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«née de Childéric sur le trône fut celle d'un libertin « audacieux qui, se jouant avec une égale impudence « et de l'honneur du sexe et du mécontentement des « grands, souleva contre lui l'indignation générale « et se fit chasser du trône 1... » En rapprochant cette manière de raconter de celle qui était en vogue vers l'année 1755, l'on voit clairement qu'entre ces deux époques il s'est fait une révolution dans les mœurs publiques; mais l'histoire a-t-elle fait un pas?

LETTRE V

Sur les différentes manières d'écrire l'histoire, en usage
depuis le quinzième siècle.

Ce fut en l'année 1476 que parut, avec le titre de Grandes Chroniques, la première histoire de France publiée par la voie de l'impression. C'était un vieux corps d'annales compilées en français par les religieux de l'abbaye de Saint-Denis, et depuis longtemps célèbre sous le nom de Chroniques de SaintDenis. Le roi Charles V l'avait fait transcrire pour sa riche bibliothèque, un peu rajeuni de langage, et fait continuer jusqu'à son règne; il parut avec une nouvelle continuation poussée jusqu'au règne de Louis XI. Sa publication fonda par tout le royaume, qui venait d'atteindre à peu près ses dernières li

1. Anquetil, Distoire de France, continuée par M. de Norvins. Paris, 1839, t I, p. 159.

mites, une opinion commune sur les premiers tenips de l'histoire de France, opinion malheureusement absurde et qui ne put être déracinée qu'après beaucoup de temps et d'efforts. Selon les Grandes Chroniques de France, les Gaulois et les Franks étaient issus des fugitifs de Troie, les uns par Brutus, prétendu fils d'Ascanius, fils d'Énée, les autres par Francus ou Francion, fils d'Hector. Voici de quelle manière la narration commençait :

« Quatre cent et quatre ans avant que Rome fùt « fondée, régnait Priam en Troie la grande. Il en« voya Paris, l'aîné de ses fils, en Grèce pour ravir « la reine Hélène, la femme au roi Ménélas, pour se « venger d'une honte que les Grecs lui avaient faite. « Les Gréjois, qui moult furent courroucés de cette «< chose, s'émurent pour aller et vinrent assiéger « Troie. A ce siége, qui dix ans dura, furent occis « tous les fils du roi Priam, lui et la reine Hécube, << sa femme; la cité fut arse et détruite, le peuple et «<les barons occis. Mais aucuns échappèrent de ce « désastre et plusieurs des princes de la cité, qui « s'espandirent ès diverses parties du monde pour << querir nouvelles habitations, comme Hélénus. Élyas et Anthénor, et maints autres... Énéas, qui «< était un des plus grands princes de Troie, se mit en << mer avec trois mille et quatre cents Troyens... Tur«cus et Francion, qui étaient cousins germains (car « Francion était fils d'Hector, et ce Turcus fils de « Troylus, qui était frère et fils au roi Priam), se dé << partirent de leur contrée, et allèrent habiter tout « auprès une terre qui est appelée Thrace... Quand << ensemble eurent habité un grand temps, Turcus se

« départit de Francion, son cousin, lui et une partie « du peuple qu'il emmena avec lui; en une contrée <«< s'en alla, qui est nommée la petite Scythie... Fran«< cion demeura, après que son cousin se fut de lui départi, et fonda une cité qu'il appela Sicambrie, « et longtemps ses gens furent appelés Sicambriens « pour le nom de cette cité. Ils étaient tributaires « aux Romains, comme les autres nations; mille cinq «< cent sept ans demeurèrent en cette cité, depuis « qu'ils l'eurent fondée 1. »

Après ce début singulier viennent les chapitres suivants: De diverses opinions pourquoi les Troyens de Sicambrie furent appelés Français. Comment ils conquirent Allemagne et Germanie, et comment ils déconfirent les Romains. - Comment et quand la cité de Paris fut fondée, et du premier roi de France. Du second roi qui eut nom Clodio. — Du tiers roi qui eut nom Merovez. Du quart roi qui eut nom Childėris... Comment le

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fort roi Klodovées fut couronné après la mort de son père 2. Jusqu'au règne de Charlemagne la narration suit en général un seul auteur, Aimoin, religieux de Fleury ou de Saint-Benoît-sur-Loire, au dixième siècle, puis vient une traduction fort inexacte de la vie de Charlemagne, par son secrétaire Eghinhard'; puis un fragment de la fausse chronique de l'arche

1. Chroniques de Saint-Denis, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. III p. 155. Je n'ai pas besoin de dire que j'ai donné au langage une couleur un peu plus moderne.

2. Ibid., p. 155, 156, 159 et 166.

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3. Einhardi Vita Karoli Magni, apud Monumenta Germaniæ historica, ed. H. Pertz, t. II, p. 426 et seq. - Les annales du inême Eghinhard, ainsi que d'autres écrits qu'il serait trop long d'énumérer, fournissent aussi quelques fragments aux Chroniques e Saint-Denis.

vêque Tilpin ou Turpin, morceau qui n'est pas le plus historique du livre, mais qui est sans contredit le plus capable de saisir l'imagination par cette verve de récit dont brillent à un si haut degré les romans du moyen âge. C'est là que le roi Marsile et le géant Ferragus, qui ne font plus que nous divertir dans la poésie de l'Arioste, jouent un rôle sérieux et authentique. Là, enfin, ce Roland ou Rotland, comte des Marches de Bretagne, que l'histoire nomme une seule fois, et qui périt dans une embuscade dressée par les Basques', au passage des Pyrénées, figure comme le brave des braves et la terreur des Sarrasins. Le petit mais désastreux combat des gorges de Roncevaux est transformé en une bataille immense où les Franks ont contre eux toutes les forces de l'Espagne; et Roland, demeuré seul entre tous ses compagnons, épuisé par ses blessures, meurt après avoir fait entendre à plus de sept milles de distance le bruit de son cor d'ivoire :

<< Lors retourna Roland, tout seul, parmi le champ « de bataille, las et travaillé des grands coups qu'il << avait donnés et reçus, et dolent de la mort de tant « de nobles barons qu'il voyait devant lui occis et

1. Nam cum agmine longo, ut loci et angustiarum situs permittebat, porrectus iret exercitus, Wascones, in summi montis vertice positis insidiis... extremam impedimentorum partem, et eos, qui novissimi agminis incedentes, subsidio præcedentes tuebantur, desuper incursantes, in subjectam vallem dejiciunt, concertoque cum eis prælio, usque ad unum omnes interficiunt, ac direptis inpedimentis, noctis beneficio, quæ jam instabat, protecti, summa cum celeritate in diversa disperguntur... In quo prælio Eggihardus regiæ mensæ præpositus, Anselmus comes palatii, et Heruodlandus Britannici limitis præfectus, cum aliis compluribus interficiuntur. (Einhardi Vita Karoli Magni, ibid., t. II, p. 448.)

« détranchés. Menant grande douleur, il s'en vint << parmi le bois jusqu'au pied de la montagne de Ci«saire, et descendit de son cheval dessous un arbre, auprès d'un grand perron de marbre, qui était là « dressé en un moult beau pré, au-dessus de la vallée << de Roncevaux. Il tenait encore Durandal, son épée; « cette épée était éprouvée sur toutes autres, claire «et resplendissante et de belle façon, tranchante et « affilée si fort qu'elle ne pouvait ni se fendre ni se « briser. Quand il l'eut longtemps tenue et regardée, «< il la commença à regretter quasi pleurant, et dit en <<< telle manière : « O épée très-belle, claire et resplen« dissante, qu'il n'est pas besoin de fourbir comme « toute autre, de belle grandeur et large à l'avenant, « forte et ferme, blanche comme une ivoire, entre(( signée de croix d'or, sacrée et bénie par les lettres << du saint nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et en«vironnée de sa force, qui usera désormais de ta « bonté, qui t'aura, qui te portera?... J'ai grand deuil << si mauvais chevalier ou paresseux t'a après moi. « J'ai trop grande douleur si Sarrasin ou autre mé«< créant te tient et te manie après ma mort. » Quand <«< il eut ainsi regretté son épée, il la leva tout haut « et en frappa trois merveilleux coups au perron de « marbre qui était devant lui, car il la pensait briser, « parce qu'il avait peur qu'elle ne vînt aux mains des «Sarrasins. Que vous conterait-on de plus? Le per«ron fut coupé de haut jusqu'en terre, et l'épée de « meura saine et sans nulle brisure; et quand il vit qu'il ne la pourrait dépecer en nulle manière, si fut trop dolent. Il mit à sa bouche son cor d'ivoire, et «< commença à corner de toute sa force, afin que, si

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