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raison même des positions occupées par des adversaires rendus naturellement plus hésitants et plus circonspects par la résistance qu'ils auraient trouvée en chemin, diriger ses premiers coups contre Blücher, encore séparé de l'armée de Bohême. Il avait alors de grandes chances de lui infliger une défaite dont l'effet immédiat et les conséquences ultérieures eussent été d'autant plus considérables que cet échec aurait servi, aux détracteurs et aux ennemis du feld-maréchal, d'argument irréfutable pour anéantir à jamais son influence et pour imposer silence pendant tout le reste de la campagne aux voix qui, dans les conseils des souverains alliés, ne cessèrent de défendre et firent, en fin compte, triompher la cause de l'offensive. *

Observations sur le choix de Châlons comme point de concentration. On a d'autre part critiqué, mais à tort, d'après nous, le choix fait par l'Empereur de Châlons comme point de réunion générale des troupes qu'il rassemblait. On a prétendu, avec Clausewitz, qu'au lieu de se décider à combattre les Alliés entre la Marne et l'Aube, Napoléon aurait dû choisir dès le début de la campagne une position au sud-est de Paris et se concentrer dans le bassin de la haute Seine sur une position défensive, en arrière du canal de Bourgogne, près de Dijon, appuyée sur Auxonne et Besançon et couvrant la route de Paris à Lyon. Mais en admettant, même pour un moment, que Napoléon eût pris en personne le commandement des forces massées sur ce point, il n'aurait pu y amener et y réunir qu'une armée bien inférieure en nombre à celle de Schwarzenberg. De plus, au moment même où des considérations de toute nature lui imposaient le devoir de couvrir sa capitale, il aurait, en venant se poster sur ce point excentrique, ouvert à Blücher la route de Metz à Paris, abandonné sans défense la grande ville où grondait déjà sourdement un orage auquel lui seul était capable de tenir tête et fourni un argument sans réplique aux menées occultes des agents royalistes, aux intelligences que les émissaires des Alliés et des Bourbons y entretenaient, à l'agitation qu'ils y fomentaient et à l'opposition de plus en plus accentuée qu'ils avaient su y créer. Prendre position vers Dijon, s'éloigner de Paris au point de ne pouvoir, après avoir battu Schwarzenberg, revenir sur Blücher avant l'apparition des colonnes de l'armée de Silésie en vue de Paris, c'eût été

fournir à la coalition des armes dont elle n'eût pas manqué de se servir. Sans même essayer de reconstituer ce qui aurait pu se passer alors dans les conseils des souverains, il est permis d'affirmer que Blücher, cette incarnation vivante de l'offensive dans les armées alliées, aurait d'autant moins hésité à laisser Schwarzenberg supporter à lui seul tout le poids des efforts de l'Empereur, que dès le mois de novembre 1813, le feld-maréchal prussien et ses collaborateurs les plus intimes étaient déjà intimement persuadés qu'il n'y avait qu'un seul moyen d'en finir sûrement et rapidement avec Napoléon, et s'étaient infructueusement efforcés de convaincre les souverains de la nécessité, de la réussite certaine et de l'infaillibilité d'une marche immédiate sur Paris. En dépit des ordres les plus formels, malgré les échecs qu'aurait pu éprouver l'armée de Bohême, au risque de s'exposer en fin de compte, s'il eût été abandonné à ses propres forces, à une catastrophe et à un anéantissement complet, Blücher n'aurait pas manqué de profiter d'une circonstance qu'il appelait de tous ses vœux. Libre de toute entrave, prenant un élan nouveau, il ne se serait pas laissé détourner de la route directe et aurait poussé à marches forcées sur Paris qu'il aurait trouvé dégarni de troupes et livré sans défense à ses coups.

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Erreur de l'Empereur relative à l'effectif des armées. alliées. Il faut toutefois reconnaître que l'Empereur a commis une erreur de calcul et que, malgré la difficulté des temps et l'épuisement du pays, il se berçait d'illusions, lorsque à son retour à Paris, en novembre 1813, et plus tard, même en dépit de la résistance qu'il rencontra de la part du Corps législatif, il persistait à croire qu'il parviendrait, en soulevant le pays entier, à réunir en quelques mois une grosse armée à la tête de laquelle il lui serait possible de tenir tête aux masses des Alliés et de défendre victorieusement sur les champs de bataille les destinées de sa dynastie et l'intégrité du territoire national.

Ce n'est pas, comme l'a avancé Clausewitz, parce que ses conquêtes et ses triomphes passés l'avaient rendu aveugle et présomptueux et parce qu'il professait pour la valeur d'un adversaire. qu'il connaissait de longue date, un souverain mépris, qu'il ne rappela pas de Catalogne l'armée de Suchet; qu'au lieu de faire revenir le prince Eugène d'Italie, il lui prescrivit, au contraire,

de chercher à prendre l'offensive contre Bellegarde; qu'il laissa Maison tenir la campagne en Belgique et qu'il envoya même des troupes en Savoie, du côté de Lyon et sur l'Yonne. La politique a des exigences qu'un chef d'État ne saurait fouler aux pieds. N'ayant pas renoncé à l'espoir d'arriver, après une victoire, à une entente par la voie diplomatique, l'Empereur tenait à signer une paix honorable. Le grand homme de guerre qui avait promené à travers l'Europe ses aigles victorieuses, celui qui naguère encore tenait entre ses mains les destinées du monde civilisé, ne pouvait apposer son nom au bas d'un traité qui aurait avili la France et l'aurait humiliée en la réduisant au rang de puissance de deuxième ordre. Enfin, l'empereur Napoléon ne pouvait se résoudre à des concessions aussi dures qu'inutiles et se résigner à des sacrifices aussi pénibles que stériles; car, laissant même de côté la question dynastique, l'abaissement de la France, en détruisant l'équilibre européen, loin d'assurer la paix au monde, aurait donné naissance à de nouvelles complications et amené à courte échéance de nouveaux désastres et de nouvelles guerres. L'empereur Napoléon, dans la situation que deux campagnes malheureuses, suivies de l'entrée en France des Alliés, lui avaient faite, ne pouvait plus que chercher à rassembler les forces strictement suffisantes pour livrer le plus tôt possible aux Alliés une bataille offensive, par cela même qu'il lui fallait avant tout provoquer un résultat décisif.

Les fautes commises par les maréchaux et l'obligation dans laquelle il s'était trouvé de masser ses troupes à Châlons, à cause de la disposition des esprits à Paris, ne lui laissaient plus d'ailleurs, du moment où ses adversaires étaient arrivés sur les bords de la Marne, la possibilité de retarder une bataille qu'il avait au contraire intérêt à livrer dans le plus bref délai possible. Il importait, en effet, de prévenir une concentration générale des Alliés et de les empêcher de se faire rejoindre par les corps poussés sur Saint-Dizier, Vassy et Joinville, par ceux qui venaient de Chaumont et des environs de Troyes, et par ceux qui, comme Wittgenstein et York, arrivaient de la Sarre et de la Moselle ou qui auraient pu être rappelés de Dijon, comme ceux placés sous les ordres du prince héritier de Hesse-Hombourg.

Motifs de la marche de l'Empereur sur Saint-Dizier.

A son arrivée à Châlons, Napoléon trouve l'armée alliée en train de se masser sur l'Aube. Il prend aussitôt le seul parti rationnel et logique celui de se porter de suite contre les troupes les plus rapprochées de lui. Il espère parvenir encore à réparer les fautes de ses lieutenants en tombant sur les corps alliés avant qu'ils aient pu achever leur concentration. Il veut écraser ce qu'il rencontrera à Saint-Dizier et se porter immédiatement contre Blücher, encore seul à Brienne.

Il nous semble, en effet, que si l'Empereur a commencé par marcher sur Saint-Dizier, c'est évidemment parce qu'il se ménageait, de cette façon, une dernière chance de tomber sur les colonnes ennemies échelonnées le long de la Marne, vers Chaumont et Langres. Avec ce coup d'œil qui lui permet d'apercevoir ce qui échappait à tout autre, avec cette rapidité de conception qui est le propre de son génie, avec cette décision immédiate, mais raisonnée cependant, à laquelle il a dû tant de victoires, nous le verrons changer ses ordres dès le moment où il aura connaissance de la marche de Blücher vers l'Aube, que le feld-maréchal se propose de passer à Lesmont, et, sans perdre une minute, il lui courra sus par la route directe de Montieren-Der.

Ce sont là autant de mesures qu'il est obligé de prendre séance tenante, parce que, jusqu'au moment même de son arrivée à Châlons (la correspondance est là pour le prouver), aucun des maréchaux n'a songé à chercher à découvrir les intentions et les mouvements de l'ennemi. Et cependant on a reproché à l'Empereur une irritabilité nerveuse et des emportements bien naturels et bien explicables en présence de l'apathie et de la mollesse de ses lieutenants, en présence de la gravité de la situation, en présence des soucis dynastiques et des préoccupations militaires sous le poids desquels tout autre que lui aurait succombé.

Pour prendre un parti définitif, il n'avait manqué à l'Empereur que la connaissance exacte de la situation et que des renseignements qu'il va se procurer en personne. Sa présence va réveiller le patriotisme des populations, rendre au soldat la confiance dans ses chefs et imprimer aux opérations cette direction forte, énergique et unique dont elles avaient été privées par les rivalités et les dissentiments des maréchaux.

Situation au quartier général des Alliés. - Arrivée de l'empereur de Russie. Si l'arrivée de Napoléon à l'armée allait mettre un terme aux incertitudes, aux timidités et aux hésitations, la présence à Langres de l'empereur de Russie, où il était depuis le 22, ne devait pas suffire pour assurer aux opérations des Alliés une cohésion et un ensemble qu'il est toujours difficile d'obtenir dans une armée composée d'éléments aussi multiples, pour faire taire les compétitions de toute nature, pour réfréner les courants divers qui, se manifestant à tout moment jusque dans l'entourage immédiat des souverains, influaient fatalement sur leurs déterminations, et surtout pour investir le généralissime d'un pouvoir réel, au lieu de l'autorité purement nominale qu'il avait exercée jusque-là. Alexandre Ier n'était pas le seul qui fût arrivé à Langres. Le roi de Prusse l'y avait rejoint le 25 janvier, et l'empereur d'Autriche lui-même avait suivi ce dernier à vingt-quatre heures d'intervalle. Tous ces princes traînaient avec eux un innombrable état-major de militaires et de diplomates, le prince Wolkonsky, Knesebeck, Nesselrode, Metternich, Stein, Hardenberg, Pozzo di Borgo et jusqu'aux représentants de l'Angleterre, lord Castelreagh, lord Aberdeen et sir Charles Stewart. On ne doit donc pas s'étonner si les moindres résolutions donnaient lieu à des discussions sans fin, si les moindres projets présentés à cet aéropage, aussi nombreux qu'hétérogène, demandaient de longues délibérations, et si les partisans de l'offensive, Blücher et son état-major, récriminaient à tout instant contre les lenteurs du quartier général, contre le caractère vague et terne d'instructions qui leur parvenaient la plupart du temps trop tardivement. Depuis l'arrivée des souverains, d'abord à Langres, puis à Chaumont, les hésitations s'étaient encore accrues et les divergences d'opinion s'étaient d'autant plus accentuées que le plan primordial d'opérations, qui seul avait été soumis aux souverains et qui seul avait reçu leur approbation, n'avait pas prévu la continuation des opérations au delà du plateau de Langres. Aussi, bien que nous ayons, au chapitre II, consacré quelques pages aux singulières relations des généraux alliés; bien que nous ayons, dans ce chapitre comme dans le suivant, indiqué sommairement les divergences d'opinion qui séparaient Blücher et Schwarzenberg, il importe, au point où nous en sommes, d'insister davantage sur cette question et de chercher à se rendre

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