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« frontières ceux des génies qui ont étendu nos lu«<mières; en un mot, d'entremêler le récit de nos << victoires et de nos conquêtes de recherches curieuses « sur nos mœurs, nos lois et nos coutumes 1. >>>

Vous savez de quelle manière l'abbé Velly a tenu cette grande promesse. Mais, quelle que fût sa nullité comme historien, c'est une chose réelle qu'en insérant dans son récit, par une sorte de placage, des lambeaux de dissertations sur les mœurs et l'esprit des Français, il avait rencontré le goût du siècle. En effet, les narrations épiques, les portraits et les harangues avaient passé de mode; et ce qu'on demandait, en fait d'histoire, c'était du raisonnement, des conclusions, des résultats généraux. Les écrivains ne tardèrent pas à faire abus de cette méthode, comme ils avaient abusé du style antique. Alors parurent dans l'histoire les longues réflexions insérées dans le texte, et les commentaires sous forme de notes, les appendices et les digressions sur le gouvernement, les lois, les arts, les habillements, les armes, etc. Au lieu d'une narration suivie, continue, se développant avec largeur et d'une manière progressive, on eut des récits courts, morcelés, tronqués, entrecoupés de remarques sérieuses ou satiriques; et l'histoire fut divisée, subdivisée, étiquetée par petits chapitres, comme un ouvrage didactique. C'est l'exemple que donna Voltaire, avec son originalité et sa verve de style accoutumée, exemple qui fut suivi d'une manière plus méthodique par les historiens anglais de la fin du dix-huitième siècle.

I. Velly, Histoire de France. Paris, 1770, in-4°, p. 6 et 7 de la préface.

Ainsi, depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'à nos jours, trois écoles historiques ont fleuri successivement l'école populaire du moyen âge, l'école classique ou italienne, et l'école philosophique, dont les chefs jouissent aujourd'hui d'une réputation européenne. De même qu'il y a deux cents ans l'on désirait pour la France des Guicciardin et des Davila, on lui souhaite en ce moment des Robertson et des Hume. Est-il donc vrai que les livres de ces auteurs présentent le type réel et définitif de l'histoire? Est-il vrai que le modèle où ils l'ont réduite soit aussi complétement satisfaisant pour nous que l'était pour les anciens, par exemple, le plan des historiens de l'antiquité? Je ne le pense pas ; je crois, au contraire, que cette forme toute philosophique a les mêmes défauts pour l'histoire que la forme toute littéraire de l'avant-dernier siècle. Je crois que l'histoire ne doit pas plus se servir de dissertations hors d'oeuvre, pour peindre les différentes époques, que de portraits hors d'œuvre pour représenter fidèlement les différents personnages. Les hommes et même les siècles passés doivent entrer en scène dans le récit : ils doivent s'y montrer, en quelque sorte, tout vivants; et il ne faut. pas que le lecteur ait besoin de tourner cent pages pour apprendre après coup quel était leur véritable caractère. C'est une fausse méthode que celle qui tend à isoler les faits de ce qui constitue leur couleur et leur physionomie individuelles; et il n'est pas possible qu'un historien puisse d'abord bien raconter sans peindre, et ensuite bien peindre sans raconter. Ceux qui ont adopté cette manière d'écrire ont presque toujours négligé le récit, qui est la partie essen

tielle de l'histoire, pour les commentaires ultérieurs qui doivent donner la clef du récit. Le commentaire arrive et n'éclaircit rien, parce que le lecteur ne le rattache point à la narration dont l'écrivain l'a séparé. Dans cet état, la composition manque entièrement d'unité; c'est la réunion incohérente de deux ouvrages, l'un d'histoire, l'autre de philosophie. Le premier n'est ordinairement qu'une simple réimpression de la moins mauvaise des histoires précédemment publiées : c'est pour l'ouvrage philosophique que l'on réserve toute la vigueur de son talent. L'histoire d'Angleterre de Hume n'est au fond que celle de Rapin-Thoyras, à laquelle se trouvent joints, pour la première fois, plusieurs traités complets de politique, d'économie publique, de législation, d'archéologie, et une assez nombreuse collection de maximes, soit théoriques soit usuelles. Toutes ces pièces de rapport seraient de la plus grande nouveauté, que l'histoire elle-même n'en serait pas plus neuve.

Mais Ꭹ a-t-il lieu de faire encore du neuf en ce genre? le fond de l'histoire n'est-il pas trouvé depuis longtemps? Non, sans doute. On sait bien assigner à chaque événement sa date précise; l'art de vérifier les dates est à peu près découvert; mais cette découverte n'a pas été capable de bannir entièrement le faux de l'histoire. Il y a, en fait d'histoire, plus d'un genre d'inexactitude; et si le travail des chronologistes nous garantit désormais de la fausseté matérielle, il faut un nouveau travail, un nouvel art pour écarter également la fausseté de couleur et de caractère. Ne croyons pas qu'il ne reste plus qu'à porter des jugements moraux sur les personnages et les événements

historiques il s'agit de savoir si les hommes et les choses ont été réellement tels qu'on nous les représente; si la physionomie qu'on leur prête leur appartient véritablement, et n'est point transportée mal à propos du présent au passé, ou d'un degré récent du passé à un autre degré plus ancien. C'est là qu'est la difficulté et le travail; là sont les abîmes de l'histoire, abîmes inaperçus des écrivains superficiels, et comblés quelquefois, sans profit pour eux, par les travaux obscurs d'une érudition qu'ils dédaignent.

LETTRE VI

Sur le caractère des Franks, des Burgondes et des Visigoths.

Je crois le moment venu où le public va prendre plus de goût à l'histoire qu'à toute autre lecture sérieuse. Peut-être est-il dans l'ordre de la civilisation qu'après un siècle qui a remué fortement les idées, il en vienne un qui remue les faits; peut-être sommesnous las d'entendre médire du passé, comme d'une personne inconnue; peut-être, enfin, n'est-ce qu'un goût littéraire. La lecture des romans de Walter Scott a tourné beaucoup d'imaginations vers ce moyen âge dont naguère on s'éloignait avec dédain; et s'il s'opère de nos jours une révolution dans la manière de lire et d'écrire l'histoire, ces compositions, en apparence frivoles, y auront singulièrement contribué. C'est au sentiment de curio

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sité qu'elles ont inspiré à toutes les classes de lecteurs pour des siècles et des hommes décriés comme barbares, que des publications plus graves doivent un succès inespéré.

Sans doute il est impossible d'attribuer aux écrits de Walter Scott l'autorité d'ouvrages historiques; mais on ne peut refuser à leur auteur le mérite d'avoir mis, le premier, en scène les différentes races d'hommes dont la fusion graduelle a formé les grandes nations de l'Europe. Quel historien de l'Angleterre avait parlé de Saxons et de Normands, en racontant l'époque de Richard Cœur de lion? Quel est celui qui, dans les rébellions de l'Écosse, en 1715 et en 1745, avait entrevu la moindre trace de l'inimitié nationale des montagnards, enfants des Gaels, contre les Anglais, fils des Saxons? Ces faits, et beaucoup d'autres d'une égale importance, étaient demeurés inaperçus tout ce qu'avait aplani le niveau de la civilisation avait passé sous le niveau des historiens modernes.

L'un des événements les plus importants du moyen âge, un événement qui a changé de fond en comble l'état social de l'Angleterre, je veux dire la conquête de ce pays par les Normands, ne joue pas, dans l'histoire de Hume, un plus grand rôle que ne le ferait une conquête achevée par un prince de nos jours. Au lieu de s'empreindre de la forte couleur des anciennes invasions germaniques, la lutte du dernier roi anglosaxon contre le duc de Normandie ne prend, dans son récit d'autre caractère que celui d'une querelle ordinaire entre deux prétendants au trône. Les conséquences de la victoire semblent se borner, pour la

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