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manda qui c'était, ce qu'on voulait. L'esclave répondit : « C'est moi, Léon, ton serviteur; je viens de « réveiller Attale pour qu'il se lève en diligence et « mène les chevaux au pré : il a le sommeil aussi dur « qu'un ivrogne. - Fais comme il te plaira, » répondit le maître; et aussitôt il se rendormit. Léon donna les armes au jeune homme; et tous deux, prenant sur leurs chevaux un paquet d'habits, passèrent la porte extérieure sans être vus de personne. Ils suivirent la grande route de Reims depuis Trèves jusqu'à la Meuse; mais quand il fallut traverser la rivière, ils trouvèrent sur le pont des gardes qui ne voulurent point les laisser passer outre, à moins de savoir qui ils étaient, et s'ils ne prenaient pas de faux noms. Obligés de passer le fleuve à la nage, ils attendirent la chute du jour, et, abandonnant leurs chevaux, ils nagèrent en s'aidant avec des planches jusqu'à l'autre bord. A la faveur de l'obscurité, ils gagnèrent un bois et y passèrent la nuit 1.

Cette nuit était la seconde depuis celle de leur évasion, et ils n'avaient encore pris aucune nourriture; par bonheur ils trouvèrent un prunier couvert de fruits dont ils mangèrent, et qui soutinrent un peu leurs forces. Ils continuèrent de se diriger sur Reims à travers les plaines de la Champagne, observant soigneusement si quelqu'un ne venait pas derrière eux. Pendant qu'ils marchaient ainsi avec précaution, ils entendirent le trot de plusieurs che

1. Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 194 et 195.

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vaux. Aussitôt ils quittèrent la route, et trouvant près de là un buisson, ils se mirent derrière, couchés par terre, avec leurs épées nues devant eux. Le hasard fit que les cavaliers s'arrêtèrent près de ce buisson. L'un d'eux, pendant que les chevaux urinaient, se mit à dire « Quel malheur que ces maudits coquins « aient pris la fuite sans que j'aie pu encore les re<< trouver; mais, je le dis par mon salut, si je mets

la main sur eux, je ferai pendre l'un et hacher «<l'autre par morceaux'. » Les fugitifs entendirent ces paroles, et aussitôt après le pas des chevaux qui s'éloignaient. La nuit même ils arrivèrent à Reims, sains et saufs, mais accablés de fatigue. Ils demandèrent à la première personne qu'ils virent dans les rues la demeure d'un prêtre de la ville, nommé Paul. Ayant trouvé la maison de leur ami, ils frappèrent à sa porte au moment où l'on sonnait matines. Léon nomma son jeune maître et conta en peu de mots leurs aventures, sur quoi le prêtre s'écria : « Voilà mon « songe vérifié : cette nuit j'ai vu deux pigeons, l'un « blanc et l'autre noir, qui sont venus en volant se « poser sur ma main3. »

C'était le dimanche, et ce jour-là, l'Église, dans sa rigidité primitive, ne permettait aux fidèles de

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1. Dixitque unus, dum equi urinam projicerent : « Væ mihi, quia fugiunt hi detestabiles, nec reperiri possunt; verum dico per salutem « meam, quia si invenirentur, unum patibulo condemnari, et alium « gladiorum ictibus in frusta discerpi juberem. » (Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 195)

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2. Vera est enim visio mea : nam videbam duas in hac nocte columbas advolare, et consedere in manu mea, ex quibus una alba, alia autem nigra erat.» (Ibid.)

prendre aucune nourriture avant la messe. Mais les voyageurs, qui mouraient de faim, dirent à leur hôte : « Dieu nous pardonne, et sauf le respect dû à « son saint jour, il faut que nous mangions quelque << chose; car voici le quatrième jour que nous n'a«vons touché ni pain ni viande. » Le prêtre, faisant cacher les deux jeunes gens, leur donna du pain et du vin, et sortit pour aller à matines. Le maître des fugitifs était arrivé avant eux à Reims : il y cherchait des informations et donnait partout le signalement et les noms de ses deux esclaves. On lui dit que le prêtre Paul était un ancien ami de l'évêque de Langres; et afin de voir s'il ne pourrait pas tirer de lui quelques renseignements, il se rendit de grand matin à son église. Mais il eut beau questionner; malgré la sévérité des lois portées contre les recéleurs d'esclaves, le prêtre fut imperturbable'. Léon et Attale passèrent deux jours dans sa maison; ensuite, en meilleur équipage qu'à leur arrivée, ils prirent la route de Langres. L'évêque, en les revoyant, éprouva une grande joie, et, selon l'expression de l'historien auquel nous devons ce récit, pleura sur le cou de son neveu 2.

L'esclave qui, à force d'adresse, de persévérance et de courage, était parvenu à délivrer son jeune maître, reçut en récompense la liberté dans les formes prescrites par la loi romaine. Il fut conduit en céré

1. Secutus est et Barbarus, iterum inquirens pueros; sed inlusus a presbytero regressus est. (Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 195.)

2. Gavisus autem pontifex visis pueris, flevit super collum Attali nepotis sui. (Ibid.)

monie à l'église, et là, toutes les portes étant ouvertes en signe du droit que devait avoir l'affranchi d'aller partout où il voudrait, l'évêque Grégoire déclara devant l'archidiacre, gardien des rôles d'affranchissement, qu'eu égard aux bons services de son serviteur Léon, il lui plaisait de le rendre libre et de le faire citoyen romain. L'archidiacre dressa l'acte de manumission, suivant le protocole usité, avec les clauses suivantes :

« Que ce qui a été fait selon la loi romaine soit à « jamais irrévocable. Aux termes de la Constitution « de l'empereur Constantin, de bonne mémoire, et de « la loi dans laquelle il est dit que quiconque sera << affranchi dans l'église sous les yeux des évêques, « des prêtres ou des diacres, appartiendra dès lors « à la cité romaine et sera protégé par l'Église, dès « ce jour le nommé Léon sera membre de la cité; il «< ira partout où il voudra et du côté qu'il lui plaira « d'aller, comme s'il était né et procréé de parents « libres. Dès ce jour, il est exempt de toute sujé«<tion de servitude, de tout devoir d'affranchi, de << tout lien de patronage; il est et demeurera libre, « d'une liberté pleine et entière, et ne cessera en « aucun temps d'appartenir au corps des citoyens « romains 1. » L'évêque donna au nouveau citoyen des terres, sans la possession desquelles ce titre n'eût été qu'un vain nom. L'affranchi, ainsi élevé au rang de ceux que les lois barbares désignaient par le nom de Romains possesseurs, vécut libre avec s

1. Marculfi formula LVI. (Greg. Turon. Hist. Franc., lib. IIl, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p. 521.)

famille, de cette liberté dont une famille gauloise pouvait jouir sous le régime de la conquête et dans le voisinage des Franks'.

LETTRE IX

Sur la véritable époque de l'établissement de la monar‹ tie.

L'un des mots répétés le plus souvent et avec le plus d'emphase, dans les écrits et les discours politiques, c'est que la monarchie française avait, en 1789, quatorze siècles d'existence. Voilà encore une de ces formules qui, avec un air de vérité, faussent de tout point notre histoire. Si l'on veut simplement dire que la série des rois de France, jointe à celle des rois des Franks, depuis l'établissement de ces derniers en Gaule, remonte à près de quatorze siècles en arrière de nous, rien de plus vrai; mais si, confondant les époques de ces différents règnes, on reporte de siècle en siècle jusqu'au sixième tout ce que l'idée de monarchie renfermait pour nous vers 1789, on se trompe grossièrement. Il faut se garantir du prestige qu'exerce, par la vue du présent, non-seulement le mot de France, mais encore celui de royauté. Il faut que l'imagination dépouille les anciens rois des attributs de puissance dont se sont entourés leurs successeurs; et quand

1. Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. ver sallic, et fransic,, t. II, p. 195.)

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