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produite par un repas trop voisin du coucher, on doit supprimer ce repas, ou au moins manger peu; s'il dépend d'influences morales, d'excès d'études, l'indication se présente d'ellemême. Si ce sont les viscères thoraciques ou abdominaux qui, par leur état de souffrance, exercent une réaction fâcheuse sur le cerveau, il faut guérir ces organes; le cauchemar est-il le symptôme d'une affection cérébrale, telle que la folie, l'hystérie, l'hypocondrie, ce sont ces maladies qu'il faut trai

ter.

Nous terminerons cet article par une description de la maladie qui en fait le sujet. Cette description, pleine de vérité, est empruntée à l'ouvrage que nous avons cité en commençant.

<< Au milieu de son sommeil, et généralement dans la première moitié de la nuit, un individu est pris d'une oppression très-grande; c'est avec peine qu'il peut dilater sa poitrine, pour y introduire une certaine quantité d'air; au centre épigastrique, il sent une constriction excessive; en songe, il croit qu'un corps pesant et volumineux repose sur son ventre et sur son thorax, et son imagination donne à ce corps une forme, un caractère particulier : tantôt c'est un cheval monstrueux, un homme difforme, une vieille femme qui semble bondir sur le corps du patient et y reposer de tout son poids; tantôt c'est un fantôme, un démon qui vient l'embrasser fortement, et lui faire subir une sorte de strangulation'; pour celui-ci, c'est un singe énorme qui s'est introduit furtivement dans l'appartement et s'est glissé sous la couverture du lit; pour celui-là, c'est un chat, un gros chien. D'autres fois le patient a été transporté sur le bord d'un précipice; il veut fuir; mais une main ennemie le retient et paralyse ses mouvements. En butte à une position aussi cruelle, le malheureux, atteint de cauchemar, veut échapper au danger, mais il ne peut se mouvoir; il veut appeler à son aide, et reste sans voix ; il veut éloigner ce songe affreux, et demeure sous son influence. Son anxiété est extrême, il s'agite enfin avec violence, il laisse exhaler des cris confus, de sourds gémissements; enfin il se réveille en sursaut, le corps couvert de sueur, en proie à des palpitations violentes, à une céphalalgie intense, quelquefois à un violent mouvement fébrile, et il ne reprend le libre exercice de ses sens, il n'échappe au sentiment de terreur et de peine qui l'accable, qu'après plusieurs minutes passées dans un état de rêvasseries con. fuses. Le reste de la nuit s'écoule, sans qu'il puisse retrouver le sommeil, ou, s'il le retrouve, ce sommeil est léger et peu réparateur. Parfois, cependant, il retombe dans un accablement profond, et y est de nouveau assailli par les mêmes terreurs.

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Le lendemain, à son réveil, le malade accuse une grande faiblesse, un sentiment de courbature; des douleurs contusives se font sentir dans tous les membres; l'intelligence n'est pas libre; il se plaint de pesanteur de tête, d'inaptitude au travail; il mange sans appétit, et passe ainsi toute sa journée dans un état de malaise général. »

Il s'en faut cependant que tous les accès de cauchemar se présentent avec une série de symptômes aussi effrayants; le plus souvent, ils ne durent que quelques minutes; le réveil est d'autant plus prompt, que l'état de malaise a été plus prononcé ; et si le sommeil ne revient plus aussi profond que d'abord, cependant quelques heures de repos suffisent pour faire oublier au malade l'accident qui lui est survenu.

C. LEBLANC.

CAUSE. (Philosophie.) Une de ces notions universelles que nous trouvons à l'origine et au terme de toutes nos connaissances; principe d'activité, de génération, de production, de composition, élément, force, pouvoir, faculté, sujet, condition, occasion, motif, but, intention, tout ce qui implique priorité d'existence liée à un commencement ou changement. Nous allons indiquer rapidement les principales opinions sur la nature des causes, comme phénomènes du monde physique et du monde intellectuel; nous tâcherons d'en déterminer la notion, et nous ferons quelques réflexions sur les égarements où l'imagination a toujours été entraînée par les fausses inductions qu'elle tire de l'ordre moral à l'ordre physique.

La connaissance des causes étant le but et le fondement de la raison, doit en contenir les deux extrêmes, l'expérience et la philosophie. L'expérience recherche les causes prochaines qui sont les principes des arts; la philosophie, les causes éloignées qui sont les principes des sciences. L'investigation des causes premières caractérise la philosophie des peuples anciens et celle des premiers temps de la Grèce. Socrate s'occupe des causes morales, et ouvre ainsi une route plus importante à la raison. La dialectique envahit le domaine presque entier de la philosophie; on s'attache plus à la classification des causes qu'à leur recherche. Aristote les résume, il les répand dans ses ouvrages, en fait la base de ses traités, et définit la science, la connaissance des causes éternelles qui constituent l'essence des choses. Les Ioniens avaient poursuivi les causes efficientes ou productrices dans les éléments de la matière; les éléatiques, physiciens suivis par Épicure, dans des corpuscules primitifs; Pythagore, Anaxagore, Platon, dans un esprit actif et intelligent; Héraclite, et Zénon après lui, dans le feu élé

mentaire. Tous avaient admis une matière première, sujet passif des existences, une forme, un principe actif, une cause efficiente qui formait leur union, et, à la réserve des atomistes, une cause finale ou force inhérente aux êtres, qui les déterminait vers un but réel et positif. Cette dernière cause était le destin. Le hasard rompait la chaîne des existences et produisait les événements sans liaison. Le destin était l'enchaînement nécessaire des êtres et des lois auxquelles ils sont assujettis; le hasard, la cause aveugle de tout ce qui arrive hors des voies préfixes et régulières; il différait de la fortune en ce que celle-ci n'avait lieu que dans les actions des natures qui agissent par choix, et qu'elle était la cause du bonheur ou du malheur qui arrivent à l'homme. Le hasard présidait aux événements du monde matériel, la fortune à ceux du monde moral.

Aristote réunit sous trois chefs toutes les puissances douées de l'énergie de cause : la nature, la nécessité ou le destin, et le hasard, auxquelles il ajouta l'esprit humain, et il forma, selon leurs différentes manières d'agir, quatre classes de causes: deux extérieures, la cause efficiente et la cause finale; et deux intérieures, la matière et la forme, auxquelles il joignit la privation, comme condition nécessaire de leur union. Ces causes qu'il reproduit sous une multitude de modes, tels que ceux de cause singulière et universelle, actuelle et virtuelle, simple et composée, antérieure et postérieure, prochaine et éloignée, principale et instrumentale, essentielle et accidentelle, première et seconde, libre, nécessaire, inhérente, passagère, et bien d'autres, peuvent être regardées comme le fond et la substance de l'ancienne philosophie, quoiqu'elles ne fus. sent pas entendues par tous les philosophes semblablement. Héraclite, Aristote, Zénon, soumettent la divinité, cause efficiente, à la nécessité ou au destin, cause finale; Platon soumet le destin à la divinité. Tous admettent le hasard avec les atomistes, mais ils le font coexister avec le destin: Pythagore le bannit du gouvernement des cieux et le laisse subsister sur la terre, où il lutte avec l'homme, la nature et le destin: Héraclite lui accorde la plus grande part dans l'empire de l'univers; Platon le relègue avec le désordre dans l'âme du monde; et Aristote, qui borne l'action du premier moteur à la sphère des cieux, luí abandonne en partie le monde sublunaire uni au monde supérieur par une espèce de sympathie.

Les péripatéticiens et les scolastiques, héritiers de l'esprit analytique d'Aristote, abandonnent les causes premières. La théologie se sépare de la physique; l'on s'occupe plus spécialement des causes secondes. On cherche les causes physiques dans les quatre éléments,

les six qualités des corps et les effets du mouvement; et les causes morales, dans la nature de l'âme et de ses facultés. On assigne les causes des quatre branches de la philosophie; de la physique, dans les qualités sensibles des êtres; de la métaphysique, dans les attributs essentiels, d'où découlent les propriétés secondaires; de la logique, dans les prémisses qui renferment la conclusion; de la morale, dans les déterminations libres de la volonté d'après le jugement de la raison. L'on décrit les circonstances et les conditions qui circonscrivent l'action de toutes les forces, et l'on en forme autant de causes particulières, que l'on prodigue dans toutes les sciences naturelles, morales, intellectuelles et dans les arts. On définit par les faits quand l'observation simple les découvre, car on ne sait pas encore interroger la nature par l'expérience quand les faits manquent; plutôt que de manquer de cau. ses, on imite ou l'on ressuscite les causes occultes des anciens : les vertus intrinsèques, les formes substantielles, les propriétés des nom. bres, les sympathies, l'horreur du vide, les forces attractives et répulsives, expansives et compressives, les essences, les accidents, les propriétés spécifiques, et toutes les qualités imaginaires, dont Molière et Fontenelle se sont

plaisamment joués. Cependant la doctrine des causes finales qui, dans les écoles de Platon, d'Aristote, de Galien, était venue si souvent au secours des causes physiques, avait pris un grand développement sous l'influence de la théologie scolastique : les formes intentionnelles avaient été maintenues. On continue de poser en principe que la nature agit toujours par les voies plus simples, qu'elle ne fait rien en vain, qu'elle choisit en tout les voies les plus sages, que l'art consiste à la suivre, et bien d'autres axiomes de la même évidence, d'autant plus irréfragables qu'il était établi parmi les docteurs qu'il ne faut pas disputer des principes.

Cependant la méthode d'observation avait fait tomber dans le discrédit les qualités occultes; les causes finales eurent le même sort. Bacon en dénonça l'abus dans la physique; Descartes les en bannit, mais pour substituer la cause première aux causes secondes. Il avait dit: Donnez-moi la matière et le mouvement, et je construirai le monde ;- et la matière et le mouvement n'étaient pour lui que les occasions ou les conditions des phénomènes que Dieu produit incessamment par les actes de sa volonté. Descartes, physicien, semble avoir trop séparé Dieu de la nature; Descartes, métaphysicien, l'en a trop rapproché, et il a donné lieu aux deux systèmes de Spinosa et de Malebranche, dont le premier suppose que tout est Dieu, et le second que Dieu est tout. Les causes occasionnelles étant les conditions selon lesquelles

Dieu produit les effets naturels, le philosophe doit sans doute étudier ces conditions; il doit étudier les lois du choc des corps, du mouvement des astres, les motifs qui agissent sur la volonté, les modifications que nos organes font subir à nos sentiments et à nos pensées. Sous ce rapport, rien n'est changé; mais que gagnent les cartésiens à dépouiller les faits du titre de cause véritable? Savonsnous mieux comment Dieu peut agir immédiatement sur la matière, que comment le mouvement peut passer d'un corps à un autre? comment Dieu modifie notre âme, que comment l'âme peut agir sur le corps ? N'est-ce pas remplacer un mystère par un autre mystère? n'est-ce pas dénaturer la physique que de placer les causes secondes dans la volonté de Dieu ? Est-il plus digne de sa majesté d'agir par des lois particulières, d'après des conditions préexistantes, que par des lois générales établies par un décret primitif, comme si après avoir posé les conditions, son assistance était encore nécessaire, et qu'au lieu d'une seule action, il eût eu besoin de deux? Aussi Leibnitz fut-il mécontent de l'hypothèse de Descartes. Il prit une autre route; mais il ne sortit point de la théologie. Il prit son fondement dans la raison suffisante des choses et raisonna à priori comme Descartes. Les anciens disaient: Nul effet sans cause; Leibnitz dit: Nul effet sans raison suffisante, c'est-à-dire sans la raison de Dieu; et pénétrant les desseins éternels dans la formation de l'univers et les lois particulières qui le régissent, il rappela les causes finales exilées par Descartes, et les fit entrer dans toutes les explications de l'ordre naturel. Il est curieux de le suivre dans cette série de déductions, par lesquelles, partant de la raison suffisante, il arrive à idéaliser la matière, et à transformer le monde physique en un monde phénoménal. Voltaire a parfaitement jugé le grand principe de Leibnitz; il a montré qu'il n'avait fait que substituer sa raison individuelle à la raison universelle des choses, et ses plaisanteries ont plus contribué à ruiner son système théologique, que n'ont fait les docteurs de l'école par leurs graves réfulations.

Jusqu'ici nous avons contemplé les causes dans l'usage que les philosophes en ont fait pour l'explication des phénomènes; mais nous n'avons point touché au phénomène intérieur des causes; nous n'avons point abordé la causalité. Ici commence une série d'opinions d'un nouvel ordre : les anciens supposèrent la notion de cause et ne l'analysèrent pas; soit qu'elle leur fût suggérée par le sentiment du mouvement volontaire ou par la vue du mouvement extérieur, ils expliquaient à priori les effets naturels. Socrate plaça la cause comme principe de connaissance dans l'induction, c'est-à-dire, dans la conclusion que nous ti

rons de la réunion de plusieurs faits du meme genre. Les ressemblances de plusieurs faits donnent une loi générale, et cette loi, ce fait général déduit de l'observation, est pour nous la cause des faits particuliers qui y sont contenus. Platon adopta cette opinion pour les connaissances probables, mais non pour la cause de la science, qu'il plaça dans la contemplation des idées éternelles auxquelles l'esprit pur peut s'élever. A l'égard des dialecticiens et des sophistes, la cause ne fut pour eux qu'un lieu commun d'une très-grande fécondité. Aristote la classa dans la catégorie de relation, il en fit une des espèces universelles unies aux objets, que l'esprit en détache par abstraction. Les scolastiques procédèrent différemment : loin de former les idées générales sur les rapports connus entre les individus, ils s'élevèrent tout à coup à l'unité absolue, et crurent poser le principe fondamental de la science; ils partirent de la notion universelle de l'être, et ils formèrent les êtres particuliers par des déductions syllogistiques. L'essence du genre fut constituée par la réunion des propriétés fondamentales des êtres ; l'essence de l'espèce, par la réunion des propriétés secondaires; celle des espèces inférieures, par des degrés de plus en plus resserrés, jusqu'aux propriétés particulières qui formaient les individus : telle était l'échelle des réalités ou des natures graduelles de l'être, dont la formation était appelée composition métaphysique. Les causes, selon leur extension, étaient comprises dans ces différents degrés; c'étaient des causes ontologiques ou nominales. Tous les scolastiques ne formaient point toutefois les idées générales de la même manière; plusieurs retenaient les espèces d'Aristote et furent appelés réalistes; ceux qui formaient les idées générales par composition eurent le nom de nominaux.

Distinguons l'idée de cause de sa notion; la première est particulière, la seconde est générale, pour ceux des anciens qui fondèrent la connaissance sur le rapport des sens; et pour les modernes, leurs disciples, Hobbes, Gassendi, Locke, Hume, Bonnet, Condillac, l'idée particulière de cause est enveloppée dans la sensation ou dans la volonté, dont la sensation est le motif. Elle est comprise dans les modes de la pensée, pour ceux qui attribuent à l'âme des idées exemplaires constitutives de la science, tels que Platon, Descartes, Malebranche, Leibnitz, Berkley, et Kant. La notion de cause se développe conséquemment à chacune de ces deux origines. Nous connaissons la source où Platon, Aristote et les scolastiques en puisaient les éléments; les modernes partisans de la sensation les puisèrent dans l'abstraction; mais nul n'avait douté que l'idée de force ou d'efficacité n'en fût une

des conditions essentielles. Hobbes, qui réduisait toutes les idées abstraites à de purs noms, fut un des premiers qui contestèrent le sens que la science et l'opinion avaient toujours donné au mot cause. Il assura que nous n'apercevons que des successions de phénomènes, et que toute notre connaissance se réduit à la perception de leur constante liaison.

Après lui, Malebranche, qui ne voyait que des causes occasionnelles à la place des causes naturelles, ne découvrit dans les choses que des connexions de faits, dont la volonté de Dieu, par une efficacité actuelle et persévérante, produit la liaison. Berkley, n'admettant de réalité que celle du Moi et de ses modifications, ne conçoit que des liaisons apparentes de phénomènes. Hume, qui n'admet pas même de Moi, mais des associations d'idées, ne voit dans l'expérience que des successions de faits; et c'est l'habitude que nous avons de la perception de ces successions qui, selon lui, nous fait croire à une liaison nécessaire. La manière subtile et ingénieuse dont ce paradoxe fut exposé, et le développement qu'il reçut pour la première fois, étonna tous les esprits. On fut surpris d'apprendre que l'i. dée de liaison nécessaire attribuée à la cause n'est qu'un préjugé de l'habitude. Reid et Kant sentirent le besoin de remonter à l'origine de la connaissance; ils reconnurent que les prin. cipes d'où Hume était parti, fondés sur la sensibilité, n'offraient aucune base nécessaire, et que pour rendre à la cause l'idée de récessité qui la constituait, il fallait lui assigner un autre fondement. Reid en fit une loi de l'intelligence, Kant une catégorie de l'entendement.

Consultons les indications de la conscience et les inductions de la raison. L'idée de cause se produit d'abord en nous par les impressions de la nature extérieure et par les déterminations de la volonté. Sous le premier rapport', nous nous sentons dominés par une force étrangère; sous le second, nous nous sentons forcés nous-mêmes et capables de produire des effets. Passant du sentiment à l'observation, nous remarquons certains faits succéder constamment à certains autres, de telle sorte que nous sommes portés à attribuer une force génératrice ou productrice à ceux qui nous ont apparu les premiers. Le sentiment de l'efficacité de nos actes, l'opinion de l'efficacité du mouvement et des propriétés naturelles des corps, sont-ils des préjugés de l'habitude? n'impliquent-ils qu'une simple succession de faits? Il est vrai que nous n'avons point naturellement l'usage de nos membres; il faut que nous apprenions à nous servir de notre corps, et primitivement la volonté n'est point liée au mouvement de nos organes; nous ne pouvons donc sentir, dans les commenceENCYCL. MOD.

T. VIII.

ments de la vie, cette liaison. Mais peu à peu nous acquérons la conscience de notre existence, nous nous sentons liés à notre corps, et nous comprenons la coïncidence qu'il y a entre un acte de notre volonté et un mouvement de nos membres. Alors commence en nous le sentiment de puissance renfermé dans l'idée de volonté : alors, vouloir, c'est pouvoir ou avoir le sentiment de son pouvoir. Avant que les organes se soient exercés, il ne peut y avoir de liaison sentie entre eux et la volonté, et l'on peut présumer que la volonté n'existe point encore; mais dès l'instant que, par des mouvements répétés, l'enfant saisit dans sa pensée la corrélation de ses actes et de sa volonté, il tient le principe et la conséquence; il sent qu'il peut, parce qu'il veut vouloir et agir pour lui ne sont pas une pure succession de faits, ce sont deux faits produits l'un par l'autre. Le sentiment qu'il en a n'est point un sentiment acquis par l'habitude; il commence avec le premier acte volontaire que l'enfant exerce sur ses organes, avec la première idée qu'il a de sa volonté.

L'homme trouve donc primitivement en lui l'idée de force comme être actif; mais il l'avait auparavant trouvée hors de lui comme être passif; car il a été sensible avant de vouloir.; il a éprouvé l'action des corps extérieurs, avant de savoir qu'il avait sur eux quelque empire. Il a dû se sentir effet, avant de sentir qu'il était cause. Les corps nous sont connus d'abord comme objet de sensation, bientôt ils le sont comme objet d'action, et plus tard ils le sont comme objet de pensée; alors nous leur attribuons une force motrice et des qualités dont l'énergie nous annonce infailliblement un effet. Cette énergie ne peut se maninifester avant l'observation que nous en avons faite; mais du premier instant que nous en avons remarqué l'application à un fait postérieur, elle a toute la force d'un jugement qui n'acquiert rien par l'habitude. Les signes de cette énergie effective dans le mouvement des corps solides sont la masse et la vitesse, dans le feu la chaleur, dans les substances chimiques la fermentation, dans les substances alimentaires la saveur, dans les corps organisés la circulation des fluides, et ainsi des autres. Sans doute il n'y a rien d'homogène entre la masse du corps choquant et le mouvement du corps choqué, entre les principes des substances chimiques et les effets de leur fermentation, entre l'aliment et la nutrition qu'il opère, entre la substance du feu et l'action qui réduit le bois en cendres; mais ce n'est pas d'analogie de modifications ou de qualités de substances qu'il s'agit, c'est d'analogie d'action ou de cause et d'effet. Nous ne pouvons donc faire abstraction des pro

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priétés actives des corps, pour ne voir que de pures successions dans les phénomènes qu'ils opèrent ou de simples connexions de temps et de lieu. L'expérience nous apprend qu'il y a dans les corps des propriétés capables de produire des changements; et l'étude réfléchie de la nature démontre que les effets produits retiennent toujours quelques propriétés de leurs principes; cette loi est le fondement de toutes les sciences dans lesquelles on cherche un effet, bien différentes de celles où l'on cherche une simple classification de qualités ou de caractères. Celles-ci sont fondées sur l'analyse descriptive des faits, celles-là sur l'analogie d'action ou d'opération.

L'idée de cause nous est donc suggérée primitivement par le sentiment, par la volonté, et par les perceptions des sens. La notion de cause sera le résultat du concours de nos facultés; elle résultera des actes de mémoire, de jugement et de raisonnement recueillis et fixés par le langage, ou elle sera une notion primitive de l'intelligence, de telle sorte toutefois que nulle idée ne pouvant naître que du concours de l'expérience, cette notion ne se manifestera que par les impressions du sentiment, par les actes de la volonté ou par les perceptions des sens. En suivant la série des effets dans l'ordre de nos déterminations, nous parvenons au Moi on à la volonté, premier acte, qui n'a point d'antérieur, et qui, par son énergie, commence la chaîne de nos actes; de même, en suivant la série des effets de la nature, nous parcourons une série qui se perd dans l'infini, si nous ne nous arrêtons à un principe distinct doué d'une activité propre, d'une puissance antérieure à tous les effets.

La cause, dans sa source la plus élevée, est donc ce qui commence tous les effets, ce qui est la condition première de toute existence. La substance ne peut lui disputer la priorité dans l'ordre des êtres. La substance, revêtue de ses modes, est l'ordre des coexistants; la cause, accompagnée de ses effets, est l'ordre des successifs; elle est à l'origine de la succession et implique l'idée de puissance. Celui qui admet l'éternité des choses, se fondera sur la notion universelle de substance; mais celui qui leur donne un commencement, se fondera sur celle de cause. Si Descartes fût parti de ce premier fait, au lieu de partir de celui de substance, Spinosa n'aurait point été conduit à imaginer son système; il n'aurait pu envisager tous les êtres comme substantiellement identiques; il aurait été forcé d'en admettre nécessairement deux substantiellement différents.

Nous ignorons la nature intime des forces'; mais nous sentons que nous exerçons des forces, et nous observons que les êtres existants hors de nous produisent des effets absolument

semblables à ceux que nous produisons. Cette analogie est pour nous le plus haut degré de certitude, et la notion que nous en déduisons, est d'autant plus vraie, d'autant plus exacte, que nous la formons sur des faits sensibles ou moraux réellement éprouvés, que nous savons nous garantir des fausses analogies dans les causes particulières et des fausses inductions dans les causes générales. Le sophisme le plus commun de la raison est de prendre pour cause ce qui ne l'est pas ou de prendre pour telle un fait concomitant; c'est à ce funeste préjugé que sont dues les superstitions qui, dans tous les temps, ont obscurci la raison humaine et ont fourni des armes si puissantes à ses ennemis. Nous distinguerons donc les liaisons accidentelles des faits, de leurs liaisons nécessaires. Nous ne méconnaîtrons pas l'analogie du spectacle de la nature avec les productions régulières de l'art humain; nous ne douterons point que les yeux ne soient pour voir, les oreilles pour entendre, les substances alimentaire pour nous nourrir, les pluies pour rafraîchir la terre, la terre pour nourrir les plan. tes, le soleil pour échauffer tous les êtres, puisque dans l'ordre actuel, ces fonctions sont les conditions de leur conservation. Mais hors les cas d'une expérience usuelle, nous ne nous croirons pas autorisés à porter dans les sciences les jugements puisés dans le caractère des opérations de notre esprit, et nous rejetterons alors avec Buffon l'usage des causes finales. Chaque science doit être traitée selon ses principes. Toutefois l'étude de la nature nous découvre entre ses effets des rapports et une harmonie dont l'analogie avec notre intelligence nous frappe d'une vive admiration, et nous en sommes d'autant plus touchés, que nous pénétrons plus profondément dans ses secrets. Alors, du sein de la science s'élève cet hymne à l'architecte suprême de l'univers, que Newton regardait comme le meilleur argument de son existence. Alors les causes finales peuvent se rapprocher des causes physiques, et même leur fournir d'heu renses conjectures et d'utiles inductions.

Rien n'arrive sans cause, c'est l'axiome de la raison, et lorsque la cause nous est inconnue, nous l'attribuons au hasard. Toujours les hommes ont été portés à donner une réalité à ce mot; or, en réfléchissant sur les résultats que nous attribuons à ce pouvoir mystérieux, nous y voyons des événements subits et ino. pinés, qui arrivent de manière qu'ils pourraient arriver autrement. Nous y découvrons tous les signes d'une cause capricieuse, qui échappe aux combinaisons de la raison, tous les caractères d'une volonté sans jugement. C'est dans les actes où nous nous affranchissons de toute règle et de toute raison que l'idée du hasard nous est suggérée ; et si du hasard arti

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