Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et qu'en tranquillisant par cet acte généreux la politique des autres cabinets, il n'ambitionnerait que l'éternelle gloire d'arracher une nation chrétienne au cimeterre usurpateur des Musulmans. Dans cet état des choses l'élite de la nation a choisi pour chef le prince Hypsilanti; elle l'a soumis à un conseil suprême, en attendant que l'arbitre des destinées humaines eût favorisé cette noble entreprise ́et permis à la nation assemblée de se choisir un Gouvernement.

Le but principal, le motif le plus urgent de l'insurrection était d'expulser les Turcs de l'Europe. D'après ces principes et d'après ces vues, le général en chef a commencé l'insurrection par cette proclamation adressée à la nation grecque, qu'on initiait alors toute entière aux secrets de cette rebellion sainte : "Combattons," disait-il, "pour notre religion, et pour notre patrie. Les peuples civilisés de l'Europe, en combattant pour leurs droits, nous invitaient depuis longtemps par leur exemple à les imiter. Quoique jouissant d'un certain degré de liberté, ils se sont sans cesse efforcés de l'accroître. Ces mêmes peuples fixant leurs yeux sur nous, s'étonnaient de notre inertie.

"Aujourd'hui que tous nos compatriotes nous attendent, et que les Serviens, les Soulliotes, et toute l'Epire soulevée nous appellent, faites que le son de nos trompettes et le bruit de nos armes retentissent dans toute la Grèce. Nos tyrans tremblants et pâles fuiront devant nous. En nous rendant dignes de nos aïeux et du siècle où nous vivons, nous obtiendrons la bienveillance des nations civilisées et même leurs secours. Les amis ardents de la liberté, tous les cœurs généreux ne tarderont pas à venir prendre part à notre noble entreprise. Vous verrez même plusieurs de vos ennemis, poussés par la justice de notre cause, abandonner leurs étendards, et venir se ranger sous les nôtres. Qu'ils se présentent avec franchise! la patrie leur pardonnera, et les prendra sous son égide. "Qui pourrait donc retenir vos bras? Notre ennemi est lâche et faible; nos généraux sont habiles, et tous nos concitoyens pénétrés de l'enthousiasme le plus vif. Au premier élan de nos phalanges, vous verrez les anciennes colonnes du despotisme tomber devant nos drapeaux victorieux. Au premier signal donné vos clairons, répondra l'écho des rivages de la mer Ionienne et de la mer Egée. La marine de toutes nos îles, qui pendant la paix savait commercer et combattre, portera la terreur et la mort dans tous les ports soumis à nos tyrans. Quel cœur pourrait rester sourd à l'appel de la patrie? A Rome un ami de César, secouant la clamyde ensanglantée de ce guerrier, souleva tout le peuple. Que ferez-vous, Grecs, à l'aspect de la patrie même ensanglantée et déchirée par les mains des barbares?

par

"Tournez vos regards autour de vous: vos yeux ne reucontreront par-tout que l'abjection la plus profonde. Ici ce sont nos temples profanés et souillés; là nos femmes et nos enfans exposés

aux traitements les plus odieux; nos maisons spoliées, nos campagnes dévastées, et nous même (il faut le dire) ravalés à la condition la plus servile. Il est tems enfin de venger notre sainte religion et notre belle patrie du mépris sacrilége des barbares. Parmi nous le plus noble sera celui qui défendra nos droits avec plus de courage. La nation assemblée par ses notables formera un conseil suprême; toutes nos actions seront soumises aux actes qui en émaneront.

"Coopérons donc à ce but d'un commun accord, les riches par leurs fortunes, les chefs de l'église par leurs nobles exhortations, et les hommes éclairés par leurs conseils. Que tous ceux qui à ce jour se trouvent au service des puissances étrangères, après de justes remerciements, s'empressent d'abandonner tout pour voler à la défense de leur pays, et courir avec nous la même carrière de gloire et d'honneur.

"Quels esclaves vils et mercenaires oseront faire face et tenir tête à un peuple qui se lève pour son indépendance. Imitons les combats héroïques de nos ancêtres; imitons l'Espagne qui la première rompit les légions, jusqu'alors invincibles d'un despote formidable.

"Par la concorde générale, par la soumission aux lois et l'obéissance aux chefs, par le courage et la fermeté, notre victoire est infaillible. Elle couronnera nos travaux héroïques de lauriers impérissables, et gravera nos noms dans le temple de l'immortalité, pour être l'exemple des générations futures. La patrie décernera pour récompense à ses dignes et obéissants enfants les prix de la gloire et de l'honneur; mais elle déclarera dégénérés et de souche asiatique ceux qui seront sourds à son appel, et les vouera comme traîtres à l'opprobre et à la malédiction de la postérité.

"Invitons donc, ô braves et généreux grecs, invitons une seconde fois la liberté à rentrer dans la terre classique de notre patrie. Combattons entre les Thermopyles et Marathon, et sur les tombeaux de nos ancêtres, qui y périrent pour nous laisser libres et heureux! Le sang des tyrans est agréable aux mânes d'Epaminondas, de Trasybule, d'Armodius et d'Aristogiton, à ceux de Timoléon qui a délivré Corinthe et Syracuse, et à ceux sur-tout de Miltiade, de Thémistocle, de Leonidas et des trois cents Spartiates, qui ont taillé en pièces les armées innombrables des Perses barbares. Ce sont leurs descendants plus barbares et plus lâches encore, qu'il s'agit maintenant d'anéantir.

"Aux armes, ines amis, la patrie vous appelle !"

ALEXANDRE HYPSILANTI, RECENT-GENERAL DU GOUVERNEMENT.

Le 24 mars 1821, au quartier-général de Jassy.

VOL. XXIV.

Pam. NO. XLVII.

L

Voilà de quelle manière l'insurrection a éclaté, et l'on voit dans cette proclamation solennelle les principes et le but de cette entreprise.

Cette insurrection s'est malheureusement rencontrée avec celle de Turin et de Naples, et quoique les hautes puissances du congrès de Laybach aient avoué qu'elle avait un caractère différent des insurrections italiennes, elles n'ont cependant pas manqué de l'y rattacher; mais comme elles avaient en même tems déclaré qu'elles resteraient neutres, on a été tranquille sur leurs démarches hostiles, et les Grecs de la Moldavie et de la Valachie, comme les Moldovalaques eux-mêmes et les autres chrétiens qui se trouvaient dans ces pays, ont couru de toutes parts sous les drapeaux du prince Hypsilanti. Sur ces entrefaites un anathème solennel a été lancé contre les insurgés par le patriarche et le synode grec de Constantinople; mais comme le chef de l'église grecque n'avait-point ce droit, et comme on savait qu'il cédait à l'influence du cimeterre turc, on a regardé cet anathème comme nul, et l'enterprise a été continuée. Sur ces entrefaites les grandes puissances voisines ont jugé à propos de se départir de leur neutralité. Le Consul Russe à Jassy, sans s'inquiéter du coup terrible qu'il portait aux Grecs en les abandonnant à toute la vengance mahométanne, a fait lire deux proclamations, l'une adressée aux Moldaves, et l'autre au prince Hypsilanti, qu'on sommait de se rendre au plus tôt en Russie, et d'y attendre les ordres de l'empereur, sous peine d'être pour+ suivi comme perturbateur du repos public.

D'autres puissances ont influencé les Serviens, et par des promesses fallacieuses les ont empêché d'éclater. On a fait plus, on est parvenu à tromper Théodore Vladimiresco, à le séparer de la cause des Grecs, en lui faisant entrevoir l'espoir de devenir hospodar de Valachie. On a porté un coup plus décisif au prince Hypsilanti en arrêtant les munitions qu'il avait fait acheter dans l'étran ger, en empêchant ses compatriotes d'aller se réunir à lui, et en le représentant comme un enfant perdu des révolutions, avide de sang et de pillage. Il était facile sans doute de démentir ces calomnies et de répondre qu'un prince instruit, riche, honoré des faveurs d'un grand souverain, un prince qui exposait sa fortune et sa vie, et qui s'entourait de gens qui sacrifiaient tout pour reconquérir l'indépendance de leur nation, n'était ni un pillard, ni un homme sanguinaire. Mais toutes ces contrariétés n'en ont pas moiens ébranlé les seigneurs Moldaves et Valaques. Les premiers ont forcé leur prince Suzzo de se retirer, et les seconds se sont enfuis dans la Transylvanie. Dans des circonstances aussi difficiles un autre que le prince Hypsilanti eut pu abandonner son entreprise; mais il a préféré rester sous les armes, et attirer sur lui l'attention des Turcs pour donner aux véritables Grecs le temps de s'organiser. Ceux

ci ont hésité quelque temps, mais forcés par les violences des Turcs, qui non contents des ôtages qu'ils avaient demandés à la Morée, ont convoqué les primats pour les assassiner, et mis le feu dans Patras, la plus riche des villes du pays, les Grecs de la Péninsule ont pris aussi les armes, et leur premier acte a été d'inviter les Turcs à rester tranquilles, en leur promettant non-seulement la jouissance des droits, dont les Grecs n'avaient jamais joui sous le gouvernement turc, mais encore toutes les douceurs de la vie sociale, que les Mahometans n'avaient jamais connues.

Loin d'accepter ces conditions, ceux-ci ont répondu par un massacre général, par-tout où ils se sont trouvés en force, et ont mis les Grecs dans la cruelle nécessité d'user de représailles à leur égard.

Cependant tous les Grecs n'avaient point encore pris part à cette insurrection. L'opulente île d'Hydra était restée neutre ; mais les Turcs, au lieu d'employer le patriarche et le synode grec à apaiser l'insurrection, ont préféré d'attenter à leur vie, dans le jour solennel de Paques ; et ils ont moutré par-là aux Grecs qu'il n'y avait pour eux de ressource que dans leur énergie. Dès-lors l'insurrection est devenue générale, et tout ce qui porte le nom grec a dû y prendre une part active.

Il s'agit désormais de l'existence ou de la non-existence de la nation toute entière. Les Hydriotes et tous les autres insulaires, les habitants de la Phocide, de l'Attique, de la Béotie, de l'Etolie, de l'Acarnanie, de l'Epire, de la Thessalie et d'une partie de la Macédoine, tous les pays enfin où les Grecs sont en majorité, se sont empressés de prendre les armes. Les Grecs dispersés dans l'Occident, ceux même qui y sont nés, et qui n'ont jamais' connu le métier de la guerre, tous accoururent dans la certitude que si cette levée de boucliers échouait, la nation grecque n'existerait que dans l'histoire; et avec l'espoir de montrer en réussissant le magnifique spectacle de la résurrection politique d'un peuple illustré par ses souvenirs, ses bienfaits et ses malheurs.

La justice de leur cause, la conformité des intérêts de l'Europe avec la délivrance de la Grèce, l'enthousiasme des enfants de cette antique patrie de la civilisation et du christianisme, tout leur pré

sage le succès. Ils savent qu'ils ont de grandes difficultés à vaincre; mais que ne fait-on pas avec le courage, la persévérance et l'union! Malgré les injures et les calomnies de quelques prétendus amis du bon ordre et de la civilisation, les Grecs sont persuadés que non-seulement la majorité des Européens, mais les cabinets même de l'Europe doivent faire des voeux pour la réussite de leur entreprise, et ils ont droit de tout espérer de leur bienveillance et de leur politique éclairée. C'est à cette bienveillance européenne que le sénat messénien s'est adressé par le manifeste qui a été inséré dans les journaux. Plus tard, quand l'insurrection

1

est devenue générale, et qu'on a établi un gouvernement dans les îles de l'Archipel, le conseil suprême de la marine grecque a publié deux nouvelles proclamations, l'une adressée aux insulaires du rit grec, et l'autre à ceux du rit catholique. Par la première on fait connaître que ce n'est pas pour faire des pirateries, ni pour léser les chrétiens et les sujets des puissances neutres qu'on prend les armes; mais seulement pour secouer le joug des mahométans et reconquérir les droits de la nation grecque. Ceux parmi les Grecs qui se départiraient des principes de l'humanité et de la civilisation, seront déclarés indignes du nom grec, et poursuivis comme criminels.

Par la seconde proclamation, on invite les Grecs catholiques à faire cause commune avec leurs compatriotès, à participer aux mêmes avantages, puisqu'ils ont souffert la même oppression.

Quand une nation, courbée depuis des siècles sous le plus affreux despotisme, fait entendre de telles maximes d'humanité, de justice et d'honneur, elle est digne de parvenir au but qu'elle se propose; elle mérite les éloges et l'encouragement de tout chrétien et de tout homme civilisé, quels que soient les malheurs inévitables qu'une telle entreprise doit entraîner à sa suite.

Si la politique européenne avait eu le bon sens des Turcs eux`mêmes, qui ont vu dans l'insurrection du prince Hypsilanti une affaire nationale; si elle n'avait pas perdu son temps en négocia tions déplacées et en déclamations mensongères, elle pouvait de prime-abord diriger cette lutte, et épargner à l'humanité les cruautés et les attentats dont elle frémit; mais quelques-uns des cabinets européens ont, au contraire, entravé les efforts héroïques des Grecs, et encouragé par-là la férocité naturelle des Turcs. Ces entraves ont dû nuire aux tentatives du prince Hypsilanti, et on peut les regarder comme avortées en Valachie; mais la Grèce proprement dite est toute en armes, les Grecs sont maîtres de la plus grande partie du pays, et tout annonce qu'ils finiront par y dominer tout-à-fait. Mais déja les deux grandes puissances du nord s'ébranlent, et la Russie a été assez outragée par les Ottomans, pour qu'il soit permis de croire qu'elle ne s'en tiendra point à de simples démonstrations. Fasse le ciel que ces puissances ne renouvellent pas le partage qu'elles ont fait déja d'une grande nation, et qu'elles ne donnent point un démenti formel à tant de protestations de modération et de respect pour la justice. C'est peut-être pour préparer l'opinion publique à ce partage qu'un journal semi-officiel croit devoir outrager périodiquement l'insurrection grecque, en l'assimilant à la révolte des Carbonari, quoiqu'il soit en état plus qu'aucun autre d'en bien connaître l'origine, le but et la nature. C'est sans doute aussi pour préparer les esprits à ce partage qu'on cherche à montrer la population de la

[ocr errors]
« ZurückWeiter »