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ral. Non! non! s'écrient les autres, que tout soit public! Puisque le général Bonaparte vient de nous dénoncer la conspiration et les conspirateurs, que tout soit dit et fait à la face de la France!

<< Nous serions les plus indignes des hommes, dit Laussat, si nous ne prenions pas, à cet instant, toutes les mesures qui peuvent sauver la patrie! >>

<< Je demande, dit Cornudet, que le général continue de s'expliquer en public; et, après, je ferai la motion de demander au conseil des Cinq-Cents s'il veut proposer, et à l'instant même, des mesures de salut public. Quand il s'agit de sauver la patrie, tout le monde part à la magistrature. Songeons que si la liberté est perdue pour nous, elle est perdue pour l'univers entier. Je demande que le général Bonaparte continue; après ce qu'il a dit, il n'a plus rien à cacher. »

« On a parlé d'une conspiration, dit Duffau, nous devons la connaître. Nous devons en recevoir les détails du général Bonaparte, puisque notre commission des inspecteurs n'a pas voulu nous les donner. »

Cette dernière parole émeut l'assemblée. « Je ne souffrirai pas, dit le président Lemercier, que nos collègues soient calomniés! » Et il déclare que la commission lui a, au contraire, annoncé des révélations qui achèveraient la lumière.

Alors on s'écrie de toutes parts que Bonaparte doit encore être entendu ; et Bonaparte ne peut plus que jeter quelques vagues paroles.

« Je vous le répète, représentants du peuple, la constitution, trois fois violée, n'offre plus de garantie aux citoyens ; elle ne peut plus entretenir l'harmonie, parce qu'il n'y a plus de diapazon. »

Et après ce début, il parle des factions diverses, qui toutes sont venues sonner à sa porte; mais il ne les a point écoutées, parce qu'il n'est d'aucune coterie; il n'est que du grand parti du peuple Français. Plusieurs membres du conseil des Anciens savent d'ailleurs qu'il les a entretenus des propositions qui lui ont été faites. Il n'a foi que dans le con

seil des Anciens: le conseil des Cinq-Cents est divisé; il renferme des factions qui voudraient rétablir la Convention et les échafauds; et du sein de ces factions, ajoute-t-il, partent à l'instant même des émissaires chargés d'aller organiser un mouvement à Paris.

<< Mais que ces projets criminels, dit-il à la fin, ne vous alarment pas; environné de mes frères d'armes, je saurai vous en préserver. J'en atteste votre courage, vous, mes braves camarades, vous aux yeux de qui on voudrait me peindre comme un ennemi de la liberté...., vous, grenadiers, dont j'aperçois d'ici les bonnets..., vous, braves soldats, dont j'aperçois d'ici les baïonnettes que j'ai si souvent fait tourner à la honte de l'ennemi, à l'humiliation des rois, et que j'ai employées à fonder des républiques.

» Et si quelque orateur, payé par l'étranger, parlait de me mettre hors la loi, qu'il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même! S'il parlait de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous, mes braves compagnons d'armes; à vous, braves soldats, que j'ai tant de fois menés à la victoire; à vous, défenseurs de la République, dont j'ai partagé les périls pour affermir la liberté et l'égalité...; je m'en remettrais, mes braves amis, au courage de vous tous et à ma fortune. »

Cependant le conseil semblait peu satisfait de cette éloquence.

<< Général, dit le président, le conseil vient de prendre une décision pour vous inviter à dévoiler dans toute son étendue le complot dont la République était menacée. »

« J'ai eu l'honneur de dire au conseil, reprend Bonaparte, que la constitution directoriale ne pouvait sauver la patrie, et qu'il fallait arriver à un ordre de choses tel que nous puissions la retirer de l'abîme où elle se trouve. La première partie de ce que je viens de vous répéter m'a été dite par deux des membres du directoire que je vous ai nommés et qui ne seraient pas plus coupables qu'un trèsgrand nombre de Français, s'ils n'eussent fait qu'articuler une chose connue de la France entière. Puisqu'il est reconnu que la constitution ne peut plus sauver la Républi

que, hâtez-vous donc de prendre des mesures pour la retirer du danger, si vous ne voulez pas recevoir de sanglants et d'éternels reproches du peuple Français, de vos familles et de vous-mêmes. »

Et à ces mots il sortit du conseil, où il venait d'amonceler des nuages, au lieu d'y porter la lumière; en reparaissant dans la cour, il fut accueilli par les cris de vive Bonaparte! Sa popularité était idéale; mais peu s'en était fallu qu'il ne la perdît en s'aventurant dans les explications inutiles d'une assemblée formaliste.

Or, en rapportant ces harangues, j'ai suivi les récits de Lucien, pour écarter toute défiance. Un autre narrateur, alors témoin et confident de la vie de Bonaparte, donne à tout ce drame un caractère moins sérieux: à en croire Bourrienne, il n'y eut aux Anciens qu'une conversation brisée avec le président; on n'entendait que ces mots :: « Frères d'armes, franchise de soldats.» Les paroles de Bonaparte étaient ambiguës, entortillées; « il parlait sans suite de volcans, d'agitations sourdes, de victoire, de constitution violée... Puis venaient César... Cromwell... Tyran; il répéta plusieurs fois : Je n'ai plus que cela à vous dire, et il ne disait rien. »

Et Bourrienne ajoute:

« Je m'aperçus du mauvais effet que produisait ce bavardage, et je dis à voix basse à Bonaparte : « Sortez, général, vous ne savez plus ce que vous dites 1. »

Quoi qu'il en soit de cette variété de récits où l'histoire hésite entre le solennel et le ridicule, dès que Bonaparte fut sorti, des scrupules se firent jour. « J'ai traversé la Révolution avec une âme pure, dit Dalphonse; je ne la souillerai point aujourd'hui. » Dalphonse voulait qu'on cherchât dans la constitution le salut de la République. « Tout ce qui s'éloignera de la constitution, s'écriait-il, rétablira la royauté sur les débris de la liberté publique. » Et il demanda que le conseil renouvelât ses serments à la constitution.

Mém. de Bourrienne, t. III.

Alors commencèrent de mesquines dissidences. Cornudet rappela le 18 fructidor, et le 22 floréal, cette double mutilation de la représentation nationale; était-ce là la constitution qu'il fallait jurer? Le conseil acheva de perdre à ces discussions le temps qu'il devait employer à un décret décisif, et vainement attendu par les Cinq-Cents.

Mais aux Cinq-Cents tout se déroulait en scènes violentes et orageuses.

La démission de Barras avait annoncé la pleine déroute du Directoire. Mais cette démission était-elle libre et régulière? et fallait-il la recevoir? Quelques-uns en contestent la légalité, et comme la discussion s'anime sur cette question, tout à coup une vive émotion se fait à la porte; des armes paraissent; c'est le général Bonaparte qui entre avec quatre grenadiers, tandis que la porte reste gardée par des soldats, des officiers et des généraux: Bonaparte venait apparemment renouveler ses apologies qu'il avait portées au conseil des Anciens; mais ici les dispositions n'étaient pas les mêmes. A sa vue l'assemblée se lève et frémit. « Des hommes armés! » s'écrie-t-on. Les plus ardents se précipitent; plusieurs font briller des poignards; Bonaparte est entouré, menacé, les grenadiers le protègent et le font sortir de la salle; un d'eux, nommé Thomé, reçoit un coup dans ses habits; peu s'en faut que l'entreprise ne s'achève par le meurtre de César.

Cet incident avait été rapide; Lucien, moins impétueux que son frère, n'avait point prévu son impatience, et il s'appliqua à la réparer ; il n'eut pour cela qu'à laisser aller le conseil à toutes ses fureurs.

Dans le tumultueux désordre de l'assemblée, les motions se multipliaient; chacun vociférait sa menace, et la délibération était un échange de clameurs. Tout à coup, une voix domine la tempête: « Hors la loi! crie-t-elle; hors la loi, Bonaparte et ses complices! >>

A cette parole, cent furieux courent au fauteuil du président. « Marche, président, dit un député à Lucien; mets aux voix le hors la loi. »

Et tous répétaient avec une frénésie nouvelle : hors la

loi! Hors la loi, dans la langue de la Révolution, c'était un cri de mort, et ceux qui le proféraient faisaient appel à l'assassinat.

Le président sent que la force va lui manquer pour résister à cette fureur; et il cède le fauteuil au vice-président Chazal, caractère intrépide et égal à un tel péril. Pour lui, il veut se mêler à la foule qui assiége l'estrade, mais il est pressé par elle, et sa voix est perdue dans la mêlée des voix; il ne peut que jeter quelques mots au général Frégeville, un des inspecteurs de l'assemblée: « Fais avertir le général que le président a été obligé de quitter le fauteuil, et qu'il requiert la force armée pour protéger sa sortie. » Puis il remonte sur l'estrade, et il observe l'orage. Le bruit semble s'apaiser, et les parleurs en profitent pour faire des harangues. L'un démontre que Bonaparte par la nature de ses pouvoirs n'est pas le commandant des grenadiers de la garde de l'assemblée. L'autre disserte sur un message à faire aux Anciens, pour demander que le Corps législatif soit ramené à Paris, siége de la liberté. Un troisième démontre l'illégalité du commandement remis à Bonaparte, et un autre soutient qu'il est strictement conforme à la lettre de la constitution. Lucien laisse à dessein couler cette éloquence, attendant toujours quelque incident propice. Mais dans la confusion des discours, il voit les opinions se concentrer sur la question constitutionnelle, et il essaie à son tour de l'éclairer par une démonstration en règle. Les furieux soupçonnent qu'il veut gagner du temps, et ils l'interrompent par des cris; Lucien, maître de ses émotions, affecte alors une scène pathétique.

« Je pris alors, dit-il, le parti de me dépouiller de ma toge, et en la déposant sur la tribune, je pus à peine m'écrier encore :

» Il n'y a plus ici de liberté. N'ayant plus le moyen de me faire entendre, vous verrez au moins votre président, en signe de deuil public, déposer ici les marques de la magistrature populaire. »>

« Ce mouvement de déposer ma toge, ajoute-t-il, sur le bord de la tribune, produisit plus d'effet que mon discours. »>

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