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ration faite sans bruit, le baron montre la dent arrachée : « Vous pouvez constater que c'est l'affaire d'une seconde, et qu'il n'y paraît pas. »

Elégant, bien fait, et d'une sympathique figure, le baron Capelle était entré; dans sa jeunesse, comme simple employé au ministère de l'intérieur, sous le comte Chaptal. Il rencontre un jour, dans l'antichambre du chef de bureau des théâtres, une jeune personne dont les beaux yeux étaient mouillés de larmes, et dont les vêtements avaient subi un certain désordre; il s'approche, il s'enquiert, et reconnaît mademoiselle Bourgoin: elle venait de débuter à la Comédie-Française. « Que vous est-il arrivé? — Je sors du bureau de M. Esménard, qui vient de se conduire envers moi avec la plus effrayante brutalité. » A mesure qu'elle racontait, ses larmes cessaient de couler, et elle regardait avec émotion son inattendu protecteur. « Encore, ajouta-t-elle d'une voix douce, si cet Esménard était moins laid! >> Le jeune Capelle raconta l'anecdote au comte Chaptal, et le ministre de l'intérieur se laissa entraîner à faire de la science et de la chimie pendant plusieurs années avec cette séduisante pensionnaire du Théâtre-Français. En peu de temps, elle devint sociétaire.

Le cœur d'une femme une fois cavalièrement conquis, le naturel de ces Richelieu bottés et éperonnés revenait au galop. On ne parlait que de jeter les maris par la fenêtre, et souvent on battait les femmes. Le comte Montrond, ce Rivarol des salons sous le directoire et sous l'empire, et dont l'esprit toujours en verve charmait le prince de Talleyrand et lui profitait, le comte Montrond,

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que j'ai beaucoup connu dans les dernières années de sa vie, avait ses grandes entrées chez un de ses amis, le marquis de M***; il trouve un jour le marquis et madame la baronne H*** se lançant à la tête des flambeaux et des porcelaines de pâte tendre. Montrond les voyant ainsi se prendre aux cheveux, s'écrie avec joie : J'avais bien raison de dire que vous étiez bien ensemble!

On avait rêvé que la révolution de 89 ferait table rase de tous les abus, de tous les ridicules, de tous les scandales, de tous les vices de l'ancien régime. Les vicieux meurent, mais non jamais les vices.

Prétendre que dans ce monde l'humanité peut se dépouiller de tous ses mauvais penchants, peut tout entière se convertir la vertu, c'est rêver à l'avance le paradis.

Dans tous les siècles, l'humanité se ressemble et se continue. Dans des temps de licence, sous Henri III, toutes les hontes et tous les vices du cœur humain tiennent le haut du pavé et triomphent avec forfanterie. A des époques plus morales ou plus hypocrites, toutes les hontes et tous les vices du cœur humain ont le verbe moins haut, ne trottinent que la nuit, rasent les murailles et plient sous l'opinion publique jusqu'à une fausse décence, jusqu'à une fausse pudeur; les fanfaronnades du vice cèdent la place à des éclats de vertu. Entre la fin du règne de Louis XIV et la régence, il n'y a qu'un couvercle de moins : c'est la différence d'une vie dépravée, les fenêtres fermées ou les fenêtres toutes grandes ouvertes:

Hâlons-nous de dire que le galant homme, l'homme de bien, les cœurs fidèles, généreux, le désintéressement, le courage, l'honneur, la charité, sont aussi de tous les règnes et de tous les temps. Sous tous les règnes et dans tous les temps, il se rencontre en très-grand nombre des familles honnêtes, ignorées, où toutes les vertus font souche et comptent des lignées qui ne s'éteignent jamais.

Le ciel et l'enfer se disputent les âmes dès ce monde. On vit donc reparaître sous l'empire, malgré 89, et à bien peu de distance de 89, de ces chevaliers à la mode, frères puînés de celui que Dancourt faisait monter sur la scène au mois d'octobre 1687, de ces chevaliers à la mode, songeant d'abord au solide et donnant ensuite dans la bagatelle, recevant d'une madame Patin mille pistoles, et acceptant d'une baronne un fort beau carrosse, deux gros chevaux, un cocher et un gros barbet.

Mon ami Rosman était, dans sa jeunesse, le camarade de diners et de punchs de quelques gens de lettres ; il me raconta, et je cite ici ses propres paroles, qu'un de nos spirituels auteurs d'opéras-comiques, mort après 1830, vint sous l'empire le trouver un matin et lui annoncer, disait-il, une bonne nouvelle : « Je vais quitter ma vieille! mon dernier succès a rendu une femme folle de moi. Du troisième étage je descends au premier, et elle me donne un cabriolet. » Et comme ce bon Rosman, à un pareil récit, faisait la grimace, notre auteur lui répondit : « Mais, mon cher, je vis comme tous ces messieurs! » Ces mœurs-là existaient en haut et en bas de la société, et plus d'un acteur en renom, plus d'un

sabreur parvenu, avaient pour caissier une madame Patin, une baronne, et quelquefois mieux.

Comment des hommes bien nés, d'une honnête famille, peuvent-ils oublier leur dignité et leur honneur jusqu'à de pareils manéges! Je ne pouvais trop comprendre comment se jouaient ces scènes si souvent renouvelées, entre le faux amour demandant rançon, et un amour vrai, toujours crédule et toujours généreux. Un de ces débauchés qui vivait au milieu de tous ces ménages de comédie, me fit assister par ses récits pleins de vérité à ces scènes d'alcôve et de forêt de Bondy.

Voici comment s'y prenait un de ces hommes à bonnes fortunes. Au moment où, dans le boudoir de sa maîtresse, il lui tenait le langage le plus aimant et le plus soumis, son valet de chambre arrivait tout essoufflé. Quelques affidés à mauvaise figure étaient apostés dans la rue : « On vient arrêter monsieur le comte pour une lettre de change de vingt-cinq mille francs. Misérable! que viens-tu dire ?... C'est une dette, ma chère amie, que je voulais toujours vous cacher. » La pauvre femme dupée trouvait les vingt-cinq mille francs. Le valet de chambre avait joué la comédie, et percevait un droit légitime sur ces sortes de rentrées qu'il procurait à son maître.

Tous nos jeunes roués n'avaient cependant pas recours à de pareils tours de main. L'un d'eux avait pour confident, mais non pour complice, son médecin; le client ne demandait qu'un service: « Dites que vous trouvez que je change, que vous ne vous expliquez ni ma

péoccupation ni ma tristesse. » Le médecin se prêtait innocemment à ce mensonge, sans en soupçonner le honteux calcul. La madame Patin de ce nouveau chevalier à la mode n'en dormait pas : elle priait, elle pleurait, elle voulait arracher des lèvres trop discrètes de son amant ce fatal secret. Enfin l'heure des explications sonnait, et on disait tout : « J'ai des créanciers (quelquefois même c'étaient des créancières), et ma famille, que je ne veux plus voir, met des entraves invincibles à l'aliénation d'une partie de mes biens, qui sont assez considérables. Elle rend même impossible toute hypothèque. -N'est-ce que cela? Mon homme d'affaires ira demain matin prendre vos ordres. » On m'assura que ce jeune seigneur, qui n'eut jamais de biens que ceux d'autrui, dans les heures des plus douces intimités, ne craignait pas d'appeler cette généreuse amie: Mon trésor!

J'ai recueilli de la bouche d'un de ces jeunes et brillants oisifs, prodigues des fortunes à venir, un prône que lui fit son père. Ce père récalcitrant avait brillé par plus d'un duel et s'était enrichi par plus d'un métier sous le directoire et au commencement de l'empire. Son fils, endetté, lui avoue un passif de cent mille francs! << Comment avez-vous pu dépenser cent mille francs? - Mais, mon père, un cabriolet, des maîtresses! Cela va bien vite. - Comment! des maîtresses! A votre âge se ruiner pour des maîtresses! A votre âge et dans mon temps, monsieur, c'étaient nos maîtresses qui payaient nos cabriolets et se ruinaient pour nous ! »

La première vertu, sous l'empire, c'était le courage!

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