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CONSIDERATIONS

SUR

LA GUERRE ACTUELLE

ENTRE

LES GRECS ET LES TURCS,

PAR UN GREC.

IMPRIMÉ A PARIS.

RÉIMPRIMÉ A LONDRES: 1824.

AVANT-PROPOS.

L'ESSAI que je présente au public méritait d'être traité par une main plus exercée. Outre la difficulté de m'exprimer dans une langue qui n'est pas la mienne, j'ai été forcé, par quelques circonstances impérieuses, d'improviser ce faible travail. Ces deux grands inconvénients ont eu encore une plus grande influence sur moi par la position critique où se trouve ma nation, et qui absorbe toute mon attention.

Certes, ce n'est pas quand on a le cœur navré du malheur de son pays, et quand on tremble pour l'existence de tout ce qui est le plus cher à un homme social, qu'on peut écrire avec quelque perfection, et présenter ses idées dans un ordre convenable et digne du sujet qu'on traite. J'cse cependant affirmer que je n'ai pas avancé un seul fait dont je ne sois témoin oculaire, ou sur lequel je n'aie pris tous les renseignements possibles.

C'est d'après ces données qu'on a droit de me juger. J'espère que le public français pardonnera les fautes du langage à un Grec qui a étudié en Turquie la langue française.

S. Z.

CONSIDERATIONS

SUR

LA GUERRE ACTUELLE

ENTRE

LES GRECS ET LES TURCS.

L'EUROPE Civilisée se trouve en contact avec l'empire turc depuis quatre ou cinq siècles; la guerre, la diplomatie, les voyages et le commerce, lui ont fourni tous les moyens de se faire une idée juste de l'état moral et politique des différents peuples qui habitent la Turquie; cependant lorsqu'on voit combien les journalistes, et même des publicistes recommandables d'ailleurs sous d'autres rapports, montrent d'ignorance lorsqu'ils parlent de la Turquie; lorsqu'on observe la conduite des cabinets à l'égard des Turcs, on peut dire hautement que l'Europe ne connaît ni les Turcs ni les Grecs. C'est à cette ignorance qu'on doit rapporter toutes les fautes qu'on commet chaque jour en politique et dans le récit des évènements dont la Turquie européenne est aujourd'hui le théâtre. Lorsque l'esprit de parti s'empare de ces évènements; lorsqu'il cherche à les exploiter à son profit, peut-être sera-t-il permis à un Grec d'élever la voix. C'est donc dans l'intérêt de la vérité, c'est dans l'intérêt de ma patrie, que je crois devoir présenter un tableau de l'état de l'empire turc, et particulièrement des peuples qui habitent la Turquie européenne, et une histoire succincte de l'insurrection actuelle, avec quelques aperçus sur les résultats pro

bables.

Le commencement de l'empire ottoman a été comme celui de toutes les dominations: un peuple neuf, aguerri, soumis à une volonté unique et impérieuse. Enflammé par une religion essentiellement militaire, il a profité de la désunion et de l'avilissement des Grecs du Bas-Empire; il a franchi le Bosphore, sans être

provoqué par les faibles Byzantins; et, sans déclaration de guerre, il s'est emparé des provinces grecques de l'Europe; il a envahi, en moins d'un siècle, la Bulgarie, la Servie, la Bosnie, la Valachie et la Moldavie; et anéanti, dans la Grèce, les faibles restes de la domination chrétienne. Les chefs de cette association militaire ont recruté leurs armées parmi leurs ennemis mêmes, dont ils enlevaient les enfants pour les transformer en janissaires. Par une fatalité très-malheureuse aux Grecs, il ne se trouvait alors aucune puissance en Europe assez forte pour se mettre à la tête des princes chrétiens, et les Turcs, menaçant Venise et l'Italie, ont poussé tranquillement leurs conquêtes jusqu'à Vienne.

La puissance des Turcs, naturellement conquérante et destructive, n'avait aucune stabilité réelle. Elle aurait succombé depuis long-temps, si les discordes des rois de la chrétienté n'eussent servi ses intérêts, et si la politique de plusieurs d'entre eux ne les eût porté à contracter des alliances avec les ennemis du nom chrétien. Sans cette jalousie des potentats de l'Europe, la Turquie ne serait plus au nombre des empires.

Mais comme il est dans la nature des choses de changer sans cesse, les Turcs guerriers, ne pouvant plus s'étendre ni employer au dehors leur ardeur belliqueuse contre les chrétiens, ont tourné leurs armes contre eux-mêmes: et de là, ces révolutions sanglantes de Constantinople, ces éternelles guerres civiles, qui ont diminué leur population et transformé en désert l'une des plus belles contrées du monde. Les chefs des Osmanlis, au lieu d'être élevés dans les camps, comme leurs ancêtres, ont été renfermés dans le sérail, nourris dans le mépris des langues et de la civilisation européenne, et réduits à meubler leurs têtes des contes des Mille et une Nuits. Leur domination sur les personnes et les biens de leurs sujets s'est affermie par une longue habitude; elle s'est transformée en dogme politique; et le gouvernement absolu, réagissant sur ceux qui l'exerçaient et les avilissant autant que les gouvernés, les sultans sont devenus inaccessibles, et n'ont plus appris le mécontentement du peuple que par les incendies de Constantinople.

Dans un état de choses pareil, il n'y a ni systême financier, ni prévoyance pour l'avenir. Tout appartenant au maître et tout se faisant pour son bon plaisir, il n'y a ni garantie, ni confiance, et par conséquent point d'industrie.

Le gouvernement turc conserve encore les préjugés de son état nomade, un étranger est pour lui l'objet de plus d'égards qu'un indigène; il ne paie que deux et trois pour cent aux douanes,

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Jusqu'à la fin de l'avant-dernier siècle les Turcs forçaient les Chrétiens de livrer un certain nombre de jeunes gens, qui devaient renoncer à leur religion et remplir les cadres des janissaires.

tandis que les sujets paient dix et quinze. Le Coran ne reconnaissant point d'ailleurs la validité du prêt à intérêt, le commerce est tari dans sa source. Ce même code adopte le fatalisme le plus absolu; ses sectateurs regardent comme une insulte à la divinité de se soustraire au fléau de la peste, qui, pour cette raison, est devenue endémique dans le pays, et détruit périodiquement des milliers d'individus. Je ne crois pas exagérer, en affirmant que la dernière peste a dévoré plus d'un million d'hommes,

Les Turcs, étant originairement Tatares, ne doivent point être comparés aux Maures mahométans qui ont porté l'industrie et les arts en Espagne; en adoptant l'islamisme,' ils sont restés inhabiles à toute civilisation, et se sont confondus avec des milliers de Grecs apostats, sans avoir perdu la férocité primitive de leur caractère. Une foule d'autres circonstances ont rendu stationnaire leur antique barbarie; la langue originaire des Turcs n'a aucune affinité avec celle des Persaus et des Arabes, qui n'ont été connus d'eux que lors de la décadence de ces peuples. L'influence religieuse les a portés cependant à l'étude de ces deux langues, dont ils ont emprunté l'alphabet défectueux. Mais comme ils sont étrangers à toute philosophie du langage, ils ont adopté des phrases entières du persan et de l'arabe, qu'ils ont approprié à leur jurisprudence et à leur chancellerie, dont le style est devenu tellement obscur, qu'un jeune Turc est dans la nécessité d'étudier à part ces deux langues pour parvenir à l'intelligence du langage habituel de la

cour ottomane.

Privés de bonnes grammaires, de dictionnaires, et de tous les bienfaits de l'imprimerie; livrés à des précepteurs pédants, et à des astrologues, les jeunes Turcs passent vingt années dans leurs écoles, sans parvenir, pour la plupart, à lire couramment, et n'en sont ni plus sensés, ni moins arrogants que leurs compatriotes illétrés.

Il n'y avait qu'un seul moyen de les retirer de cet abrutissement: c'était de leur faire apprendre les langues savantes de l'Europe, ou

de les faire voyager. Mais ils s'estiment trop pour s'abaisser jusqu'à l'étude du langage des infidèles, dont ils méprisent les mœurs et le commerce. Malgré les efforts du sultan Sélim, on n'a pu former une école entièrement composée de professeurs nationaux, qui sussent les langues de l'Europe. Depuis on a tout détruit; et dans toute la Turquie, il n'y a pas, je crois, dix 'Turcs qui sachent, je ne dis pas écrire, mais parler le français ou l'italien.

Il y a plus d'un siècle que les Turcs sont habitués à être battus par leurs ennemis ; cependant ils ne s'avouent jamais leurs défaites.

On doit faire observer que les Turcs ont deux fois étouffé la civilisation: d'abord celle des Arabes, sous les califes; et ensuite celle des Grecs de Byzance.

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