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« aucuns des chrétiens s'étaient caches au bois pour «la peur des Sarrasins, ils vinssent à lui, ou que « ceux qui jà avaient passé les ports retournassent et « fussent à son trépassement, et prissent son épée « et son cheval, et assaillissent les Sarrasins qui « s'enfuyaient. Lors il sonna l'olifant par si grande « vertu qu'il le fendit par le milieu et se rompit « les nerfs et les veines du cou. Le son et la « voix du cor allèrent jusqu'aux oreilles de Charle« magne, qui jà s'était logé en une vallée qui au<< jourd'hui est appelée Val-Karlemagne ainsi il « était loin de Roland environ huit milles vers Gas« cogne 1. >>

Au portrait de Karle le Grand, tracé par Eghinhard, les Grandes Chroniques ajoutent quelques circonstances empruntées à la tradition populaire: « Il << étendait, disent-elles, trois fers de chevaux tous << ensemble légèrement, et levait un chevalier armé « sur la paume de sa main, de terre jusque tout en <«< haut. Avec Joyeuse, son épée, il coupait un cheva« lier tout armé 2... » Mais cette partie de l'ouvrage est la seule où se trouvent entremêlés des détails empruntés aux romans. Le reste se compose de fragments historiques placés bout à bout sans trop de liaison, jusqu'au règne de Louis VI, dont la vie, écrite par l'abbé Suger, ouvre une série de biogra

1. Chroniques de Saint-Denis, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t.V, p. 303. Ce passage et tous les autres du même récit ne sont que des variantes ou des paraphrases du poëme publié par M. Francisque Michel, et ensuite par M. Génin, sous le titre de la Chanson de Roland. Voyez l'édition de ce dernier. p. 188 et suivantes. 2. Ibid., t. V, p. 266.

phies des rois de France, jusqu'à Charles VII, composées par des contemporains.

Les Grandes Chroniques de France, sous leur forme native, n'étaient point un ouvrage capable de se faire lire par beaucoup de monde, ni de circuler rapidement aussi, moins de vingt ans après leur publication, pour répondre au désir du public, furent-elles abrégées par un homme qui était à la fois un savant et un bel-esprit. Maître Nicole, ou Nicolas Gilles, secrétaire du roi Louis XII, compila en un seul volume et publia, en 1492, les Annales et Chroniques de France, de l'origine des Français et de leur venue ès Gaules, avec la suite des rois et princes des Gaules, jusqu'au roi Charles VIII. Cet ouvrage, qui, dès son apparition, eut un succès immense, respectait le fond des Chroniques de Saint Denis, mais en changeait le style pour l'accommoder aux idées et au goût du temps. Le peu de couleur originale conservée à l'histoire des deux premières races par les compilateurs du douzième siècle et les traducteurs du treizième, disparut sous une phraséologie toute moderne. On y trouve un grand luxe de remarques sur le peu de durée de la faveur des cours et le dévouement des rois de France au saint-siége. L'auteur va jusqu'à falsifier la prière de Clovis à la bataille de Tolbiac. Il lui fait dire « Sire Dieu Jésus-Christ... je croyroy << en vostre nom... et tous ceux de mon royaume qui « n'y voudront croire seront exilés ou occis 1. » Ni

1. Les Chronique et Annales de France, depuis la destruction de Troye jusques au Roy Loys unziesme; jadis composées par feu Maistre Nicole Gilles. Paris, édition de 1566, fʊl. xiv et xv.

ces mots, ni rien d'approchant, ne se trouvent dans les Chroniques de Saint-Denis.

En parlant des exactions des rois des Franks, Nicole Gilles emploie toujours les mots de tailles, emprunts et maltôtes, si célèbres de son temps. Il ajoute aux Grandes Chroniques beaucoup de fables et de miracles, qui, au douzième siècle, n'étaient pas encore de l'histoire, comme les fleurs de lis apportées par un ange, la dédicace de l'église de Saint-Denis par JésusChrist en personne, l'érection du royaume d'Yvetot, en expiation d'un meurtre commis dans l'église le vendredi saint, par le roi Clotaire Ier. Un des passages les plus originaux du livre est le portrait de Charlemagne, présenté comme une espèce de Gargantua, haut de huit pieds, et mangeant à lui seul le repas de plusieurs personnes. « Il estoit de belle et « grande stature, bien formé de corps, et avoit huict piedz de hault, la face d'un espan et demy de long, « et le fronc d'un pied de large, le chef gros, le nez « petit et plat, les yeux gros, vers et estincelans <«< comme escarboucles..... Il mangeoit peu de pain «et usoit volontiers de chair de venaison. Il mangeoit bien à son dîner un quartier de mouton, ou un « paon, ou une grue, ou deux poullailles, ou une oye, « ou un lièvre, sans les autres services d'entrée et «yssue de table '. » Ces détails bizarres provenaient sans doute de traditions populaires d'un ordre inférieur à celles qui avaient donné lieu aux romans du douzième siècle et à la fausse chronique de Turpin.

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1. Les Chroniques et Annales de France, par Nicole Gilles. Paris, 1566 fol. XLV verso.

On peut dire aujourd'hui, sans trop de hardiesse, que l'ouvrage du secrétaire de Louis XII est également dépourvu d'érudition et de talent; et pourtant aucune histoire de France n'a joui d'une aussi longue popularité. Il en a paru successivement seize éditions, dont la dernière est de 1617, cent quatorze ans après la mort de l'auteur. Mais pendant que la réputation de Nicole Gilles se prolongeait ainsi fort au delà du terme de sa vie, un grand mouvement littéraire, dirigé spécialement contre les écrits et les idées du moyen âge, s'accomplissait dans toute l'Europe. La renaissance des lettres, qui, pour l'Italie, date du quinzième siècle, avait élevé dans ce pays une école de nouveaux historiens, dont les ouvrages, calqués sur ceux de l'antiquité, étaient lus avec enthousiasme par les savants et changeaient peu à peu le goût du public. Cette école, celle de Machiavel et de Guicciardin, avait pour caractère essentiel le soin de présenter les faits non plus isolés ou juxtaposés, comme ils le sont dans les chroniques, mais par groupes, d'après leur degré d'affinité dans la série des causes et des effets. On appelait ce nouveau genre d'histoire l'histoire politique, l'histoire à la manière des anciens; et comme, en fait de littérature, l'imitation sait rarement s'ar rêter, on empruntait aux écrivains grecs et romains, non-seulement leur méthode, mais leur style, et jusqu'à leurs harangues, qu'on intercalait à plaisir partout où se présentait une ombre de délibération, soit dans les cours, soit aux armées. Personne n'était choqué du contraste de ces formes factices avec les institutions, les mœurs, la politique des temps mo

dernes, ni de l'étrange figure que faisaient les rois, les ducs, les princes du seizième siècle sous le costume classique de consuls, de tribuns, d'orateurs de Rome ou d'Athènes. Dans chaque pays de l'Europe, les hommes éclairés, les esprits ardents, aspiraient à revêtir l'histoire nationale de ces nouvelles formes, et à la débarrasser entièrement de sa vieille enveloppe du moyen âge.

Le premier écrivain français qui entreprit de rédiger une histoire de France d'après la méthode et les principes de l'école italienne, fut Bernard Girard, seigneur du Haillan, né à Bordeaux en 1537. Avant de se livrer à ce travail, dont il était extrêmement fier, l'auteur, âgé de vingt-quatre ans, en avait publié le projet et une sorte d'esquisse, sous le titre de Promesse et Dessein de l'Histoire de France. En l'année 1576, il présenta au roi Henri III son premier volume infolio, et fut récompensé par une pension et le titre d'historiographe, titre nouveau, qui remplaça dès lors celui de chroniqueur du roi. Le sentiment et l'orgueil d'une grande innovation éclatent, d'une manière assez naïve, dans les passages suivants de la préface où du Haillan parle de lui-même : « Je puis bien «< dire sans vanterie que je suis le premier qui ait en«< core mis en lumière l'histoire entière de France en « discours et fil continu d'histoire. Car ce que nous << avons veu cy-devant tant des histoires Martiniennes <«<et Dionisiennes, que des Chroniques de Nicole << Gilles, ce sont seulement Chroniques qui ne s'amu<< sent pas à dire les causes et les conseils des entre«<prises ny des succez des afaires, ains seulement « l'événement et fin d'iceux par les années, sans nar

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