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CHAPITRE V.

LES FRONTIÈRES DE LA FRANCE PENDANT LA GUERRE DE LA LIGUE D'AUGSBOURG.

Le règlement des places de la frontière ne fut pas fait d'un seul jet et subit plusieurs phases. Cette œuvre dura à peu près vingt ans et fut exécutée, pour la partie de la mer à la Meuse, de 1678 à 1688, et, pour la partie de la Meuse au Rhin, de 1688 à 1698', c'est-à-dire pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, qui lui fit subir sa première épreuve. De 1678, où elle fut définitivement résolue, à 1688, elle fut entamée avec des hésitations, avec des retours en arrière, surtout de la part de Louis XIV et de Louvois. Le ministre, qui aimait trop la guerre et y trouvait son crédit, ne regardait point la limitation de la France comme définitive; et le roi regrettait ces

1 En 1679 on construisit Maubeuge, Charlemont, Longwy, Sarrelouis, Bitche, Phalsbourg, Schelestadt, Huningue, Besançon, Perpignan, Bellegarde; en 1680, Montlouis; en 1681, Strasbourg; en 1684, Luxembourg; en 1689, Landau, etc., etc.

LES FRONTIÈRES DE LA FRANCE.

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conquêtes si bien commencées, ces Pays-Bas que Mazarin lui montrait tout enfant, comme nécessaires à sa gloire : « il croyait, disait-il, avoir passé en cette rencontre les bornes de la sagesse. » Quant à Vauban, il y mettait plus de suite et d'ensemble il y avait déjà dix ans qu'il pressait le roi « de faire son pré carré. » D'ailleurs, et malgré ces défaillances ou ces regrets, Louvois ne manquait point chaque année de visiter toutes les frontières, examinant les lieux, pressant les travaux, encourageant ingénieurs et ouvriers, et, l'année suivante, Louis XIV allait à son tour inspecter ces mêmes places, en dissimulant ses projets sous les pompes de la cour qui l'accompagnait : à peine arrivé, et même la nuit, il parcourait tous les travaux, entrait dans les plus minces détails, et montrait autant de sollicitude que d'intelligence dans l'accomplissement de cette œuvre capitale'.

L'examen détaillé des lieux, pendant ces voyages, amena Louis XIV, Louvois et Vauban à rcconnaître les défauts du plan d'ensemble, princi

1 Voir les détails très-curieux donnés dans la Gazelle sur les voyages du roi, principalement en 1680, où il visita les place maritimes de Boulogne à Dunkerque, et toutes les places de la Lys, de l'Escaut et de la Sambre, en 1681, où il visita celles de la Lorraine et de l'Alsace; en 1682, où il visita celles de la Franche Comté, etc.

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palement dans les trouées qui restaient ouvertes entre la Meuse et la Moselle, entre la Moselle et les Vosges, sur le Rhin. Alors Louis XIV s'emporta à de nouveaux agrandissements pour rectifier les parties défectueuses des limites où il voulait s'enfermer, et il les fit décréter par les chambres de Metz, de Brisach, de Besançon, comme dépendances des conquêtes anciennes. On réunit ainsi quatre-vingts fiefs dans la Lorraine, parmi lesquels Sarrelouis et Bitche; dix villes de l'Alsace, parmi lesquelles Strasbourg et Lauterbourg; le duché de Deux-Ponts, les comtés de Chimay et de Montbéliard; enfin on prit au roi d'Espagne Luxembourg, Courtray, Dixmude, etc.

Ces réunions étaient fort importantes, la plupart bien choisies, et elles complétaient le règlement des fortifications de Chamlay et de Vauban. Ainsi, et pour ne parler que de trois places, on sait que Strasbourg est la principale défense de la frontière de l'est. « Cette ville sera, écrivait Louvois, un monument éternel de la grandeur du roi et du soin qu'il a pris de mettre son royaume à couvert des entreprises de ses ennemis. » Nous avons dit plus haut ce qu'était Sarrelouis. Quant à Luxembourg, « c'est la plus belle et la plus glorieuse conquête que le roiit jamais faite, qui mettra notre fron

tière en tel état que les Allemands ne pourront jamais attaquer le royaume par ce côté-là». En effet, elle couvre l'espace entre la Meuse et la Moselle, et ouvre, par Longwy et Verdun, la route de la Champagne sur Paris; aussi, quand on fut obligé, en 1698, de laisser à l'ennemi cette place, que Vauban avait mis tant de soin à fortifier, ce ful pour notre frontière une blessure irréparable, et les Prussiens s'en servirent en 1792 pour envahir la France.

Ces réunions, faites brutalement et en pleine paix, indignèrent une grande partie de l'Europe; une coalition nouvelle se prépara; la guerre recommença, guerre des limites, ainsi que l'appellent les contemporains. Mais Louis XIV s'arrêta, et, croyant son but suffisamment atteint par la possession de Sarrelouis, de Luxembourg et de Strasbourg, il consentit à signer la trêve de Ratisbonne, par laquelle il garda provisoirement ses nouvelles conquêtes (1684). Il s'en croyait maître à jamais et se hâta de les fortifier; mais, pendant qu'il paraissait rentré dans sa politique de modération, la ligue d'Augsbourg se forma dans le but d'annuler la prépondérance de la France, et le premier acte de cette grande coalition fut la révoA Histoire de Louvois, t. III.

lution de 1688, qui, en détrônant les Stuarts, en enlevant l'Angleterre à l'influence française, eut un résultat immense et inattendu elle fit manquer à la France ses frontières naturelles.

Depuis cinquante ans, l'Angleterre était tombée dans une sorte d'annulation politique, d'abord par ses guerres civiles, ensuite par la corruption génė– rale des hautes classes, enfin par la complaisance honteuse de Charles II, qui était le pensionnaire, et, en quelque sorte, le vassal de la France. Louis XIV en avait protité pour faire des conquêtes, étendre ses frontières, se donner une marine, fonder des colonies, enfin établir la grandeur de la France sur des bases que rien n'a pu ébranler. La révolution de 1688 ayant été une protestation, et pour ainsi dire un soulèvement des Anglais contre l'influence française, avec elle tout changea de face. Alors la « guerre contre la France, dit un historien anglais, devint en quelque sorte une partie de la constitution britannique. » Louis XIV comprit toute la portée de cet événement, et quoique décidé à le combattre de tous ses efforts, il n'hésita pas la France n'avait plus qu'un grand ennemi, mais un ennemi d'autant plus dangereux qu'il était insaisissable; il fallait changer résolûment de conduite à l'extérieur, se concen

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