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pu prendre sur moi d'entretenir au fond de mon âme une haine, un désir de vengeance, ni même. une rancune. Je n'ai jamais, si j'excepte les outrages qui blessent l'honneur, suivi le conseil de ce vers de Corneille traduit de Sénèque :

Qui pardonne aisément invite à l'offenser.

Quelques critiques m'ont reproché cet excès de bienveillance. Je prétends que la bienveillance et l'impartialité sont de notre temps. Pendant le dixhuitième siècle, blasé, oisif, la satire était presque un besoin pour la société. Quand on n'a rien à faire, on ne trouve rien de mieux que de médire du prochain. Depuis une trentaine d'années, notre société se préoccupe, au contraire, d'intérêts matériels, et s'est faite laborieuse. Elle montre plus de goût pour les faits que d'admiration pour les phrases; elle recherche la vérité.

Il y a plus un écrivain qui ose, devant le public, défendre ses intérêts personnels blessés, et lui faire confidence de ses ressentiments, n'excite ni sympathie ni commisération. Les plus hautes intelligences sont d'ordinaire mal inspirées lorsqu'elles n'obéissent qu'à des instincts égoïstes. La défense d'un intérêt public, la défense de l'huma

nité, au contraire, en exaltant le cœur, élèvent aussi l'esprit.

Cette bienveillance dont on m'a fait reproche, en termes indulgents à la vérité, était donc un parti pris à l'avance.

La seconde question que je m'adressai fut celleci: Ai-je quelque chose à dire, à apprendre au public? - Oui.

Les heureux hasards de ma vie m'avaient mis en situation de voir de près beaucoup de choses et beaucoup d'hommes de mon temps: choses et hommes singuliers ou remarquables. De nombreuses relations assez intimes avec des personnages politiques ayant servi divers gouvernements m'assuraient de curieuses révélations et des renseignements précis sur plus d'un fait devenu historique. Des documents nombreux, des papiers de famille de la branche aînée et de la branche cadette des Bourbons étaient, en outre, tombés entre mes mains. Je ne pouvais songer à me faire historien; le talent et l'autorité me manquaient. J'ai donc encadré ces matériaux si précieux pour l'histoire dans des récits familiers, rapides, mais où du moins je n'ai jamais exagéré ni amoindri la vérité.

Peut-être ces Mémoires seront-ils un jour utiles

à ceux qui écriront l'histoire de la première moitié du dix-neuvième siècle, et seront-ils consultés par eux. C'est le seul honneur auquel puisse prétendre et qu'ait ambitionné ma plume sans expérience et inhabile.

Quelle que soit la destinée de mon œuvre, je devrai à ce long travail d'avoir traversé sans plainte, avec résignation, cette difficile transition entre une vie militante et une situation désarmée. Chacun naît avec des instincts, avec des besoins de repos ou d'activité. Il m'a fallu, toute ma vie, sinon me jeter dans des aventures, du moins tenter d'incessantes et de nouvelles entreprises. Toutefois, je puis dire que la cupidité n'était pas l'aiguillon qui me harcelait. Entreprises littéraires, entreprises théâtrales, campagnes politiques dans des temps de révolution, ne sont pas les chemins les plus sûrs pour atteindre la fortune, assez fantasque, mais qui, cependant, prend souvent les mêmes routes. Le long des chemins divers que j'ai suivis, on trouve plus à moissonner pour les plaisirs et les satisfactions de l'intelligence, que pour assouvir cette triste monomanie d'accumuler des richesses. Certes, ce n'est pas non plus, par le temps qui court, marcher sur les brisées d'un Pereire ou d'un Rothschild, que de consacrer plus d'une année de

sa vie à écrire six volumes, pour s'exposer, peutêtre, au dédain d'un public distrait, dont la sympathique attention est d'ailleurs si légitimement réclamée par nos écrivains en crédit.

Quelques-uns s'étaient d'abord imaginé que je demanderais le succès de ces Mémoires à des indiscrétions sans mesure et à l'attrait du scandale. Ce n'eût été ni respecter le public ni me respecter moi-même. Vous ne nous dites pas tout ce que vous savez, me reproche-t-on quelquefois. — Cela est vrai; mais si ces Mémoires obtiennent quelque approbation des honnêtes gens, ce sera peut-être moins pour ce qu'on y trouve que pour ce qu'on n'y trouve pas. C'eût été bien certainement donner une fausse idée des quarante dernières années de notre temps que d'accorder trop de place à ces excentricités de vices et de scandales qui se reproduisent à toutes les époques, et, comme des gaz impurs, montent, se dégagent à fleur d'eau, sans laisser trace de leur passage. Répudiant toute ressemblance de mœurs et de goûts avec le dix-huitième siècle, nous ne portons plus ni talons rouges, ni mouches; hommes et femmes ne s'affublent plus de paniers ou de larges basques d'habits qui ne permettaient de s'asseoir que sur de spacieux fauteuils. Simple, modeste dans son costume, no

tre société honore surtout les vertus et l'esprit de famille. Le dix-neuvième siècle n'est ni débauché, ni chevaleresque; et s'il aimait moins l'argent, le dix-neuvième siècle serait tout à fait un galant homme. Les sociétés changent peu en haut et en bas; mais le milieu obéit au courant des idées et des progrès du temps. Ces Mémoires n'eussent été qu'un infidèle tableau de l'époque que j'ai essayé de peindre, s'ils fussent devenus une galerie de portraits représentant l'antique dynastie de tous les vices humains.

Par une contradiction fâcheuse avec la vérité, nos romans et notre théâtre ne reflètent pourtant que les mœurs exceptionnelles des bas-fonds de la société, que la physionomie immorale de ces vices plus ou moins élégants qui se produisent à la surface, mais heureusement ne pénètrent point dans le milieu sain et honnête des populations. Nos romanciers et nos poëtes ont toutefois une excuse. Vêtus du même costume, tous élevés au collége, nous ne leur offrons ni des ridicules effrontés, ni des vices sans pudeur, ni des passions ardentes. Passions, vices ou ridicules foisonnent, au contraire, dans ces ruelles où la jeunesse fait ses premières armes, et où l'âge mûr vient quelquefois chercher le ridicule, la ruine et la honte. Nos ro

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