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avoir allumé le feu de l'intolérance dans le midi, ce prince essaya ensuite d'en arrêter les ravages. Quoique j'aie souvent gémi et que je me sois plaint hautement dans les premiers temps de la révolution, de la mollesse de l'assemblée constituante et du gouvernement contre certains désordres, il n'est pas moins vrai qu'à cette époque où tant de circonstances les rendaient plus excusables, il ne s'est jamais rien passé de comparable à la connivence non déguisée que les crimes de 1815 ont trouvée dans un grand nombre d'autorités de la restauration.

III.

SUR LE GÉNÉRAL BERNADOTTE (1).

Le prince royal de Suède est un des hommes les plus séduisants par sa brillante bravoure, ses manières nobles, engageantes. et sa générosité chevaleresque. Il parlait volontiers des commencements de sa vie, surtout avec moi qu'il se plaît à reconnaître comme ayant ouvert la lice aux classes non privilégiées : « J'ai plus altéré ma santé, me disait-il, étant adjudant d'un régiment, pour obtenir le rang d'officier, qu'il ne m'en a coû é pour tout le reste de ma fortune.» La révolution, en flattant son ambition, ne l'empêcha pas de se compromettre pour le maintien de la discipline et pour la défense de son colonel, aristocrate enragé, le même dont il dit quelques années après au directoire dans ses vains efforts pour le sauver : « Si vous m'accordez la vie de M. d'Ambert, ce sera la récompense de ce que j'ai jamais fait ou puis jamais faire pour la république. »> Quoique beau-frère de Joseph Bonaparte, il refusa de seconder la révolution du 48 brumaire. Quelque temps après il se trouva compromis dans une conspiration de Bretagne, et ne s'en tira qu'en laissant à Napoléon de grands avantages sur lui, ce qui explique comment il consentit, lui républicain très prononcé, à escorter le corps municipal de Paris, proclamant l'empire dans les carrefours. « Mon cher général, » me disait-il avec une aimable franchise, << nous sommes tous plus ou moins courbés devant l'idole ; il n'y a que vous qui soyez resté debout. » C'est à propos d'une mission.

(1) Voy. la p. 388 de ce vol. - C'est le 21 août 1810 que le maréchal Bernadotte fut élu prince héréditaire de Suède par les états-généraux de ce royaume, et adopté par Charles XIII auquel il succéda, sous le nom de Charles XIV, le 5 fevrier 1818.

relative à la Louisiane que je fis connaissance avec lui. Je crois avoir contribué à le préserver d'un piége de Bonaparte qui l'éloignait d'Europe sous prétexte d'une négociation qu'on traitait à Paris. Bientôt après, quand je me cassai le col du femur, il vint fréquemment me voir. Nous parlions du despotisme impérial et de nos vœux pour la liberté : « Si nous tombions d'un nuage au milieu de la << place Vendôme, Moreau, vous et moi, l'épée nue à la main, » me disait-il un jour, « nous serions d'abord un peu embarrassés de nos

figures; mais qui sait s'il n'en résulterait pas une révolution? » Rentré en France après la campagne de Wagram, il eut le bonheur de sauver Anvers avant que Napoléon eût eu le temps de pourvoir à sa défense. Sa nomination au trône de Suède fut due en grande partie à sa noble conduite dans la campagne de Lubeck, non seulement parce qu'il avait garanti cette ville de l'incendie en se jetant entre les batteries ennemies et les siennes, et du pillage autant qu'il avait dépendu de lui, mais aussi parce qu'il avait renvoyé sans rançon des régiments suédois, faisant habiller les soldats et prêtant aux officiers tout l'argent qu'il avait. L'empereur fut étonné de ce choix : « Je l'approuve, lui dit-il, parce qu'il est dans l'ordre de ma po<< litique; mais je ne veux y prendre aucune part qui m'engage à vous << soutenir. » Il se contenta de retirer avec éclat le minstre français qui, croyant lui plaire, portait un prince danois, et ce fut beaucoup. Ces détails me furent donnés par Bernadotte lorsque j'allai l'embrasser et lui parler des intérêts des neutres sur lesquels il eut une conférence avec Bonaparte. Celui-ci, qui savait ou devinait tout, dit le même jour à Maret; « Bernadotte m'a parlé à fond des <«< affaires américaines; saleçon était bien faite. » En quittant le nouvel héritier du trône de Suède, je lui dis que je l'estimais trop pour le croire susceptible d'être gâté comme tant d'autres par cette modification de son état, objet très secondaire au devoir qu'a tout ami de la liberté de ne regarder les circonstances de la vie que comme des moyens de servir la cause commune. Sa réponse fut aussi cordiale que je pouvais le souhaiter. J'avoue qu'on peut reprocher à Bernadotte quelques-uns des défauts attribués au climat méridional. Il a souvent aussi, non à la guerre, mais en politique, celui de l'indécision. Ce n'en est pas moins un des hommes en qui j'ai rencontré le plus de talents, le plus d'âme et de qualités attachantes. Nous étions convenus qu'en attendant des relations plus directes

avec les États-Unis, un Américain lui serait adressé par leur ministre en France. M*** qui s'y rendit de Hambourg, au mois d'octobre 1840, lui porta une lettre de moi, et eut lieu d'être très content de ses rapports avec lui.

Pendant la campagne de Russie, Napoléon s'était flatté de la coopération de la Suède et de la Turquie pour recouvrer leurs provinces récemment perdues. Ce fut même un des motifs qui lui firent commettre l'énorme faute de rester à Moscow dans l'espoir de les déterminer par un tel succès; mais la mauvaise foi avec laquelle il les avait précédemment sacrifiés à l'empereur de Russie précisément dans le cas de la Finlande, de la Valachie et Moldavie, lui ferma tout accès à la confiance de ces gouvernements. Celui de Suède, après quelque hésitation, entra dans la coalition de 1815. L'Angleterre, charmée de voir un général de la révolution en armes contre la France, porta le prince royal aux nues; mais Bernadotte semblait vaincre à regret. Il conjurait ses anciens camarades de porter l'empereur à la paix. Il fut taxé, à la bataille de Leipsick, de n'avoir exposé que sa personne, ménageant ainsi ses troupes et les nôtres; il eut l'air de ne penser qu'à la Norwége, courut ensuite à toute bride sur le Rhin et s'y arrêta sans vouloir suivre la ligne commune et sans oser prendre un grand parti. En entrant dans la coalition, il avait chargé un consul suédois d'un billet où j'étais prié de juger favorablement sa conduite jusqu'à ce qu'il eût pu me prouver qu'il restait fidèle à la liberté et aux vrais intérêts de la France. Quelques arrestations à Paris l'inquiétèrent, et un courrier fut dépêché pour faire brûler ce billet. Arrivé dans la capitale le dernier de tous, il s'y montra visiblement embarrassé de son existence étrangère au milieu des rois ennemis de la France, et en face des Bourbons dont le trône avait, je crois, été l'objet de ses pensées. Ce fut pourtant lui qui, lorsque Moreau était arrivé d'Amérique bien décidé à ne pas quitter l'habit et la cocarde de sa patrie, lui avait persuadé de se laisser faire général russe. Je me présentai chez le prince de Suède, et j'ai su dans la suite qu'en voyant mon nom sur sa liste, son premier mouvement fut de faire courir après moi, et puis tout à coup : « Non, s'écria-t-il, je ne le verrai pas, je ne veux pas le voir, je suis trop malheureux! » Sa belle-sœur la princesse Joseph regrettait en 1815 que je n'eusse pas insisté, disant que, dans l'état de trouble où il était, personne ne

lui aurait fait autant de bien que moi. Je le regrette aussi beaucoup; mais j'y avais passé deux fois et il ne tarda pas à partir. Je n'ai eu depuis de rapports avec lui, excepté des amitiés verbales, que lorsque ces jours derniers. le chargé d'affaires américain m'ayant demandé une introduction particulière, je lui ai donué la lettre suivante : Paris, 27 février 1817 (1).

MON CHER PRINCE,

« Quoiqu'il y ait long-temps que je ne me sois rappelé à votre souvenir, je trouve dans mes sentiments beaucoup de motifs de ma confiance en vous. Permettez-moi donc de réclamer de votre ancienne amitié et de présenter à votre Altesse Royale mes amis et concitoyens américains M***. .

« J'ai souvent pensé, pendant les fameux Cent jours, à ce que nous nous étions promis de faire ensemble pour l'indépendance, la liberté et les couleurs nationales. Mais, depuis que la confiance d'un peuple généreux et libre a porté votre dynastie sur le trône du nord, je jouis, mon cher prince, de tous les rapports qui m'apprennent combien vous êtes chéris, vous et votre digne fils; je jouis encore plus de tout ce qui me confirme votre persévérance dans ce que nous disions à notre dernier adieu : « C'est que, pour de vrais amis de la liberté, les diverses situations de la vie ne sont que des moyens d'en remplir le principal but en servant la cause du genre humain. »>

« Mon fils, qui a été mon collégue dans la chambre des représentants et qui partage ma retraite, me prie de le rappeler à vos bontés. Madame de Staël vient d'être dangereusement malade; sa charmante fille est la femme d'un de nos patriotes les plus distingués.

« J'ai l'honneur d'offrir à Votre Altesse Royale tous les respects dus à sa haute dignité, et j'y joins l'expression des tendres sentiments que je lui ai voués très personnellement. »>

IV.

SUR L'ABOLITION DE LA TRAITE DES NOIRS (2).

Les écrivains français n'ont-ils pas, aussitôt que ceux d'aucun autre pays, réclamé contre le commerce et même l'esclavage des (1) Cette date indique en même temps celle de la rédaction des pièces et souvenirs relatifs aux années 1814-1815.

(2) Voy. la p. 390 de ce vol.

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noirs? Qu'on lise dans l'histoire philosophique et politique de l'abbé Raynal, les violentes diatribes que lui fournit le bon Péméja, bien éloigné de se douter qu'elles auraient une si terrible exécution. Qu'on ouvre les ouvrages plus modérés de Necker, de d'Alembert, de Condorcet, etc., on verra qu'ils ne le cèdent pas à ceux des plus estimables auteurs anglais. Les Américains ont la priorité dans ce qu'il y a eu d'effectif en faveur des noirs, d'abord par ce que firent avant la révolution les quakers de Pennsylvanie, et ensuite par les lois du congrès pour l'abolition du commerce des noirs; et par celles de plusieurs États pour l'abolition graduelle de l'esclavage.

Les sociétés américaines de New-York, de Philadelphie (1), le comité de la Nouvelle-Angleterre pour l'abolition de la traite, datent de 1786 et 1787. La société française est à peu près du même temps. On voit à cet égard des détails intéressants dans l'ouvrage de Thomas Clarkson, le respectable et l'infatigable patron de cette cause. L'assemblée constituante s'occupa du sort des hommes de couleur. La plupart des jacobins se firent les soutiens des colons contre la cause des noirs. «Nous faisons, » disait Camille Desmoulins, « comme ces navigateurs qui jettent à la mer quelques ballots pour arriver au port. » Mais les vrais amis de la liberté croyaient pouvoir arriver au port sans sacrilier des principes de justice et d'humanité. L'immédiate abolition de l'esclavage causa de grands maux. Il ne faut pas les attribuer seulement au délire des républicains; c'est par les aristocrates que furent excitées les premières insurrections des noirs de Saint-Domingue. Insurgés au nom du roi, arborant la cocarde blanche, ils recevaient des secours de la partie espagnole de cette île. Si la loi de l'assemblée constituante, en faveur des hommes libres de couleur, avait été maintenue, les colonies auraient été tranquilles. Le directoire français a été justement blâmé pour avoir détruit l'établissement philanthropique de Sierra-Leone. La faute n'est pourtant pas tout entière à ce directoire et à Talleyrand, son ministre. Le gouvernement français avait proposé à celui de la GrandeBretagne de stipuler la neutralité de cet établissement, le gouvernement anglais le refusa. Mais, après tout ce qui s'était passé en France, pouvions-nous entendre de sang-froid Louis XVII et le

(1) Celle de Philadelphie était présidée par Francklin, et celle de New-York fut formée par Hamilton qui voulut bien mettre mon nom sur la liste des fondateurs. Note du général Lafayette.)

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