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Chambre des Représentants.

DISCUSSION

DU PROJET DE LOI

PORTANT

REVISION DU RÉGIME HYPOTHÉCAIRE.

(Séance du 30 janvier 1851.)

M. le président. M. le ministre de la justice étant d'accord avec la commission sur presque tous les points, je proposerai d'ouvrir la discussion sur le projet présenté par la commission.

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- Cette proposition est adoptée. La discussion générale est ouverte. M. le ministre de la justice. Messieurs, avant d'aborder la discussion des articles du projet soumis à vos délibérations, je crois qu'il est utile de faire ressortir les canses principales qui ont déterminé le gouvernement à vous le présenter, et de vous indiquer les modifications principales qu'il apporte à la législation actuelle.

Il est, messieurs, un fait qui doit avoir frappé tous ceux qui, dans ces derniers temps, se sont occupés d'économic sociale, c'est que lorsque le commerce et l'industrie se développaient dans de colossales proportions, lorsque l'argent affluait vers ces deux branches de l'activité humaine au point d'engendrer l'agiotage, les capitaux se retiraient de l'agriculture, et les efforts qui étaient tentés même par des sociétés pour venir à son aide restaient stériles, restaient infructueux. Les causes d'un pareil état de choses ne pouvaient évidemment pas résider dans la propriété immobilière même. Par sa nature, la propriété offre certainement les plus fortes garanties, offre le gage le plus certain qui puisse être donné à un prêteur. C'était donc

| dans les lois qui la régissaient, qui en réglaient la transmission, le démembrement, qu'il fallait chercher les causes du peu de crédit que les capitalistes lui accordaient.

Les recherches dirigées de ce côté, l'on n'a pas tardé à découvrir que sous l'empire d'une législation où le propriétaire ne peut pas prouver sa qualité de propriétaire; où il ne le peut pas de manière à commander la confiance; où le prêteur ne peut pas s'assurer d'une manière certaine quelles sont les charges qui grèvent la propriété qui lui est offerte en gage, et où la mise en œuvre de son action est entourée de tant de formalités, et de formalités si coûteuses que le gage qui a été donné au prêteur n'est qu'une garantic tout à fait illusoire, il était impossible que la propriété immobilière fût une source de crédit.

Ainsi, vice dans notre législation relative à la transmission des propriétés en général ; vice dans la législation hypothécaire; vice enfin dans toutes les règles relatives à l'expropriation forcée et à la distribution du prix. Messieurs, le projet de loi qui vous est présenté a pour objet de faire disparaître les deux premiers; je compte, dans le courant de cette session, présenter un projet qui fera disparaître le troisième.

Aujourd'hui, quant à la transmission des droits récls, la règle est que, tant à l'égard des parties qu'à l'égard des tiers, la propriété se transfère par le simple consentement. Ainsi,

pas de sigue extérieur, pas de formalité extrinsèque officielle qui indique que la propriété a passé d'une tête sur une autre. Ainsi, pas de possibilité pour un acquéreur ou pour un prêteur de s'assurer que celui avec qui il traite est, au moment où il traite, le véritable propriétaire; pas de possibilité pour celui-ci d'établir sa qualité de propriétaire, en d'autres termes, son actif immobilier.

En vain le propriétaire exhibera-t-il des titres, rien ne prouvera que déjà antéricurement il n'ait vendu, rien ne prouvera que son vendeur n'ait aliéné avant de lui avoir vendu. Dans un semblable système, où l'acquéreur, le prêteur est livré à la bonne foi du vendeur, de l'emprunteur, la valeur repré- | sentative de la propriété ne peut pas exister.

Le projet proposé s'écarte complétement de ce principe. Aux termes de l'art. 4er, la transmission des droits réels n'aura d'effet à l'égard des tiers que par la transcription de l'acte translatif dans les registres à ce destinés. Les œuvres de loi de notre ancien droit sont remplacées par la transcription. A l'égard des tiers, la vente ne sera plus parfaite par la simple volonté des parties; elle ne le sera que par la transcription. Le propriétaire restera propriétaire vis-à-vis d'eux tant que cette formalité officielle extrinsèque n'aura pas été remplie.

Cette première modification est des plus importantes. Elle est la base de toute réforme; avant de pouvoir emprunter, il faut | savoir établir son crédit, et ce crédit ne peut jamais être établi qu'en faisant dépendre les mutations à l'égard des tiers d'une formalité dans laquelle intervient l'autorité publique, et qui est soumise à la publicité.

Quant au système hypothécaire que le projet a principalement pour objet de changer, des modifications tout aussi importantes y sont introduites. Elles portent principalement sur les dispositions relatives aux priviléges qui grèvent les immeubles, à l'hypothèque légale des femmes, des mineurs et interdits, et à l'hypothèque judiciaire.

Quant aux priviléges, vous savez, messieurs, quel est le régime actuel. Aujourd'hui les priviléges immobiliers doivent être inscrits; mais cette inscription peut se faire à une époque éloignée de celle où le privilége a pris naissance. Le privilége, une fois inscrit, rétroagit au jour de l'acte; et cette rétroactivité rend complétement illusoire la publicité à laquelle la loi a voulu l'assujettir. Le projet actuel prescrit des formalités pour assurer la publicité du privilége à partir du jour même où il prend naissance.

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A côté du privilége, et indépendamment de celui-ci, existe l'action résolutoire que rien ne révèle aux tiers, et qui peut être exercée alors même que le privilége a cessé d'exister. D'après le projet soumis à vos délibérations, l'action résolutoire ne subsistera que concurremment avec le privilége; | elle cessera avec celui-ci.

J'arrive maintenant au point qui offre le plus de difficulté, c'est celui qui est relatif à l'hypothèque légale de la femme, des mincurs et interdits. Vous savez, messieurs, que sous l'empire de la législation actuelle la femme mariée, les mineurs, les interdits ont une hypothèque légale, indépendante de toute inscription; cette hypothèque grève les biens du mari en faveur des femmes, grève les biens du tuteur en faveur des mineurs et interdits.

Cette hypothèque, comme je viens de le dire, est occulte, elle n'est pas inscrite, elle est générale, elle grève les biens présents et futurs. Le projet que nous vous proposons modifie complètement ce système.

La femme conservera l'hypothèque légale sur les biens de son mari; le mineur la conservera sur les biens de son tuteur; l'interdit la conservera également sur les biens des personnes préposées à la gestion de leur fortune; seulement cette hypothèque, qui est aujourd'hui secrète, devra être rendue publique par l'inscription sur les registres. Elle devra, de plus, être spéciale, sous le double rapport des immeubles sur lesquels elle sera assise et de la somme pour laquelle elle est prise. Le projet de loi prend toutes les mesures possibles pour assurer cette inscription, pour assurer la publicité et la spécialité. Je ne puis pas entrer en ce moment dans des détails à cet égard; quand nous arriverons à l'article qui concerne cet objet, ce sera le temps d'examiner si les précautions prises sont suffisantes ou ne le sont pas.

Certes, les femmes, les mineurs et les interdits ont droit à la protection de la société. La société a un devoir à remplir envers eux; mais il faut éviter que ce devoir qu'on a à remplir à l'égard des incapables n'aille jusqu'à porter atteinte aux droits d'une autre partie de la société envers laquelle on a également des devoirs à remplir.

Aujourd'hui, on peut dire avec vérité que la moitié du sol de la Belgique est grevée d'hypothèques en faveur de l'autre moitié.

Ainsi, tous les biens des maris sont grevés d'hypothèques pour la sûreté des biens appartenant aux femmes.

Quant au tuteur, il faut éviter, quand déjà par la loi vous lui imposez une charge

gratuite qu'il ne peut refuser, de frapper en quelque sorte tous les biens d'interdit ; je ne veux pas que la précaution aille jusqu'à paralyser, quant au crédit, l'emploi d'immeubles considérables qui font partie intégrante de la richesse sociale.

Quant à l'hypothèque judiciaire, le gouvernement en propose la suppression. Sur ce point, il n'est pas d'accord avec la commission. La commission, tout en modifiant l'hypothèque judiciaire qui, comme vous le savez, est générale aux termes du code, cherche à en assurer la spécialité; je ne pense pas que, par la disposition qu'elle présente, elle arrive au but qu'elle se propose. Nous combattrons sur ce point l'opinion de la commission. L'hypothèque judiciaire est contraire aux principes de droit, contraire à l'équité, contraire à l'égalité entre les créanciers, et engendre des difficultés inextricables. Je ne fais qu'indiquer ces points; par cela seul que le gouvernement est en désaccord avec la commission, ils seront l'objet d'une discussion spéciale; c'est dans eette discussion qu'il y aura lieu de présenter les arguments qui militent en faveur de l'opinion du gouvernement.

Je crois devoir borner là mes observations. Déjà plusieurs amendements ont été présentés sur les grands points que je viens d'indiquer; c'est quand ils seront mis en discussion qu'il sera opportun de faire valoir les raisons qui doivent faire donner la préférence à l'une ou à l'autre opinion.

M. Thibaut. Je m'étais fait inscrire pour parler dans la discussion générale.

Si la chambre préfère suspendre la discussion des grandes questions que soulève le projet de loi, pour s'en occuper aux différentes parties auxquelles elles se rattachent, je ne m'y oppose pas.

Je demanderai que M. le président veuille bien m'inscrire à l'art. 44, qui concerne l'hypothèque légale.

M. de Theux.-M. le ministre de la justice pense que le projet de réforme du régime hypothécaire est de nature à amener vers la propriété cette abondance de capitaux qui, aujourd'hui, se dirige surtout vers l'industrie et le commerce.

Il pense que, dans l'état actuel de la propriété, la transmission des propriétés n'offre pas assez de sécurités; que, d'autre part, le créancier ne trouve pas non plus dans le prêt hypothécaire des sécurités suffisantes. Je désirerais qu'il fût vrai que les modi- | fications du régime hypothécaire pussent offrir cet heureux résultat de faire affluer

l'abondance des capitaux vers les campagnes. Mais, pour moi, je ne crains pas de dire que, quelles que soient les modifications que la chambre adopte, cet heureux résultat ne sera pas obtenu. J'en dirai les raisons en peu de mots.

D'abord, en ce qui concerne la transmission des propriétés, je pense que les sécurités existantes suffisent en général; et ce qui le prouve mieux que tout autre raisonnement, c'est le haut prix de la propriété foncière. Si des abus peuvent être commis, sous l'empire de la législation actuelle, à défaut de la réalisation des contrats translatifs de droits immobiliers, il faut rendre cette justice à la moralité du peuple belge, qu'il est infiniment rare qu'une aliénation soit accompagnée de fraude. C'est probablement là le motif pour lequel les capitaux ne font jamais défaut, quand il s'agit d'acquérir les propriétés foncières. Quant à la valeur des propriétés, je pense que la loi n'exercera aucune espèce d'influence.

Reste le crédit de l'emprunteur.

Ici, je dirai encore que ce n'est pas le manque de confiance dans le prêt hypothé caire qui est cause que ce genre de prêts est moins abondant pour l'agriculture que les prêts pour l'industrie et le commerce; car je pose en fait que, dans l'état actuel de la législation, le prêt hypothécaire offre beaucoup plus de garanties que les prêts commerciaux et industriels. Mais la véritable raison de cette différence est dans le profit que l'emprunteur peut retirer de ces emprunts. Ainsi le cultivateur, qui, à la sueur de son front, ne peut retirer qu'un faible intérêt du capital emprunté pour exploiter ou améliorer la propriété, ne sera jamais à même de payer, pendant de longues années, les intérêts élevés que le prêteur exige.

Dans le commerce et l'indutsric, il en est tout autrement. Là des bénéfices considérables peuvent être réalisés. Voilà pourquoi l'industriel, le commerçant, fait volontiers des emprunts pour étendre son industrie ou

son commerce.

Un autre motif pour lequel le prêt hypothécaire est de plus en plus rare, c'est le morcellement de la propriété. Il en résulte que le cultivateur, l'habitant de la campagne, ne peut plus emprunter que de faibles sommes. Or, le capitaliste n'aime pas à morceler ainsi son capital. Il préfère, lorsqu'il trouve des sécurités convenables, prêter son capital à un grand industriel, à un grand commercant, que le morceler entre une centaine d'habitants des campagnes qui ne peuvent

faire que des emprunts très-faibles, å cause du morcellement de la propriété, du morcellement de la culture.

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mariées et des mineurs, serait sans doute de nature à apporter beaucoup d'entraves à l'exercice du droit de propriété dans les mains des maris et des tuteurs.

D'ailleurs, messieurs, je pense que l'habitant des campagnes, le cultivateur, fera Cependant, je pense que la bonne inteltrès-sagement de recourir le plus rarement ligence qui règne généralement entre les possible à l'emprunt hypothécaire, car l'ex- gens mariés, au moins dans notre pays, est périence justifie que la plupart de ceux qui de nature à prévenir les obstacles que la loi se sont livrés à ces opérations pour étendre semble apporter aux transactions que le leur exploitation ou leur propriété, sont vic-mari pourrait faire relativement à ses biens times de la confiance qu'ils ont dans les bé- résultant de l'hypothèque légale de la femme. néfices qu'ils peuvent opérer au moyen de Quant à ce point, messieurs, il ne m'est l'emprunt. pas démontré que l'innovation proposée par le gouvernement soit bien conforme à nos mœurs; qu'ainsi, par exemple, il soit dans les convenances que la femme qui se maric ou ses parents prennent déjà des précautions vis-à-vis du futur époux, en stipulant d'une manière formelle des garanties pour ses capitaux présents ou futurs. Je crois, messieurs, que si la loi passe, l'expérience fera voir que cette disposition amènera ou l'abandon complet du droit de la femme, da peut-être provoquera, de la part du futur époux, des sentiments de susceptibilité qui seront de nature, soit à empêcher l'union de se conclure, soit à la faire contracter sous l'influence d'un refroidissement produit par des discussions de cette nature dans la famille.

Le prêt hypothécaire, messieurs, est accompagné de beaucoup de formalités trèsdispendicuses; et aujourd'hui que beaucoup de personnes, je dirai même la plupart des personnes, ont abandonné la constitution des rentes pour faire des prêts à terme, le paysan qui s'est aveuglément confié dans la fortune pour opérer le remboursement à l'époque voulue, se trouve déçu; n'ayant pu, pour cette époque, épargner le capital nécessaire pour faire le remboursement de cet emprunt, il a posé la cause première de sa ruine. C'est ce que l'expérience justifie pour quiconque connaît les faits qui se passent dans les campagnes.

Jedis donc, messieurs, que nous ne devons rous faire aucune illusion quant à la prospérité que la nouvelle loi hypothécaire peut apporter aux campagnes. C'est là, messieurs, une illusion complète.

Est-ce à dire pour cela que nous ne devons pas chercher à améliorer le régime hypothécaire? Non, messieurs; cela est loin de ma penséc. Toute amélioration qui pourra être apportée à nos lois, surtout à une loi aussi importante que celle du régime hypothécaire, doit être accueillie avec faveur.

La chambre examinera, dans le cours de la discussion, si toutes les modifications proposées par le gouvernement apportent des améliorations réelles.

Je dirai seulement qu'en ce qui concerne l'habitant de la campagne, qu'on a principalement en vue, je trouve, pour ne signaler qu'un seul article, que l'article 2 du projet va tout droit à l'encontre des intérêts de ceux qui ont à opérer des mutations de peu d'importance, mutations qui aujourd'hui peuvent se faire sous scing privé et qui, d'après le projet, ne pourront plus avoir lieu que par acte authentique.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point. La discussion spéciale de l'art. 2 fournira l'occasion de développer cette opinion.

L'hypothèque légale, au profit des femmes

Quant à l'hypothèque des mineurs sur les biens de leur tuteur, je ne vois pas non plus, messieurs, que jusqu'à présent il ait été démontré par l'expérience que les personnes qui ont eu à traiter avec des tuteurs aient eu beaucoup à se plaindre de l'hypothèque légale des mineurs. Je ne pense pas que l'on puisse dire que les biens des tuteurs aient été tellement grevés par le fait de leur gestion, que les intérêts de leurs créanciers hypothécaires en aient été compromis.

Toutefois, j'en conviens, cette partie du projet aura pour résultat de sublever la charge hypothécaire; mais, encore ici, l'intérêt des mineurs a obligé la commission et le gouvernement de proposer des mesures et des interventions qui seront, la plupart du temps, très-blessantes pour les tuteurs, et qui, je le dis encore, ne sont guère en harmonie avec nos mœurs. Quant à moi, messieurs, je suspendrai mon opinion sur l'abolition des hypothèques légales de la femme et des mineurs en attendant les lumières que la discussion pourra encore produire.

Je n'en dirai pas davantage pour le moment. Je tenais seulement à répondre aux observations générales présentées par M. Ic ministre de la justice.

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