu'on accusoit M. Arnauld de choses fort attroces. Au bout de huit jours, M. Vitart vint

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