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«ration du discours qui est nécessaire et requis à << l'histoire 1.»

Le premier historiographe de France, chef d'une sorte d'insurrection contre les chroniqueurs ses devanciers, témoigne pour eux un mépris qui ne fait grâce ni à Grégoire de Tours, qu'il confond avec Fredegher, Aimoin et le faux Hunibald, ni à VilleHardouin, ni à Joinville, ni à Froissard lui-même. Cette couleur locale et pittoresque qui nous les fait aimer aujourd'hui, cette richesse de détails, ces dialogues si vrais et si naïfs dont ils entrecoupent leurs récits, tout cela ne paraît au classique du Haillan qu'une friperie indigne de l'histoire. « Ils s'amusent, « dit-il, à descrire des dialogismes d'eux mesmes avec « quelques autres, des dialogues d'un gentilhomme à << un autre gentilhomme, d'un capitaine à un soldat, << de cestuy cy, de cestuy là, des apparats des festins, « leur ordre, leurs cérémonies, leurs confitures, leurs << saulses, les habillemens des princes et des seigneurs « le rang comme ils estoient assis, leurs embrasse« mens, et autres telles menues choses et particu«larités plaisantes à racompter en commun devis, • mais qui n'appartiennent en rien à l'histoire, laquelle << ne doit traicter qu'affaires d'Estat, comme les con«seils des princes, leurs entreprinses, et les causes, « les effects, et les événemens d'icelles, et parmy « cela mesler quelque belle sentence qui monstre au «<lecteur le proffit qu'il peult tirer de ce qu'il lit2. »>

1. L'Histoire de France, par Bernard de Girard, seigneur du Haillan Paris, in-fo, 1576, préface aux lecteurs, p. III et IV.

2. Ibid., préface aux lecteurs, p. II.

Cette énergie de critique semblait promettre quelque chose; mais du Haillan, comme presque tous ceux qui, après lui, ont écrit notre histoire, avait plus de volonté que de talent. Dès les premières pages, sa passion d'imiter les Italiens et de faire des harangues lui fait violer, de la manière la plus bizarre, la vérité historique. A propos de l'élection de Faramond, roi dont l'existence est à peine authentique, il suppose une assemblée d'État, où deux orateurs imaginaires, Charamond et Quadrek, dissertent l'un après l'autre sur les avantages de la monarchie et sur ceux de l'aristocratie. C'est lorsqu'il s'agit de grandes affaires politiques et de négociations, que du Haillan se pique surtout de bien raconter et de bien juger. Il traite avec négligence les parties de l'histoire qui n'offrent point de grandes intrigues. En général, pour les premiers temps, il est d'une faiblesse extrême, et fort au-dessous de l'érudition de beaucoup de ses contemporains. Il attribue au roi Clodion une prétendue loi des chevelures, par laquelle, dit notre historien, il fut ordonné que « de là en avant nul ne porteroit longue « chevelure qu'il ne fût du sang des roys'. » Dans le portrait de Charlemagne, probablement par complaisance pour les préjugés en crédit, du Haillan reproduit en partie les extravagances de Nicole Gilles, et les joint aussi bien qu'il peut aux détails fournis par Eghinhard. Malgré son mépris pour les chroniqueurs, il emprunte à celui de 1492 des phrases fort peu historiques comme celle-ci : « Il s'habilloit a la » mode françoise, et toujours portoit une espée, ou un

1. L'Histoire de France, par du Haillan. Paris, 1576. ?. 14.

« poignard, à la garde d'or ou d'argent'. Comme lui, dans l'énumération des langues que parlait Karl le Grand, il compte le français, sa langue maternelle, le flamand et l'allemand. A ces absurdités j'en pourrais joindre beaucoup d'autres qui prouvent qu'au fond notre histoiro avait peu gagné à cesser d'être chronique.

Après du Haillan vint Scipion Dupleix, qui, malgré des études estimables, fut peu goûté à cause de son fanatisme catholique; puis Mézeray, dont le règne, au dix-septième et au dix-huitième siècle, fut aussi long que l'avait été celui de Nicole Gilles au seizième. Mézeray, élève de du Haillan, entreprit de le surpasser en intelligence des affaires. Comme lui, il inséra dans son récit des harangues délibératives, et se permit, pour leur faire une place, de supposer des assemblées ou des négociations imaginaires. La déposition de Hilderik Ier, dont du Haillan n'avait tiré aucun parti, est saisie par l'historien du dix-septième siècle comme un excellent texte pour un discours politique à la manière des anciens. Childéric, selon Mézeray, est un jeune prince oisif et voluptueux, qui écrase son peuple d'impôts et vit entouré de ministres de ses galanteries. Les seigneurs français, indignés contre lui, s'assemblent, et l'un d'eux prend la parole en ces termes :

Seigneurs, le seul ressentiment que vous avez « des outrages que Childéric vous a faits vous dit << assez le sujet de cette assemblée, devant laquelle je n'aurois pas ozé faire mes plaintes, si je n'avois «ouy celles que vous et toute la France en avez faites

1. L'Histoire de France, par du Haillan. Paris, 1576, p. 228.

« au ciel. Car à qui çaurions-nous les addresser, si <«< celuy qui les doit recevoir est celuy mesme qui les « cause?... Puisque c'est de nous qu'il tient le sceptre, « il est bien raisonnable que, sans nous violenter en « nostre personne, ny en celles de nos femmes, il nous « considère comme ses sujets, et non comme ses esclaves. Nous ne sommes pas tels, seigneurs fran<< çois; il y a trois cens ans, et plus, que nos ancestres << combattent pour leur liberté. S'ils ont fait des roys, «c'a esté pour la maintenir, et non pas pour l'oppri«mer. Autrement, si nous voulions des maistres, les « Romains nous estoient bien plus doux que ce der<«< nier; et nous n'eussions jamais souffert d'un estranger ce que nous endurons d'un des nostres. « Voyez, tandis que nous ne sommes pas du tout dans << les fers, si vous voulez renoncer au tiltre de Francs. « Vous avez de quoy démettre Childéric, comme vous << avez eu de quoy l'establir. Ne permettez pas qu'il << se serve plus longtemps de nostre bienfait à nous « faire du mal... Que, s'il est question de réparer la «faute que je confesse avoir faite, quand je luy ay « donné ma voix en son eslection, me voilà prest à « révoquer ma parole. Je la révoque en effet, m'en << deust-il couster la vie, et me dégage du serment que << je luy ay presté. Comme il a changé de vie, je veux changer de résolution, et ne plus le reconnoistre « pour roy, puisque luy-mesme ne se connoist plus « pour tel, et qu'il dédaigne d'en faire les actions1. >>

Ce curieux morceau disparut avec plusieurs autres du même genre dans l'abrégé chronologique publié

1. Mézeray, Histoire de France. Paris, 1643, in-fo, t. I, p. 21 et 22.

par l'auteur en l'année 1668. Extrêmement faible. d'érudition, mais écrit avec bon sens, d'un style populaire et sans aucune affectation classique, cet abrégé fit en peu de temps oublier le grand ouvrage. C'est la véritable Histoire de Mézeray, connue et aimée du public; car l'autre n'eut pas plus de deux éditions. L'abrégé en eut jusqu'à seize, dont la dernière parut en 1755, année de la publication de l'Histoire de France de Velly.

La popularité de Mézeray s'était maintenue en face de l'ouvrage exact, mais terne et peu franc, du père Daniel. L'abbé Velly porta les premières atteintes à ce crédit si bien établi. Chose peu croyable pour quiconque n'a pas lu la préface de son Histoire, Velly se croyait novateur. Il croyait appartenir, comme historien, à une école toute nouvelle, l'école philosophique; voici ses propres paroles: «Il semble, en lisant « quelques-uns de nos historiens, qu'ils aient moins « envisagé l'ordre chronologique des rois comme leur « guide, que comme l'objet principal de leur travail. « Bornés à nous apprendre les victoires ou les défaites « du souverain, ils ne nous disent rien ou presque « rien des peuples qu'il a rendus heureux ou malheu« reux. On ne trouve dans leurs écrits que longues << descriptions de siéges et de batailles: nulle mention « des mœurs et de l'esprit de la nation. Elle y est << presque toujours sacrifiée à un seul hoinme... C'est « le défaut qu'on a tâché d'éviter dans cette nouvelle « Histoire de France. L'idée qu'on s'y propose est de « donner, avec les annales des princes qui ont régné, « celles de la nation qu'ils ont bien ou mal gouvernée; « de joindre aux noms des héros qui ont reculé nos

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