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Il faut avoir connu les Turcs pour se faire une idée de leur orgueil, de leur ignorance et de leur apathie.

Le principe du gouvernement ottoman n'est pas la crainte, mais la terreur. Le peuple ne conçoit pas que le bon ordre puisse exister sans que les bourreaux accompagnent l'homme revêtu d'un emploi éminent. Il reconnaît la supériorité d'un gouvernant à l'effroi qui accompagne ses pas, et au nombre de têtes qu'il fait tomber au gré de son caprice. Il n'est pas rare d'entendre dire à un mahométan que, s'il était visir, il aurait fait pendre ou décapiter tant de boulangers, et tant d'autres marchands de vivres ; et comme il n'est pas rare de voir ces raisonneurs sanguinaires devenir pachas, ou grands visirs, ils s'empressent de mettre leurs principes en pratique.

Le gouvernement turc est essentiellement militaire; il n'est tempéré ni par la religion, ni par l'opinion publique ; et cette double influence tendant au contraire à le rendre féroce, il est devenu systématiquement sanguinaire. On a observé que des

hommes d'un naturel sensible et humain dans leurs relations privées, commettaient, avec indifférence, les plus grandes atrocités dès qu'ils étaient revêtus de quelque autorité. C'est l'habitude, ce sont les exemples continuels de cette manière de gouverner, qui ont perverti leur caractère. Il est reçu, parmi les Turcs, que le sultan peut tuer quatorze personnes par jour, sans qu'il soit permis d'élever le moindre doute sur sa justice. Le titre habituel du sultan est celui-ci: Hunchiar. Demandez la signification aux orientalistes. Etant calife et représentant de Dieu sur la terre, il est censé connaître, par inspiration, le juste et l'injuste.

Il s'ensuit qu'on ne réclame jamais contre les confiscations des biens de tous les malheureux qui ont encouru la disgrace du sultan. Tout homme assassiné par le gouvernement est censé avoir commis le crime de lèse-majesté, et, en conséquence, ses biens appartiennent de droit au fisc impérial. Aussi arrive-t-il toujours que l'on commence par exécuter un homme pour avoir ensuite le droit de de le dépouiller. Et comme dans ces provinces les pachas, les muselins et les vaïvodes représentent le sultan, ils ont dû adopter le même systême, et ils jouissent, en conséquence, du droit de vie et de mort sur leurs administrés.

En leur qualité de lieutenant, ces grands fonctionnaires étalent un faste ruineux, et ce sont les chrétiens qui doivent l'alimenter. Les Musulmans, dans la Turquie de l'Europe, dans les îles et sur les côtes de l'Asie mineure, ne paient presque rien et commettent mille exactions. Dans ces derniers temps d'une anarchie complète, les chrétiens sont devenus la proie non-seulement du dernier des gouvernants, mais de tout mahiométan, qui reste armé au milieu des Grecs comme s'ils n'étaient entrés en possession de la Grèce que

depuis hier seulement, Les Turcs ne s'occupent que du maniement des armes, et de jouer le djirid, comme aussi de tuer des chrétiens par forme de passe-temps. Quoique la population diminue tous les jours, quoique plusieurs provinces soient détachées de l'empire, les dépenses vont toujours croissant, et c'est aux malheureux qui survivent que l'on réclame l'argent qui doit satisfaire le caprice et le crime. Le peuple est réduit au strict nécessaire; il est privé de tout produit étranger.

Les non-Musulmans sont inhabiles à tout emploi civil, militaire et judiciaire; leur témoignage même ne vaut jamais celui du dernier des mahométans. Leurs propriétés, leur honneur et leur vie, dépendent non-seulement du caprice du Grand-Seigneur et de ses agents; mais encore de celui du dernier des soldats, qui se considèrent toujours comme aux premiers temps de leur conquête. Les Turcs sont étrangers à toute occupation pacifique : c'est le chrétien qui sème, qui navigue, et qui exerce tous les genres d'industries. Les Turcs, sur toutes les côtes de l'Asie mineure, dans les îles de l'Archipel, et dans toute l'étendue de la Turquie d'Europe, à peu d'exceptions près, sont comme des garnisaires, et implantés là pour garder le pays.

Il ne reste aux vaincus que la ressource de se faire assimiler aux conquérants; mais il faut pour cela renier sa religion, sa langue, et ses mœurs nationales, et devenir l'esclave des sultans; car les janissaires et tous les employés du gouvernement ottoman se reconnaissent esclaves de leur souverain, qui hérite légalement de leurs propriétés.

es habitants de l'empire turc se divisent donc en deux classes bien distinctes: celle des mahométans, et celle des non-mahométans. La première est la plus nombreuse, et jouit indistinctement de tous les avantages attachés au droit de conquête. Elle est toute censée militaire; et, en cas de besoin, elle est requise à marcher contre l'ennemi de la religion; car elle ne connaît ni le nom de patrie, ni celui de nation.

Au commencement de l'empire, on avait établi des corps permanents, tels que les janissaires, les spahis, et autres, qui étaient toujours prêts à marcher, et qui étaient soutenus, au besoin, par le reste de la nation mahométane; mais, depuis un siècle sur-tout, on a introduit parmi les janissaires beaucoup d'autres musulmans, et on a dénaturé leur institution primitive. Les janissaires ne sont plus qu'une espèce de garde nationale, sans discipline, et très-mal organisée, plus propre aux séditions qu'à la défense de l'empire. Les spahis sont aussi dégénérés; ils ne sont ni plus exercés, ni plus aguerris que les janissaires. Le reste de la nation combat au hasard, et est plus propre à embarrasser les marches et à piller les provinces qu'à se mesurer avec l'ennemi.

Le gouvernement fournit très-peu de choses à ces hordes; et depuis que les provinces sont devenues désertes, il est impossible d'y nourrir, pendant plusieurs mois, une armée composée de plus de cent mille hommes.

Quoique les préjugés religieux soient dominants en Turquie, et que tous les mahométans soient fiers d'être appelés Osmanlis (Ottomans); quoique le gouvernement ait employé tous les moyens d'ottomaniser tous les mahométans, ils se subdivisent cependant en trois peuples distincts, savoir: les véritables Osmanlis, les Arabes, et les Albanais. Il y a même plusieurs nuances entre les Osmanlis. Les mahométans de la Bosnie ne se mêlent pas facilement avec les autres Ottomans, et on observe une grande différence entre ces derniers et les apostats de la Grèce et des îles, qui continuent à parler la langue grecque. Il y a encore une grande différence entre les Turcs de l'Asie en général et ceux de l'Europe. Dans la Mésopotamie, dans la Syrie, et dans l'Egypte, la majorité est Arabe, et déteste les Turcs.

Les Albanais sont aussi mauvais mahométans qu'ils étaient jadis mauvais chrétiens. Leurs mœurs et leurs habitudes les rapprochent plus des Grecs que des Ottomans; ils parlent un langage différent de celui des Turcs, et ils emploient, pour la plupart, grec moderne dans leurs affaires.

le

Les autres peuples qui habitent la Turquie, à l'exception des Juifs et des Druses, sont tous chrétiens; mais ils appartiennent à trois églises différentes, la grecque, l'arménienne, et la catholique. Il y a encore d'autres sectes chrétiennes, comme celles des Coptes en Egypte, et quelques-autres peu nombreuses, que nous pas bns sous silence.

Les Arméniens habitent la haute Asie, et sont dispersés dans toute la Turquie asiatique. Il n'y en a qu'un petit nombre en Europe et en Afrique. Ceux du rit grec sont établis dans les trois parties de l'empire turc; mais c'est sur les côtes de l'Asie mineure, dans les îles de l'Archipel et dans la Turquie européenne, qu'ils sont en très grand nombre, et même en majorité, relativement aux mahométans; mais ils ont le malheur de ne pas faire une nation homogène et compacte. Ils se subdivisent en Grecs véritables, en Servo-Bulgares, en Moldo-Valaques, selon leur origine différente, et leur langage. La plus grande différence existe entre les peuples ultra-danubiens et les autres chrétiens, parce que les premiers ne sont que des tributaires de la Turquie, qui ont conservé une espèce de gouvernement autocthone, basé sur la féodalité; mais, comme depuis un siècle ils ont été privés du droit d'élire leurs hospodars, qui sont choisis parmi quelques Grecs de Constantinople, ils confondent dans leur haine les Grecs de Fanar1 avec toute la nation

Fauxbourg de Constantinople, d'où sont tirés les hospodars et autres employés aux missions et aux affaires étrangères.

grecque. Au reste, il faut convenir que ce n'est pas la nation entière des Valaques et des Moldaves qui manifeste cette injuste antipathie; ce sont les seigneurs du pays qui veulent exploiter les malheureux Daces, sans la concurrence des Fanariotes. On doit à ceux-ci l'abolition du servage des Moldo-Valaques, l'introduction de la langue nationale dans le service divin, et les premiers éléments de la civilisation du pays. S'ils n'ont pas fait plus, cela vient du changement continuel des hospodars, et des fréquentes invasions de la Moldo-Valachie, tantôt par les Russes, tantôt par les Autrichiens, et souvent par les insurgés Turcs. Dans l'espace de trente ans, ces deux provinces ont été occupées deux fois par les Russes, une fois par les Autrichiens, et sont restées le théâtre de la guerre pendant presque la moitié de cette période. Ajoutons qu'il n'y a dans ces pays fertiles que deux classes d'habitants, les paysans et les Boyards, fainéants qui dépouillent arbitrairement et injustement les premiers. L'on concevra facilement pourquoi ces pays sont dépeuplés et misérables, et pourquoi ses habitants sont sans énergie et dans l'avilissement. Cet exposé explique pourquoi les Moldo-Valaques se sont montrés peu empressés de répondre à l'appel du prince Hypsilanti, et pourquoi Théodore Bladimiresco, chef valaque, s'est montré opposé aux vues généreuses du prince grec. Parmi les peuples Slaves, les Serviens ont conservé plus que les autres leur caractère national, qu'ils ont retrempé dans leur insurrection dernière. C'est sur eux que le prince Hypsilanti comptait le plus, et c'est sur eux qu'il devait s'appuyer pour protéger l'insurrection de toutes les provinces au nord du mont Hémus, et donner la main aux habitants de la Macédoine; mais, malgré les déclarations des deux puissances russe et autrichienne à Leybach, ces puissances, loin de garder une stricte neutralité, ont, par différents moyens qui seront dévoilés un jour, paralysé les mouvements de la Servie, fomenté l'opposition des Moldo-Valaques, et réduit le prince Hypsilanti aux seules ressources que la Valachie et la Moldavie lui fournissaient. Il a été privé des secours de ses compatriotes, qui devaient traverser l'Autriche et la Russie: on a même arrêté les munitions qu'ils avaient achetées. Pour comble de malheur, le patriarche de Constantinople a été forcé de fulminer un anathême contre Hypsilanti et ses adhérents; néanmoins, Hypsilanti n'a pas désespéré de son entreprise; il s'est retranché dans les montagnes de la Valachie, où il a attiré toute l'attention des Turcs, et il a donné par là le temps aux Grecs du midi de s'organiser, et de prendre l'offensive.

J'ai dit plus haut qu'on trouvait en Turquie des chrétiens du rit latin; mais ils y sont si peu nombreux, qu'il est inutile d'entrer dans de grands détails sur leur compte. D'ailleurs, ayant pour précepteurs des capucins et d'autres moines ignorants qui leur sont

envoyés par la propagandé de Rome, ils ont contracté l'habitude de dénoncer les Grecs auprès des catholiques de l'Europe civilisée, tantôt comme des fanatiques, tantôt comme des athées; et il n'est pas étonnant de les entendre dire à leurs amis d'Europe, que les Grecs jouissaient, sous le sultan actuel, de toutes les douceurs de la vie sociale, et que ce même sultan est un prodige de science, de justice et de politique. Dans leur systême, la marche progressive de la civilisation pervertit le cœur humain, et c'est en conséquence de ce principe qu'ils regardent le sultan comme l'homme selon leur cœur. Ils en feraient volontiers un héros, parce qu'il a franchi le seuil des prisons du sérail pour monter au trône ensanglanté des ottomans; un savant, parce qu'il connaît le code auquel ses esclaves doivent obéir; un politique et un administrateur, parce qu'il fait marcher à la mort les riches de son empire pour s'emparer de leurs dépouilles, parce que, dans l'espace de quinze ans, il a trois fois altéré les monnaies et les a réduites à la moitié de leur valeur; un dieu de clémence et de bonté, parce qu'il a fait étrangler son frère et quelques-uns de ses enfants, et décapiter ses plus fidèles ser

viteurs.

Il est facile de comprendre quelle est l'essence du gouvernement turc, et quelle est la position des chrétiens, étrangers à tout emploi civil, judicaire et militaire. Ils n'ont aucun moyen de faire respecter leurs propriétés, leur honneur et leur vie. L'exercice même de leur religion, garanti solennellement et de plein gré par différents traités, notamment par le conquérant de Constantinople,'

'On sait que la Grèce a été conquise à différentes reprises par les Ottomans. Quelques provinces avaient fait des traités avec les conquérants, qui cependant n'ont jamais été exécutés. Mais le traité qu'on regardait comme la charte des vaincus, consistait dans les droits que le sultan Mehemet II. a octroyé aux Grecs, après la prise de Constantinople. Cette concession, acceptée par les vaincus, contenait, que le patriarche grec état inviolable, que le gouvernement turc ne se mêlerait point des affaires ecclésiastiques; que la liberté du culte ne pouvait être violée; que six jours de l'année trois avant et trois après le jour des Pâques, on devait ouvrir les portes de Constantinople pendant la nuit pour la libre circulation des chrétiens; qu'ils ne pouvaient être molestés ni poursuivis pendant ces six jours, et qu'enfin le patriarche devait être salarié par le sultan.

Une partie de ces droits ont été conservés jusqu'en 1821, qui a vu le plus horrible attentat qui ait jamais eu lieu, même dans les fastes sanglants des Ottomans.

Deux autres patriarches ont été exécutés pendant la longue domination des Ottomans; mais ce ne fut qu'après les avoir fait destituer auparavant et sur des raisons plausibles. Jamais on n'a outragé si violemment toute une nation, et insulté l'Europe chrétienne.

Les journaux ont rapporté l'excommunication du malheureux patriarche contre le prince Hypsilanti ; et cependant le Reis-Effendi ose douter de cette excommunication, et, tout en convenant que le patriarche a rendu de grands services aux Turcs, il a l'impudence de dire qu'on a dans les mains la cor

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