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de philosophie, vous n'y trouverez rien de ce désintéressement de parade, ni de ces exclamations de loyauté niaise : tout est en action, comme dans une grande journée où personne n'a de temps à perdre. Le roi et l'armée sont à leur devoir; ils prient et se battent ce sont des hommes du moyen âge, mais ce sont des figures vivantes et non des masques de théâtre.

« On avança jusqu'à un pont, nommé le pont de « Bovines, qui se trouve entre le lieu appelé Sanghin << et la ville de Cisoing. Déjà la plus grande partie des << troupes avait passé le pont, et le roi s'était désarmé; << mais il n'avait pas encore passé, comme le croyait <«<l'ennemi, dont l'intention était d'attaquer aussitôt « et de détruire tout ce qui resterait de l'autre côté « du pont. Le roi, fatigué de la marche et du poids de << ses armes, se reposait un peu, à l'ombre d'un frêne, « près d'une église bâtie en l'honneur de saint Pierre, « lorsque des gens, venus des derrières de l'armée, « arrivèrent à grande course, et, criant de toutes leurs « forces, annoncèrent que l'ennemi venait, que les « arbalétriers et les sergents à pied et à cheval, qui << étaient aux derniers rangs, ne pourraient soutenir «l'attaque et se trouvaient en grand péril. Aussitôt « le roi se leva, entra dans l'église, et, après une « courte prière, il sortit, se fit armer et monta à che<< val d'un air tout joyeux, comme s'il eût été convié « à une noce ou à quelque fête. On criait de toutes << parts dans la plaine: Aux armes, barons, aux armes ! « Les trompettes sonnaient, et les corps de bataille « qui avaient déjà passé le pont retournaient en ar«rière; on rappela l'oriflamme de Saint-Denis, qui

« devait marcher en avant de toutes les autres ban<< nières; mais comme elle ne revenait pas assez vite, << on ne l'attendit point. Le roi retourna des premiers « à grande course de cheval, et se plaça au front de << bataille, de sorte qu'il n'y avait personne entre lui << et les ennemis.

<< Ceux-ci, voyant le roi revenu, ce à quoi ils ne « s'attendaient pas, parurent surpris et effrayés; ils << firent un mouvement, et se portant à droite du che<< min où ils marchaient dans la direction de l'occident, «< ils s'étendirent sur la partie la plus élevée de la <«<plaine, au nord de l'armée du roi, ayant ainsi devant « les yeux le soleil, qui, ce jour-là, était chaud et ar« dent. Le roi forma ses lignes de bataille directe<< ment au midi de celle de l'ennemi, front à front, de « manière que les Français avaient le soleil à dos. « Les deux armées s'étendaient à droite et à gauche « en égale dimension, et à peu de distance l'une de « l'autre. Au centre et au premier front se tenait le « roi Philippe, près duquel étaient rangés côte à côte «Guillaume des Barres, la fleur des chevaliers; Bar«<thélemy de Roie, homme d'âge et d'expérience; << Gauthier le Jeune, sage, brave et de bon conseil ; << Pierre Mauvoisin, Gérard Latruie, Étienne de Long« Champ, Guillaume de Mortemar, Jean de Rouvrai, <«< Guillaume de Garlande, Henri, comte de Bar, jeune d'âge et vieux de courage, renommé pour sa «< prouesse et sa beauté; enfin plusieurs autres qu'il « serait trop long d'énumérer, tous gens de cœur et exercés au métier des armes; pour cette raison ils « avaient été spécialement commis à la garde du roi « durant le combat. L'empereur Othon était de même

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placé au centre de son armée, où il avait élevé pour enseigne une haute perche dressée sur quatre roues et surmontée d'un aigle doré au-dessus d'une bande d'étoffe taillée en pointe. Au moment d'en venir aux mains, le roi adressa à ses barons et à toute l'armée a ce bref et simple discours :

«En Dieu est placé tout notre espoir et notre con<< fiance. Le roi Othon et tous ses gens sont excom« muniés de la bouche de notre seigneur le pape; ils « sont les ennemis de la sainte Église et les destruc«teurs de ses biens; les deniers dont se paye leur « solde sont le fruit des larmes des pauvres, du pillage « des clercs et des églises. Mais nous, nous sommes «< chrétiens, nous sommes en paix avec la sainte Église et en jouissance de sa communion : tout pé«< cheurs que nous sommes, nous sommes unis à l'Église de Dieu, et défendons, selon notre pouvoir, « les libertés du clergé. Ayons donc courage et con« fiance en la miséricorde de Dieu, qui, malgré nos « péchés, nous donnera la victoire sur nos ennemis << et les siens. >>

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« Quand le roi eut fini de parler, les chevaliers lui « demandèrent sa bénédiction; et, élevant la main, «< il pria Dieu de les bénir tous. Aussitôt les trom<< pettes sonnèrent, et les Français commencèrent << l'attaque vivement et hardiment. Alors se trou<< vaient derrière le roi, et assez près de lui, le chapelain qui a écrit ces choses, et un autre clerc. Au pre<< mier bruit des trompettes, ils entonnèrent ensemble « le psaume : Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui instruit « mes mains au combat, et continuèrent jusqu'à la fin; << puis ils chantèrent: Que Dieu se lève, jusqu'à la fin;

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puis Seigneur, en ta vertu le roi se réjouira, jusqu'à « la fin, aussi bien qu'ils purent, car les larmes leur «conlaient des yeux, et leur chant était coupé de « sanglots'... »

LETTRE II

Sur la fausse couleur donnée aux premiers temps de l'histoire de France et la fausseté de la méthode suivie par les historiens modernes.

Une grande cause d'erreur, pour les écrivains et pour les lecteurs de notre histoire, est son titre même, le nom d'histoire de France dont il conviendrait avant tout de bien se rendre compte. L'histoire de France, du cinquième siècle au dix-huitième, est-elle l'histoire d'un même peuple, ayant une origine commune, les mêmes mœurs, le même langage, les mêmes intérêts civils et politiques? Il n'en est rien; et la simple dénomination de Français, reportée, je ne dis pas au delà du Rhin, mais seulement au temps de la première race, produit un véritable anachronisme.

On peut pardonner au célèbre bénédictin dom Bouquet d'écrire par négligence, dans ses Tables chronologiques, des phrases telles que celles-ci : Les Français pillent les Gaules; ils sont repoussés par l'empereur Julien. Son livre ne s'adresse qu'à des savants, et le texte latin, placé en regard, corrige à l'instant l'erreur.

1. Guillelmus Armoricus, De Gestis Philippi Augusti, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 91 ct 95.

Mais cette erreur est d'une bien autre conséquence dans un ouvrage écrit pour le public et destiné à ceux qui veulent apprendre les premiers éléments de l'histoire nationale. Quel moyen un pauvre étudiant at-il de ne pas se créer les idées les plus fausses, quand il lit Clodion le Chevelu, roi de France; conversion de Clovis et des Français, etc.? Le Germain Chlodio1 n'a pas régné sur un seul département de la France actuelle, et, au temps de Chlodowig. que nous appelons Clovis, tous les habitants de notre territoire, moins quelques milliers de nouveaux venus, étaient chrétiens, et bons chrétiens.

Si notre histoire se termine par l'unité la plus complète de nation et de gouvernement, elle est loin de commencer de même. Il ne s'agit pas de réduire nos ancêtres à une seule race, ni même à deux, les Franks2 et les Gaulois : il y a bien d'autres choses à distinguer. Le nom de Gaulois est vague; il comprenait plusieurs populations différentes d'origine et de langage; et quant aux Franks, ils ne sont pas la seule tribu ger

Ce nom, qu'on pourrait aussi écrire Chlodi, n'est autre chose que le diminutif familier d'un nom composé de deux syllabes, et commençant par le mot germanique hlod, qui signifiait illustre. L'n finale n'appartient point au nom originaire, mais à la déclinaison latine, dont elle marque les cas obliques.

2. Frank est le mot tudesque, le nom national des conquérants de la Gaule, articulé suivant leur idiome; Franc est le mot français, le terme qui, dans notre vieille langue, exprimait la qualité d'homne libre, puissant, considérable; d'un côté il y a une signification ethnographique, de l'autre une signification sociale correspondant à deux époques bien distinctes de notre histoire; c'est cette diversité de sens que j'ai voulu marquer d'un signe matériel par la différence d'orthographe. On disait au singulier Franko et au pluriel Frankon. Otfrid, poëte du neuvième siècle, écrit: Ther selbo Franko (ille ipse Francus), Frankon einon (Franci soli), Frankono thiote (Francorum populo).

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