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pays, n'étant, comme nous l'avons dit, que campés en Europe; on en trouve fort peu dans les campagnes et les villages. A l'exception des Albanais qui out adopté l'islamisme, la grande majorité des Turcs habite les villes et les forteresses, et, quoique originairement recrutés parmi les nations qui les ont précédés dans le pays, leur aversion pour les autres peuples est telle, qu'il y a peu de Turcs qui sachent le grec, le slave, ou le valaque. Cette circonstance ajoute encore à leur situation étrangère en Europe; et j'ai eu raison de les confondre, sous ce rapport, avec les Juifs, les Arméniens, et les Bohémiens.

Il y a encore, soit à Constantinople, soit dans quelques autres villes, un petit nombre de Francs, nom générique sous lequel on désigne en Turquie les individus appartenants aux différents peuples de l'Europe civilisée; mais ils ne forment pas un corps de nation, et sont inaperçus au milieu des autres peuples qui habitent la Turquie. Pour mieux faire sentir ces détails, et les appuyer sur des données numériques, je classerai ces différents peuples dans un cens approximatif, qui touchera de bien près à la vérité, parce qu'il est le fruit des différentes recherches que mon goût particulier pour la géographie m'a mis à portée de faire, et parce que vingt années de voyages et de relations habituelles dans le pays, m'ont donné le moyen d'établir cette espèce de dénombrement.

J'admettrai donc que toute la Turquie européenne, en y com prenant les îles de l'Archipel et de la côte d'Asie, renferme douze millions d'habitants; et cette population, qui n'est pas le tiers de ce qu'elle pourrait être, s'est divisée de la manière suivante, sans avoir égard aux croyances religieuses des nations qui la composent : 4,500,000 Grecs;

1,900,000 Turcs nationaux ;

1,200,000 Valaques et Moldaves;
1,000,000 Croates et Bosniaques;
850,000 Bulgares;

750,000 Albanais et Monténégrins;

700,000 Serviens;

500,000 Arméniens;

500,000 Juifs;

60,000 Cingans ou Bohémiens;
40,000 Francs.

On voit que, dans cette distribution, les seuls Grecs figurent presque pour les cinq douzièmes; et si on ajoute ceux qui se trouvent en Albanie, en Bulgarie, en Servie, en Valachie et en Moldavie, si l'on y réunit encore les habitants grecs de l'Asie mineure, évalués plus haut à deux millions, on voit clairement que, dans une étendue de pays contigus et habités par quatorze millions d'hommes, plus de la moitié est composée des Grecs parlant la même

langue et professant la même religion. Le petit nombre de Grecs catholiques qu'on y trouve, est une exception trop peu considérable, pour valoir la peine d'être remarquée; la différence du rit est si petite, que les Grecs unis à l'église d'Occident doivent faire cause commune avec leurs compatriotes, parce qu'ils sont réunis par des malheurs communs, par la même origine et les mêmes intérêts. Si je classe à présent ces mêmes peuples d'après leur culte, j'aurai : 500,000 Juifs;

500,000 Arméniens;

400,000 Bosniaques mahométans; 400,000 Albanais mahométans; 200,000 Bulgares mahométans; 100,000 Serviens mahométans; 300,000 Grecs mahométans; 30,000 Cingans mahométans; 70,000 de divers autres cultes ; 1,900,000 Turcs mahométans;

700,000 cathol. (Grecs, Albanais et Slaves),

formant un total de 5,100,000 individus étrangers à l'église grecque. Si l'on défalque maintenant de la cause des Turcs, les Juifs, les Arméniens, les Cingans, espèce dégénérée, les sectateurs de diverses religions, les catholiques et les Albanais, il restera trois millions trois cent mille défenseurs de l'islamisme; et, en supposant que les Albanais s'en mêlent, et que parmi les autres croyances il se trouve quelques partisans de la Turquie, la cause des mahométans en Europe et dans les îles aura une population de quatre millions d'habitants, tandis que la cause des Grecs en aura près de sept millions, en n'y comprenant pas les catholiques, malgré les raisons qu'il y aurait de ne pas les séparer de la cause sacrée de l'Evangile contre le Coran.

Je n'ai pas compté les Grecs et les autres chrétiens du même rit dans l'Asie et l'Egypte, parce qu'ils sont entourés d'une immense population de mahométans, et que probablement ils n'oseront pas remuer. Ils est vrai que les Turcs ont l'immense avantage d'être appuyés par leurs compatriotes et co-religionnaires d'Asie, et qu'ils ont, en outre, la supériorité d'une longue domination. Ils sont maîtres de toutes les places et de presque tous les défilés. Ils ont des munitions, et une artillerie préparée de longue main. En tarissant les sources de tout prospérité parmi les chrétiens, ils leur ont enlevé tous les moyens de pourvoir promptement à leur équipement militaire. Mais les Grecs ont, à leur tour, d'autres avantages sur les Turcs, en ce qu'ils sont plus intelligents, et qu'ils peuvent profiter de la supériorité de leur marine, comme de la tactique militaire européenne. Une fois parvenus à expulser les Turcs de la Morée, du continent grec et des îles, ils

peuvent s'organiser; et comme ils ne seront attaqués que de front, avant d'être entamés, ils peuvent défendre avec avantage les défilés de la Macédoine, de la Thessalie, et l'Isthme de Corinthe. S'ils parviennent à résister cet automne, leur indépendance est assurée, et le printemps prochain ils peuvent marcher sur Constantinople. Qu'on les laisse faire; que les puissances voisines n'entravent pas leurs opérations, comme elles l'ont fait jusqu'à présent, et les Grecs parviendront à reconquérir leur indépendance, à purger l'Europe de la peste et de la présence des barbares, à mettre à la place des Turcs un poids plus utile et plus grand dans la balance politique de l'Europe; et en se constituant à la manière des nations civilisées, ils ouvriront un immense débouché au commerce et aux manufactures des Européens. Outre ces avantages divers, l'émancipation des Grecs et l'expulsion des Turcs en Asie aura d'autres résultats dont l'Europe pourra profiter. Ce grand échec changera probablement l'organisation intérieure du reste de l'empire, et les sultans, une fois affranchis de la turbulence des janissaires à Constantinople, profitant de l'effet moral que la perte de la Turquie d'Europe produira sur la masse des mahométans, ne manqueront pas d'introduire la tactique européenne, dont ils ont vainement essayé jusqu'à présent. De cette innovation découlera nécessairement l'amélioration de l'administration intérieure, et par conséquent le bien-être de la nation, et un commerce plus lucratif pour les Européens. L'émancipation de l'Afrique peut être aussi le résultat de cette révolution. Les Africains, ne pouvant plus se recruter en Turquie, seront forcé d'abandonner leur régime actuel, de redevenir un peuple industrieux, et par conséquent plus utile à l'Europe. Dans le cas où ils voudraient persister dans leurs pirateries, on aurait mille facilités pour détruire ces repaires de brigands, et coloniser le nord de l'Afrique par la surabondance de la population anglaise et française.

Quand on réduirait de deux millions le dénombrement que nous venons de faire, il resterait toujours incontestable que dans la Turquie d'Europe, c'est la majorité des habitants qui revendique ses droits imprescriptibles contre une minorité de barbares; et, d'ailleurs, la cause des Grecs est celle de l'humanité et de l'Evangile, contre les fureurs des sectateurs du Coran.

Les Turcs, dans l'état actuel des choses, n'ont aucun moyen de sortir de leur barbarie. Il y a un siècle qu'on a établi chez eux l'imprimerie, et elle n'a jamais pu y prospérer. Depuis un siècle aussi on a tenté d'y introduire la tactique européenne, et les préjugés qui la repoussent y sont plus forts que jamais. Les Turcs n'ont aucune idée de ce qui se passe en Europe; et, parce qu'ils l'ont vaincue il y a deux siècles, parce qu'ils n'y ont rencontré que sept petits princes, ils continuent à croire que l'Europe est demeurée dans la même situation politique, et qu'ils peuvent à pré

sent, comme alors, la mépriser toute entière. Le dernier des Turcs se croit supérieur à la première tête couronnée du monde chrétien, parce qu'il a l'insigne bonheur d'être musulman, c'est-àdire vrai croyant. Il n'est past besoin d'autre preuve de cette assertion que la manière avec laquelle on reçoit les ambassadeurs à Constantinople.

Les Grecs, au contraire, malgré des malheurs inouis, et quoiqu'ils aient tremblé pendant quatre ou cinq siècles pour leur existence, ne sont jamais retombés dans une entière barbarie. Ils ont continué à étudier la langue divine de leurs ancêtres, et à puiser dans l'Europe civilisée des connaissances plus positives. Depuis un siècle surtout l'instruction a fait de grands progrès parmi eux. Ils ont établi des écoles plus nombreuses, et perfectionné les anciennes. Il n'y a pas un village grec qui n'ait son école primaire. Dans les collèges supérieurs ils ont introduit les mathématiques et la physique expérimentale. Leurs méthodes scholastiques ont fait place aux méthodes des peuples modernes.

Qu'on parcoure les listes des ouvrages imprimés à Venise, à Vienne et à Paris, et l'on verra les richesses littéraires et scientifiques de la Grèce moderne. S'il fallait ajouter un nouveau poids à ces considérations, qu'on réfléchisse un moment sur le grand nombre de jeunes Grecs qui fréquentent les universités d'Italie, de l'Allemagne, de la France, et même de l'Angleterre; qu'on fasse attention à toutes les difficultés que ces jeunes gens ont à surmonter, pour faire un long voyage, pour vivre avec leur pauvreté au milieu de nations plus riches, où la subsistance est deux ou trois fois

plus chère que chez eux, et l'on verra si les Grecs sont dignes d'un meilleur avenir, et s'ils sont mûrs pour l'indépendance politique.

Qu'on les compare soit avec les Turcs, soit avec les Arméniens plus riches qu'eux, soit enfin avec les Albanais, les Moldovalaques et les peuples Slaves, et l'on reconnaîtra la supériorité morale des Grecs, et les droits qu'ils ont à la bienveillance et à la protection de l'Europe civilisée. Les Grecs vaincus n'existeront plus; mais toujours il s'en sauvera assez pour raconter les malheurs de leurs pays et vouer à la malédiction de la postérité les Européens qui auront souffert ou aidé la catastrophe de la Grèce.

Je me suis peut-être trop étendu sur les Turcs et les Grecs; mais on doit le pardonner à un homme dont l'âme est navrée par les malheurs de sa patrie. Je vais finir par une histoire succincte de l'insurrection.

Depuis la conquête de la Grèce par les Turcs, les Grecs n'ont pas cessé un moment de chercher les moyens de secouer le joug affreux des Ottomans; mais leurs moyens avaient été jusqu'à pré

Les Nouvelles Annales des Voyages et de Géographie, tome 6, première partie, contiennent une ébauche assez satisfaisante sur ce sujet.

sent trop faibles en comparaison de ceux de leurs oppresseurs. Différentes tentatives partielles leur en avaient démontré l'insuffisance. Ils ont dû placer leurs espérances dans un meilleur avenir. Vers la fin du dix-septième siècle, quand les Turcs repoussés des murailles de Vienne, ont commencé à décliner, ces espérances se sont ranimées; mais les Grecs ont eu la douleur de voir au commencement du dernier siècle, qu'une guerre entreprise pour conserver la Morée aux Vénitiens, n'à abouti qu'à soumettre la Servie et la petite Valachie à l'Autriche, et que les antipathies commerciales de l'Angleterre et de la Hollande contre Venise, n'ont eu d'autre résultat que de céder le Péloponèse à la Porte, sous la médiation de ces deux puissances, et sans aucune stipulation en faveur des malheureux habitants. Ceux-ci ont pris les armes aussitôt que les Russes se sont présentés dans la Méditerranée; et quoique la Russie ait introduit quelques stipulations favorables aux Grecs dans le traité de Kainardgi en 1774, elles n'ont jamais été exécutées, et la Morée a continué d'être dévastée comme le reste de la Grèce. Les révolutions de l'Europe ont fait espérer par la suite quelques changements avantageux, et les Grecs ont tressailli de joie quand ils ont su que le droit public de l'Europe allait être basé sur les principes de l'Evangile, et qu'on allait reconnaître la légitimité des nations comme celle des princes. Mais quand ils ont vu le traitement horrible qu'ont subi les Parganiotes, malgré la garantie des grandes puissances, quand ils ont été convaincus qu'il n'y avait plus rien à espérer de la bienveillance des cabinets exclusivement occupés de maintenir l'intégrité des pouvoirs des princes Européens, les Grecs menacés d'une destruction prochaine, ont pris le seul parti qui leur restait, et ont résolu d'avoir recours à leur propre courage. La résistance d'Ali Pacha contre le sultan, l'offre qu'il a faite aux Grecs d'employer ses trésors pour leur émancipation, étaient des circonstances trop favorables pour les dédaigner. Pleins de candeur et de bonne foi, comptant d'ailleurs sur l'humanité des souverains de l'Europe, ils ont pris les armes, sans soupçonner qu'ils pussent jamais être confondus avec les Carbonari, et qu'on pût considérer la domination des Ottomans comme une des légitimités soutenues par la Sainte Alliance. Les droits des Grecs étaient si évidents, les résultats de leur émancipation leur paraissaient devoir être si avantageux à l'Europe, qu'ils n'ont jamais douté de la bienveillance et de la protection de cette partie du monde, et sur-tout de celle de l'empereur Alexandre, protecteur de l'église et de la nation grecque.

On supposait que la politique européenne pouvait s'alarmer de cette protection; mais le caractère magnanime de l'empereur était connu les Grecs se disaient qu'il ne chercherait pas à étendre à leurs dépens les limites de ses vastes états; qu'il contribuerait au rétablissement de l'empire grec sans le mettre dans sa dépendance

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