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garnison de l'ile (*). Tous s'inclinent avec un respect mêlé de stupeur, devant ce corps inanimé, qui pendant un quart de siècle a été l'axe de la société européenne. Les régiments de la garnison, des députations de l'escadre, officiers, soldats et marins, défilent à leur tour et mettent genou en terre. Quelquesuns pressent sur leurs lèvres le manteau de Marengo. HudsonLowe essaie de s'opposer à la pieuse manifestation et veut arrêter l'élan qui entraîne tous les soldats à Longwood; mais le colonel du 20° lui répond : « Napoléon est mort; la loi d'exception n'existe plus. J'ai le droit de faire sortir mon régiment comme il me plaît; et je le fais.

Un caveau fut construit à la hâte, à la fontaine Tolbett, audessous d'un cottage qui servait de résidence au général Bertrand. Le 9 mai les travaux étaient terminés, et à onze heures eut lieu le convoi funèbre. Le corps de Napoléon Bonaparte avait été placé dans un cercueil de fer-blanc, doublé de satin. On y déposa également le cœur renfermé dans un vase, l'estomac dans une boîte, des monnaies d'or et d'argent à l'effigie de l'empereur. Un second cercueil en plomb reçut le premier, et un troisième en acajou les deux autres. La garnison prit les armes et forma la haie. Les coins du poële étaient tenus par le comte Bertrand, le comte Montholon, Napoléon Bertrand et Marchand. Madame Bertrand, ses enfants et la maison de l'empereur entouraient le char, que suivit l'état-major et toute la garnison. Quand on descendit le cercueil, il fut salué par l'artillerie des forts et de l'escadre. Une garde d'honneur fut laissée près du caveau fermé et scellé. L'Angleterre ne voulait pas même se dessaisir du cadavre de son prisonnier, dont le nom scul lui apparaissait comme une menace.

Sainte-Hélène n'est plus qu'un tombeau. Le 30 mai, ceux qui ont partagé jusqu'au bout la captivité de Napoléon Bonaparte

(*) Récit de la captivité de Sainte-Hélène, par le général Montholon.

TOME V.

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s'éloignent de cette ile, après un dernier adieu à la fontaine Tolbett. Le Calmel, bâtiment de la marine anglaise, les conduit dans la Grande-Bretagne, où ils solliciteront en vain l'exécution du dernier vœu de l'empereur. Pour que ce vœu soit accompli et que ses restes mortels puissent reposer sur les bords de la Seine, il faut que toute une génération grandisse, apportant au monde une idée nouvelle, et que le danger des aristocraties européennes ne vienne plus d'un trône audacieux, mais de l'affranchissement direct et spontané des peuples.

CHAPITRE XXIV.

ÉPILOGUE.

Les Idées napoléoniennes.

Les Intérêts et les Principes. - L'Autorité et la Liberté. - Le Fait et le Droit.

Après avoir suivi, dans un long récit, toutes les phases de l'époque impériale, salué le berceau, couronné la gloire, raconté la chute et conduit le deuil du grand homme des temps modernes; il est utile, laissant de côté tous les événements, oubliant le drame et ses péripéties, de résumer en quelques pages les idées qui en ressortent avec leur enseignement.

L'histoire n'est pas seulement la mémoire des actes humains, elle est encore leur philosophie; et si le passé n'avait rien à apprendre à l'avenir, il faudrait rejeter parmi les simples curiosités de l'esprit les annales stériles du monde.

Il n'en est point ainsi, heureusement. Les sociétés, depuis leur origine, se meuvent dans un cercle qui ne change pas; elles nous offrent sans cesse le spectacle d'une lutte acharnée entre les Intérêts et les Principes, entre l'Autorité et la Liberté, entre la force expansive du Droit et la force compressive des

Faits. Et c'est en étudiant avec soin les divers épisodes d'une telle lutte, en examinant de près les conditions dans lesquelles elle s'est produite tant de fois, que nous pourrons en tirer un jour les grandes lois d'une conciliation sociale, où l'Harmonie remplacera enfin les Antagonismes.

L'histoire des périodes complètes, des systèmes politiques qui nous ont donné leur dernier mot, qui ont acquis tous leurs développements et poussé jusqu'à leur épuisement définitif l'expérimentation de leur formule; une histoire semblable est la seule qui puisse se prêter à un travail de cette nature. La Révolution française, si violemment agitée dans sa marche, mutilée presque à son berceau, disloquée par la conspiration de ses ennemis, noyée dans le sang de ses propres apôtres, tombant enfin dans les mains du Directoire, qui en fit une mine d'or et d'intrigues au profit des corrompus de tous les régimes; la Révolution de 1789 n'est point dans une telle condition. Elle nous a montré le but, qui est l'affranchissement du peuple, la solidarité des hommes, l'égalité des droits et des moyens; mais tout occupée à abattre le vieux monde, elle succombe précisément sous les embûches des priviléges mal étouffés, à l'heure où, sur le sol déblayé, son bras puissant va jeter les premières pierres de l'édifice nouveau. Et cela explique comment, lorsque chez tous les esprits animés du feu de la démocratie, il y a eu un accord unanime sur la haute moralité de cette Révolution, sur sa légitimité, sur sa synthèse; tant de divergences se rencontrent dans l'analyse des faits, dans l'appréciation des caractères, dans la valeur des actes isolés.

L'empire se présente à nous sous un aspect différent. Formant un tout complet, d'une seule pièce, mû par une pensée constante; il offre encore cet immense avantage à la philosophie historique, que celui qui dirigea ses destinées, précipité du trône et contemplant de son exil l'œuvre de ses adversaires, éclairé par une terrible expérience, connaissant l'écueil contre

lequel il s'est brisé, a pu nous donner lui-même, après coup, la théorie de son régime modifiée par la leçon des événements. De manière que si les rares partisans de ce régime étaient rendus un jour, par une combinaison inouïe de circonstances, à la possibilité de le restaurer, ils ne seraient point admis, pour excuser ses vices et son inanité sociale, à arguer d'une première expérimentation incomplète et tronquée par une catastrophe.

Des idées révolutionnaires de 1789, nous ne connaissons encore que les puissantes et généreuses aspirations, et, nous l'avons vu ailleurs, l'échafaud de thermidor, la réaction de 1794 ne permit point aux Jacobins de nous donner leur dernier mot. Des idées napoléoniennes, nous en savons tous les secrets; ils sont consignés dans les annales de quinze années et dans les écrits venus de Sainte-Hélène. Ce sont ces idées que nous analyserons au profit de la génération présente, afin de lui éviter, non pas le fatal essai d'une restauration impériale impossible devant le bon sens et l'éducation politique des masses, mais de dangereuses illusions et les regrets du passé, lorsqu'un avenir immense sollicite toutes les forces vives du peuple.

Il y a dans les sociétés, avons-nous dit, un antagonisme qui tend chaque jour à se dessiner davantage, à mesure que la lumière se fait et qu'un plus grand nombre de citoyens sont appelés dans l'arène de la discussion et de la vie publique : c'est celui des Intérêts et des Principes, de l'Autorité et de la Liberté, des Faits et du Droit. Tant que cet antagonisme n'aura pas disparu, les révolutions seront imminentes, et le monde sans cesse bouleversé, ne marchera vers le progrès qu'à travers les larmes, le sang et l'anarchie. Un gouvernement par excellence serait celui qui ferait disparaître a priori cette cause éternelle de luttes. Il ne nous a pas été donné encore d'en posséder un pareil.

Les gouvernements dangereux sont ceux qui portent dans leur propre sein le type de cet antagonisme, sous forme de pondération ou d'équilibre des pouvoirs; les mauvais gouverne

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