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même le vouloir; car, sous la loi de raison, rien ne se fait sans cause... » Fort bien ! Mais qu'est-ce que la loi de raison? Voilà ce qu'il eût fallu savoir, et voilà précisément ce qu'oublie de dire Rousseau.

C'est toujours l'histoire du singe qui avait oublié d'éclairer la lanterne magique.

Le Contrat social de Rousseau n'est en réalité qu'une lanterne magique; mais ce qui est grave, c'est que beaucoup de gens qui n'y aperçoivent pas la moindre clarté, pris par le boniment de la porte, par les titres de chapitres, par quelques mots et par quelques formules bien frappés : « Le pacte social. La souveraineté est inaliénable. — La volonté générale est indestructible, etc. », s'emparent de ces formules, les répètent, les ressassent, les interprètent d'une manière qui eût stupéfait Rousseau, et immolant complétement l'individu à la société, le citoyen à la cité, aboutissent à la théorie plébiscitaire et considèrent toute liberté comme un vol fait par celui qui en profite au reste de la cité.

Rousseau, du reste, avait fait un calcul qui justifie cette conséquence.

Rousseau déclare que la liberté est d'autant plus grande que l'État est plus petit, parce que plus l'État s'agrandit, plus la liberté diminue pour chacun, puisque la liberté de chacun n'étant que sa part de souveraineté sur les autres, cette part diminue en raison de leur nombre (1).

On a cherché l'influence de Montaigne et de Bayle sur Rousseau. C'est là une profonde erreur. Rousseau, toute sa vie, est resté un citoyen de Genève. C'est un disciple de Calvin. Il tient de lui l'esprit rigide et dominateur.

(1) Émile, liv. V.

Rousseau a fait la théorie de la « souveraineté du peuple » de l'infaillibilité de « la volonté générale. »>

Il nous a légué ces deux termes, et ce sont eux encore qui régissent notre système social; ce sont eux que nous entendons invoquer à tout instant, tantôt par les métaphysiciens du droit social, tantôt par les orateurs et les écrivains politiques qui, sans se donner la peine d'aller jusqu'au fond des choses, se servent de formules toutes faites pour échafauder leurs arguments du jour.

Rousseau, ses disciples, Robespierre, les théoriciens et les praticiens de la souveraineté du peuple, ont eux-mêmes hérité du préjugé monarchique, gouvernemental, autoritaire. Ils se sont indignés contre les princes, possesseurs du pouvoir au nom du droit divin; ils ont déplacé ce droit et en ont fait le droit social, sans s'apercevoir qu'ils investissaient les délégués du droit social du même droit que les représentants du droit divin. Ils changeaient le fondement du pouvoir, alors que c'était le pouvoir même qu'il fallait détruire. Le droit social proclamé comme abstraction, il a fallu passer à l'application, à sa forme concrète. Alors la « volonté générale s'est fractionnée en majorité et en minorité; la majorité a nommé des délégués chargés d'opprimer la minorité en son nom. Il est arrivé certains moments même où cette majorité, fatiguée, ahurie, cherchant sa route et ne la trouvant pas, partagée entre la lassitude et l'épouvante, s'est déchargée de toute volonté et de toute idée entre les mains d'un César.

Il est vrai que Rousseau avait pris la précaution de dire que la souveraineté ne pouvait être ni aliénée, ni déléguée, ni représentée. C'était remettre un instrument entre les mains du peuple en lui disant : Défense de

s'en servir.

Il ressemblait exactement à ces parents qui donnent des

tambours à leurs enfants et ne veulent pas leur permettre

d'en battre.

Le peuple a voulu naturellement user de cet instrument. Nous allons voir l'usage qu'il en a fait.

Je crois, en attendant, après l'examen rapide de ces diverses théories, que nous pouvons les résumer de la manière

suivante :

La métaphysique du droit social dérivant de la théologie du droit social, établit le droit de la souveraineté du peuple. Au seizième siècle, apparaît l'idée du contrat dans le domaine politique; mais tous les publicistes qui émettent cette idée du contrat social, Jean-Jacques Rousseau compris, déclarent qu'il a pour but l'aliénation des droits individuels à la communauté.

Ils en arrivent forcément à cette conclusion: la surbordination de l'individu au souverain collectif ou personnel.

CHAPITRE IV.

LE DROIT SOCIAL ET LES GOUVERNEMENTS

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

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Depuis 1789, l'idée de la souveraineté du peuple a dominé toutes nos constitutions, à l'exception de la Charte de 1814. Nous allons examiner les résultats pratiques qu'elle a pro

duits.

La Déclaration des Droits de l'homme disait : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane directement. >>

La constitution de 1793 disait : Article 7. — « Le peuple souverain est l'universalité des citoyens français. »

La déclaration des droits de 1795: :- « La souveraineté réside essentiellement dans l'universalité des citoyens. »>

La constitution de 1795, article 2 : - « L'universalité des citoyens est le souverain. »

Les auteurs de ces formules ne faisaient pas attention à la conséquence à laquelle ils aboutissaient logiquement. Ils parlaient de l'universalité des citoyens, mais ils oubliaient

que cette universalité se divisait habituellement en majorité et en minorité; or,, si l'universalité seule était le souverain, il n'y avait donc jamais de souverain, ou bien une partie de l'universalité, loin d'être le « souverain », était au contraire sujette de l'autre partie. En fait, c'était ce qui arrivait.

:

La constitution de l'an VIII ne contient pas de déclaration de principes, mais elle aboutit à l'article 1er de la constitution de 1804 (Sénatus-Consulte Organique) ainsi conçu : Article 1er « Le gouvernement de la République est confié à un empereur qui prend le titre d'empereur des Français. » La constitution de 1848, article 17, reprend la thèse de la constitution de l'an III : « La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens français. Elle est inaliéniable et imprescriptible. - Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. »

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La proclamation du 30 juillet 1830, qui escamotait la révolution au profit du duc d'Orléans, se terminait par ces mots : « Le duc d'Orléans acceptera la Charte comme nous l'avons toujours entendue et voulue. C'est du peuple français qu'il tiendra sa couronne. »

La Constitution du 14 janvier 1852 s'abrite sous les grands principes de 89, et déclare qu'elle est le résultat de la volonté du peuple. Napoléon III fait ratifier son coup d'État par deux plébiscites et se déclare « responsable" devant le peuple français. Il est vrai qu'il ne le consultera que quand bon lui semblera et qu'il n'explique pas, si le peuple français lui donne tort, quelle sera la sanction de ce verdict.

Ainsi toutes les constitutions que nous avons eues depuis 1789, sauf la Charte de 1814, sont basées sur le principe de la souveraineté du peuple qui eût dû, d'après les déductions de Rousseau, garantir à jamais la liberté.

Chacun de nous connait trop bien l'histoire contempo

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