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ministre, je vous prie de réparer le plus promptement possible mes pertes de fortune : je vous donne ma parole d'honneur que je n'ai plus que vingt-cinq mille livres de rente. >>

Cependant toutes les prétentions, toutes les exigences plus ou moins ambitieuses du parti de l'émigration, le costume moitié civil et moitié militaire de ces vieux officiers de l'armée de Condé, éveillèrent l'esprit narquois du bourgeois de Paris, qui n'avait point encore oublié l'air martial, la grande tenue et les victoires des soldats de l'empire.

Ce ne fut bientôt contre les émigrés que pamphlets et caricatures.

Il se joua même sur le boulevard une singulière parodie. Les colonels Duchand, Moncey, Morin, J**********, L** ******* ***, s'affublèrent chacun du costume complet d'un de ces voltigeurs de l'armée de Condé : ils déjeunèrent ainsi à Tortoni, et se promenèrent sur les boulevards à la grande gaieté de tous les passants.

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Ces cinq colonels, jeunes et brillants, furent mis aux arrêts de rigueur. Le colonel L***** sortant de prison et rencontrant un vieil émigré en costume complet de voltigeur: « Vous êtes bien imprudent de porter un pareil costume; pour en avoir porté un semblable, on m'a mis pendant un mois aux arrêts. »>

Une comédie représentée à l'Odéon eut, vers cette époque, un succès de circonstance. Cette pièce avait pour titre la Famille Glinet; on y déversait le ridicule sur les hommes d'autrefois, qui voulaient seuls entou

:

rer la royauté et rester les hommes du temps présent. On accusa même Louis XVIII d'être un des auteurs de la Famille Glinet.

Dès la rentrée de la famille royale, dans les hautes régions du pouvoir comme au sein des populations, et malgré ces transports d'allégresse, malgré ces bruyantes manifestations, surgissaient déjà des dissentiments, des antagonismes, des résistances: tout était difficulté, les personnes et les choses; les uns voulaient marcher en avant, les autres voulaient marcher en arrière; à propos de toutes les questions, l'ancien régime et la monarchie constitutionnelle, imposée par la charte du sénat, se trouvaient en présence, et c'était à qui ne céderait pas.

On laissa sans conteste, et avec bonne grâce, la famille royale rétablir autour d'elle l'ancienne étiquette, s'entourer d'un grand maître de la garde-robe, de premiers gentilshommes de la chambre, d'un premier maître d'hôtel, créer une garde royale, créer des gardes du corps du roi, des gardes du corps de Monsieur, des gardes de la porte, des Cent-Suisses, une maison rouge, des mousquetaires. On laissa la famille royale rappeler en France des régiments suisses. Mais les grands meneurs de la politique se réservaient la liberté de la presse, la liberté de la tribune, le suffrage direct pour les élections. Ils laissaient à la royauté toutes les magnificences de la cour, tous les vains prestiges de l'étiquette la plus pompeuse, tous les plumets de la situation; mais ils gardaient pour eux toutes les forces vives du pouvoir et l'initiative des lois. On voulait bien que Louis XVIII eût

le plaisir et la joie de régner; mais dès ce temps-là on avait la haute ambition de gouverner.

Dès les premiers jours de la restauration, la vraie situation était celle-ci : les Bourbons au fond du cœur se défiaient de la France, la France se défiait des Bourbons. Il faut ajouter qu'un parti vaincu mais non résigné, dépouillé mais toujours fidèle, soupçonné, surveillé, mais toujours entreprenant, le parti bonapartiste, inquiétait incessamment la famille royale, et donnait au parti de la cour, au parti de l'émigration et du pavillon Marsan des prétextes et des occasions de persécutions et de rigueurs.

Pour désunir, pour lasser et pour disséminer le parti bonapartiste, pour s'emparer de la confiance du pays, pour tempérer ce parti si ardent de l'émigration, pour éteindre tous les souvenirs menaçants, ceux de la révolution et ceux de la gloire, il fallait du temps, une politique ferme, mais libérale et modérée, et de continuels ménagements; on ne refait point en un jour les croyances, les idées, la philosophie et les mœurs d'un siècle et d'une nation. C'est ce que finit par comprendre le roi Louis XVIII; aussi fut-il le seul roi de France qui, depuis le mouvement des idées nouvelles, mourut sur le trône.

S. M. l'empereur Napoléon III, dans des fragments historiques, dit avec une haute sagesse :

« L'appui étranger est toujours impuissant à sauver les gouvernements que la nation n'adopte pas. >>

Puis il ajoute :

« Marchez à la tête des idées de votre siècle, ces idées

» vous suivent et vous soutiennent.

» Marchez à la suite, elles vous entraînent.

» Marchez contre elles, elles vous renversent. »

Je ne me suis point imposé une tâche au-dessus de mes forces, celle d'écrire l'histoire; mais seulement la tâche de dire la vérité sur quelques faits significatifs, dans des récits familiers.

Dans les premiers jours de la restauration, il se produisit une circonstance où l'un des princes de la famille royale, le duc de Berry, sembla montrer personnellement cet esprit de défiance, ce désir d'isolement que j'ai signalé, et qu'on voulait inspirer à Louis XVIII. Le duc de Berry descend à la préfecture de Rouen, encore confiée à M. de Girardin. Le prince, par l'ensemble de son costume, ressemblait tout à fait à un officier anglais. Le préfet lui proposa de passer le lendemain une revue: un régiment de la garde impériale faisait partie de la garnison. Le duc de Berry donna l'ordre que, dans la nuit, ce régiment quittât Rouen.

Le préfet conseilla plus de confiance au duc de Berry: << Prince, lui dit-il, si vous voulez me faire l'honneur de m'écouter, le régiment de la garde impériale ne quittera pas Rouen, et tout ira bien; seulement, prince, vous consentirez à changer de costume. » Pendant la nuit, on compléta un uniforme d'officier supérieur français pour le duc de Berry; toutes les autorités de la ville escortèrent le prince, et il n'eut qu'à se féliciter des conseils qu'il avait suivis. La revue fut très-belle, il ne s'y produisit rien d'extraordinaire ni de fâcheux.

Dès que le roi Louis XVIII fut installé aux Tuileries, il composa son premier ministère; l'ancien régime, les idées absolutistes, le parti de l'émigration y étaient représentés par le comte de Blacas; la charte, le sénat, la monarchie constitutionnelle, y étaient représentés par l'abbé de Montesquiou, par le prince de Talleyrand et par M. Guizot, nommé secrétaire général du ministère de l'intérieur. Je me fais un devoir de commencer dans le prochain chapitre une étude consciencieuse et approfondie de M. Guizot, et de le suivre pas à pas dans cette première étape politique. Chemin faisant, je serai peut-être assez heureux pour jeter aussi quelque clarté sur la vie politique de M. de Talleyrand et sur celle de M. de Montesquiou en les rapprochant tous deux, sur les événements de 1814, sur le retour de l'ile d'Elbe, et sur l'exil de la famille royale à Gand.

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