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CHAPITRE II

LES MAISONS DE JEU DE PARIS.

Trois mois de folie en 1818.- La population des joueurs de profession.
Mes deux procédés pour l'étude de l'anatomie et de la pathologie.
Le café du Roi.
Un diner d'amis.

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Un squelette vendu.

rons-nous? ne dinerons-nous pas? - La Fille d'honneur.

- Dine

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dettés du matin; les enrichis du soir. Trois mois de bénéfice au Messieurs de la chambre. Les chefs

jeu. Une idée de joueur.

de parties. Les bouts de table. Les tailleurs. maisons de jeu.

Un conseiller d'Etat.

Les mœurs des

Perse et Juvénal.

Le joueur

Une paire de bas de soie noire. — L'argot des joueurs. qui gagne, le joueur qui perd.

Les célébrités des maisons de jeu.

Les coups de Jarnac. Lord Byron. - L'avare et le joueur. Mon camarade de jeu. La ferme des jeux. - Perrin des jeux.

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Marmontel écrivit ses Mémoires pour ses enfants; il ne craignit pas de leur confesser ses péchés de jeunesse, et de leur montrer les nombreux écueils où peuvent faire naufrage une raison et une sagesse de vingt ans.

A la paternité, au talent de style et à l'esprit près, comme Marmontel, je dirai ici, pour l'expérience de tous, dans quelle route semée de périls ma jeunesse fut un instant engagée, et par quelles circonstances je passai, dans l'année 1818, d'une vie d'études sérieuses aux émotions quotidiennes du trente et quarante. Pendant trois mois, je fus joueur de profession.

De cette vie honteuse, j'ai du moins tiré d'honnêtes et d'utiles enseignements, et j'ai pu observer, depuis

l'épiderme jusqu'au fond du cœur, cette population curieuse de joueurs de profession, passant à chaque minute du désespoir à la joie, finissant toujours par lächer la proie pour l'ombre, population nombreuse aux mœurs exceptionnelles, et dont aucun moraliste n'a, je crois, raconté la vie pratique, et n'a dit ni toutes les folies ni tous les entraînements.

Dès que je vis tous les volumes dont se compose la première bibliothèque d'un étudiant, je compris qu'il fallait se donner tout entier à l'étude; qu'une vie tranquille, sobre et presque sans distractions, était une condition nécessaire pour bien apprendre et pour bien savoir. Je compris qu'il fallait se lever matin, fuir les trop excitants diners et remonter chaque soir dans sa mansarde pour n'y trouver d'autre société que ses livres.

L'étude de l'anatomie, l'étude de la pathologie, manquent de gaieté. J'avais recours à deux procédés pour combattre tout entraînement de dissipation et de plaisir.

Avant de rouvrir le soir mes livres de médecine, je me permettais, pendant une heure au moins, la lecture d'un de nos grands écrivains. C'est ainsi que j'ai lu et relu les écrivains du dix-septième siècle, Pascal, Racine, Saint-Simon, Bossuet, Corneille, Molière; ceux du dixhuitième siècle, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, l'abbé Prévost, Bernardin de Saint-Pierre et tant d'autres. Voilà mon premier procédé !

Le second consistait à n'avoir jamais un sou dans ma poche. La misère a fait beaucoup de grands hommes.

Le premier du mois, je recevais vingt francs de mes parents; ce jour-là, je vivais en grand seigneur. Mes vingt francs ne survivaient pas à la journée; je dinais chez le restaurateur avec quelques amis; j'allais au théâtre, et je finissais souvent ma soirée au café du Roi, situé alors au coin de la rue Richelieu et de la rue SaintHonoré. On y rencontrait quelques journalistes, quelques vaudevillistes et quelques gens d'esprit : les frères Dartois, Dittmer, Cavé, M. Duvergier de Hauranne, auteur ou collaborateur de trois vaudevilles: Un Mariage à Gretna-Green, le Jaloux comme il y en a peu, et Monsieur Sensible; Ferdinand Langlé, Rochefort, Rousseau, l'ami célèbre de M. Romieu, et tant d'autres qui ne sont plus.

A un premier de mois, je me trouvai plus riche que de coutume j'avais vendu un squelette très-complet vingt-cinq francs; je pus ce jour-là inviter deux amis à diner. Rousseau était un de mes convives.

Rousseau tint à me rendre cette politesse : le jour fut pris; le rendez-vous était à six heures au café du Roi. Rous étions trois, Rousseau, moi et un jeune élève en médecine, qui mourut d'une phthisie galopante, des suites de fatigues au grand soleil, pendant les journées de Juillet.

Tout le monde fut exact au rendez-vous. Notre amphitryon avait l'air triste, embarrassé; il se décida à nous dire « Je vous ai invités à dîner; mais ma bourse est vide. >>

Dans cette situation alarmante, le jeune médecin ouvrit un avis : « Il est probable (s'adressant à moi) que nous sommes tous deux dans la position de fortune de

Rousseau (il disait vrai); ch bien! il n'y a qu'un parti à prendre je vais emprunter vingt francs au comptoir. >> Je ne croyais guère à son crédit; pourtant, il remonta en faisant briller à nos yeux une pièce d'or. Nous voilà ́ partis pour diner.

Nous traversons le jardin du Palais-Royal : «Si nous montions, proposa l'un de nous, aux applaudissements de tous, risquer à la rouge ou à la noire la moitié de notre fortune, dix francs seulement? » Rousseau se charge de l'expédition; après quelques minutes, il revient... Nous avions perdu.

Notre situation s'aggravait; nous rencontrâmes, en éprouvant les joies de l'espérance, un de nos camarades, le grand G***, charmant jeune homme, fils d'un grammairien, et qui ne manquait ni d'esprit ni d'entrain. Je ne sais ce qu'il peut être devenu. Tout lui fut conté; malheureusement, il ne pouvait ajouter à notre avoir que trois francs cinquante centimes, et il nous fit comprendre d'un geste que son gousset était veuf de sa montre.

Nous décidâmes bien vite notre nouveau camarade de misère à faire un fonds commun de treize francs cinquante centimes, et à l'aller risquer aux chances rapides de la roulette.

Notre joueur ne revenait pas; il était plus de sept heures dinerions-nous, ne dinerions-nous pas? Notre ami reparaît; il nous fait voir soixante francs. Cette fois, nous voilà gaiement attablés chez Véfour.

Par je ne sais quelle arrière-pensée, nous fûmes tous d'avis d'apporter dans notre diner la plus minutieuse économie.

Il fut bien un moment question, après notre repas

d'anachorètes, d'aller au Théâtre-Français ; on y jouait. la Fille d'honneur; les premières représentations. de cette comédie, en cinq actes et en vers, attiraient la foule mademoiselle Mars jouait le rôle de la fille d'honneur avec un grand éclat et un grand talent; mais il était huit heures et demie; on fit observer que nous ne trouverions plus de places; nous ne vîmes qu'une chose à faire retourner à une maison de jeu, au numéro 129.

:

Notre ami G*** fut chargé de jouer tout ce qui restait dans la bourse commune, trente-cinq francs; en cas de bénéfice, nous partagions.

Peu d'instants s'étaient écoulés que notre ami G*** avait gagné huit cents francs à la roulette; la part de chacun de nous fut de deux cents francs. Notre ami G*** et Rousseau jouèrent hardiment leurs deux cents francs, et en quelques minutes, ils comptaient chacun de quinze cents à deux mille francs de bénéfice.

Rousseau était fort endetté au café du Roi et au café des Variétés; nous l'arrachâmes, pour ainsi dire, du numéro 129, et par de gros à-compte, il se refit un nouveau crédit. Endetté, sans une obole et sans crédit le matin, il était riche et considéré le soir.

De pareils prodiges émeuvent et font volontiers perdre la tête. Le lendemain, au sortir de l'hôpital, je retourne m'attabler seul, dès midi, au numéro 129, pour y risquer les cent et quelques francs qui me restaient du partage de la veille; je gagne une dizaine de louis; c'était un rêve! Le lendemain, dès midi, j'étais assis à la même place que la veille; j'avais eu, bien entendu, la précaution de la faire retenir.

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