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les convives une place vide; ils proposaient un toast au Père la Violette, on l'acceptait en riant, comme une plaisanterie. Rien néanmoins n'était plus sérieux. On avait d'abord eu dessein que la conspiration éclatât dans le mois d'octobre 1814; mais les mesures ne paraissant point encore assez bien prises, on résolut d'en reculer le dénouement jusqu'aux premiers mois de

l'année suivante.

Les agens qui se réunissaient dans le faubourg Saint-Antoine étaient peu nombreux, mais ils faisaient agir une multitude de subalternes, dont ils étaient sûrs du dévouement et de la discrétion. Pour correspondre directement avec l'île d'Elbe, sans craindre d'être découverts, ils faisaient demander par de prétendus commismarchands, des passe-ports pour l'Italie, et de-là ils se rendaient à Porto-Ferrajo, munis d'échantillons de différentes étoffes, comme s'il ne s'était agi réellement que de débiter du drap ou des pièces de soie. Ces faux commis étaient des officiers supérieurs, qui revenaient à Paris rendre compte de leur mission, et des nouvelles vues du seigneur de l'île d'Elbe.

Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que le secret de la conspiration ne fut pas toujours bien gardé; il en transpira même quelque chose; un journal anglais, dans le mois de février

assura que Buonaparte allait quitter son île; et la police n'en prit pas le moindre ombrage! Etait-elle dans l'erreur, ou bien son ignorance était-elle affectée? Le mot de ralliement de Père la Violette cessa d'être un mystère ; cette fleur des champs ne servit plus de parure à la beauté ; elle devint le signal de projets sinistres, du meurtre et du carnage; ceux qui en portaient des bouquets, s'annonçaient pour des conspirateurs. On vit un soir le parterre de la comédie française exiger que les dames des premières loges jetassent ces fleurs qui avaient perdu tous leurs charmes aux yeux des personnes instruites.

Quelque temps avant l'arrivée de l'usurpateur à Paris, l'argent était distribué sans crainte dans les classes les plus pauvres, certains cabarets leur étaient ouverts gratis, et on leur insinuait de témoigner hautement le désir du retour de Buonaparte, si elles voulaient vivre dans l'aisance. Des foules d'enfans parcoururent alors les rues des faubourgs, et même celle de la rue Saint-Honoré, en criant vive l'Empereur! La police continua de garder le silence. Quand l'usurpateur fut de retour à Paris, une foule de déguenillés, aux gages des meneurs, courut au jardin des Tuileries pour saluer l'illustre chef des intrigues, et tenait ses mains ouvertes derrière le dos, afin que les amis du nouvel ordre

de choses, y glissassent la pièce blanche, proportionnée à la mise plus ou moins misérable de ces soutiens du trône de la tyrannie.

D'autres agens, étrangers à ceux-ci, faisaient des vœux pour le renouvellement du règne impérial, c'étaient les jacobins. Ces gens-là redoutaient la monarchie des Bourbons, parce qu'ils craignaient qu'elle ne fit rechercher les hommes révolutionnaires qui s'étaient le plus distingués dans les jours de deuil et de sang que la France n'oubliera jamais; dès que les proclamations de Buonaparte commencèrent à se répandre, ils s'en munirent d'un grand nombre, se rendirent dans différens départemens, et les placardèrent en secret dans les villes et les bourgs, afin de prévenir les esprits et d'exciter à la révolte contre le gouvernement légitime. Un des agens de cette secte odieuse, faillit être assommé dans le département de l'Aube, il n'échappa à une mort certaine que par un de ces hasards qui quelquefois protègent les scélérats.

manquer

Le souverain de l'île d'Elbe crut toucher à l'instant où il allait lui être permis de aux engagemens solennels qu'il avait contractés. Le 26 février 1815, à une heure après-midi, toute la garde du ci-devant empereur reçut l'ordre de s'apprêter au départ. Jusqu'alors personne, dans l'île, n'avait eu connaissance de ce

qui se préparait. On avait vu seulement que, depuis plusieurs jours, il y avait eu ordre de mettre un embargo général sur tous les bâtimens stationnés dans le port. Les soldats s'imaginaient qu'il s'agissait d'aller à Naples. A quatre heures du soir, tout le monde était embarqué: la petite flotilleconsistait dans le brick l'Inconstant (nom qui aurait dû faire faire quelques réflexions à Buonaparte); ce brick portait vingt-six canons ; le chebeck l'Etoile; la Spéronade (petit bâtiment) la Caroline; le brick marchand français le Saint-Esprit, qui se trouvait de relâche à Porto-Ferrajo, et qui fut nolisé pour l'expédition; deux bâtimens de Rio et une petite felouque d'un négociant elbois : en tout six transports. Quatre cents hommes de la vieille garde, grenadiers, chasseurs, canonniers, furent embarqués sur le brick, et les comtes Bertrand et Drouot, et les principaux officiers qui l'avaient suivi dans l'île, accompagnèrent Buonaparte sur ce brick; deux cents hommes d'infanterie, cent chevaux légers polonais, et le bataillon de flanqueurs de deux cents hommes, montèrent les autres bâtimens.

Comme Buonaparte n'a jamais été avare de promesses et de mensonges, il avait donné à sa vieille garde l'assurance d'une fortune qui comblerait ses vœux; entre autres, en arrivant à

Paris, chacun d'eux devait avoir une pension viagère de trois cent cinquante francs, à prendre sur la cassette de S. M. Impériale.

Le général Lapi, chambellan de Buonaparte, et qu'il laissait gouverneur de l'île d'Elbe, répandit la proclamation suivante, curieuse comme pièce historique, et par le ton qui y règne: << Habitans de l'Elbe, notre auguste souverain, rappelé par la Providence dans la carrière de la gloire, a dû quitter votre île; il m'en a confié le commandement; il a laissé l'administration à une junte de six habitans; et la défense de la forteresse à votre dévouement et à votre bravoure. Je pars de l'île d'Elbe, a-t-il dit, suis extrêmement content de la conduite des habitans je leur confie la défense de ce pays, auquel j'attache le plus grand prix; je ne puis leur donner une plus grande preuve de ma coufiance, qu'en laissant ma mère et ma sœur (1) sous leur garde; les membres de la junte et tous les habitans de l'île peuvent compter sur ma bienveillance et sur ma protection particulière.»

A huit heures du soir, Buonaparte s'embarqua sur le principal brick. Aussitôt qu'il fut dans le navire, un coup de canon donna le signal du départ, et l'on mit à la voile. La soirée était superbe, et le

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