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de son caractère ne laissent à désirer qu'une ame supérieure à l'instinct du despotisme et d'une étroite personnalité.

Le commerce maritime a pu lui reprocher son ambition, ses garanties imprévoyantes ou peu sincères, des mesures fiscales, des méprises entre un intérêt partiel et l'intérêt général; la marine militaire a plu sieurs fois été victime de son impatiente présomption. A son retour d'Egypte où il avait cherché plutôt un point d'appui de conquêtes que le grand objet de suppléer par une culture libre au monopole expirant des Antilles, on l'a vu, quinze jours après avoir tancé un conseiller d'état pour un doute favorable à l'esclavage, adopter lui-même avec passion le vieux régime colonial. En vain ses anciens partisans furent-ils des premiers à représenter la nécessité des modifications; en vain convenaient-ils qu'aux fureurs et aux folies excitées à Saint-Domingue par les deux partis extrêmes d'Europe, on avait substitué une organisation qui du moins conservait les propriétés, admettait la culture, et dont les chefs pouvaient être rattachés à la métropole (1). Il se flatta de tromper ces chefs en reconnaissant la liberté qu'il détruisait avec fracas aux îles du Vent; il se flatta de conquérir la population noire; on en fit tant, de part et d'autre, qu'il ne fut bientôt plus question que de la détruire. Après avoir ruiné de fond en comble, et la colonie, et les colons,

(1) Les réglements de culture promulgués dès le mois de février 1794, modifiés ensuite par Toussaint-Louverture au mois d'août 1798, maintinrent les droits de la propriété, concilièrent les intérêts des propriétaires et des noirs, pendant huit années, jusqu'à l'arrivée de l'armée française en février 1802.

après avoir dépassé en atrocités les premiers conquérants espagnols et les terroristes jacobins, il fallut tout abandonner, ne trouvant de salut pour les faibles restes de la plus belle armée que dans les prisons anglaises. Nos rivaux héritèrent de cette bienveillance des Africains si chèrement achetée, et aujourd'hui changée en une horreur réciproque. Et lors même que la courageuse persévérance du général Ferrand nous rouvrirait Saint-Domingue, comment excuser les fausses combinaisons qui ont inutilement produit tant de malheurs, surtout si l'on rapproche la politique personnelle de l'empereur, les noms des corps et des hommes sacrifiés dans cette funeste guerre? La petite division de mon beau-frère Noailles parvint seule à s'échapper, et ne dut son salut qu'à l'abordage audacieux où il perdit la vie. Mon ancien aide-de-camp, le général Mayer, périt plus malheureusement; il s'était obstiné à demander que LatourFoissac, destitué arbitrairement pour la reddition de Mantoue, obtînt un conseil de guerre; Bonaparte, qui l'aimait et faisait cas de lui, voulut le détacher de cette idée : << On n'apprend point à l'école de Lafayette « à faire des lâchetés, » lui écrivait Mayer dans une lettre que je n'ai connue qu'après coup. Cette altercation finit par un emploi dans l'armée de Saint-Domingue que ce brave et vertueux officier regarda comme un arrêt de mort; il le dit en débarquant, et peu de jours après la fièvre jaune avait emporté un des militaires les plus estimables et des plus vrais patriotes qui aient jamais existé.

L'administration financière sera aussi, je crois, très critiquée, non que je partage une méprise assez com

mune qui provient de l'augmentation comparative de l'impôt et de la ponctualité des paiements; on oublie que le peuple payait autrefois tout ce qu'une surcharge et une perception impitoyable en pouvaient tirer. Mais l'égalité de répartition, la suppression de priviléges innombrables et d'abus absurdes, la circulation rendue à des milliards de biens de main-morte, le mouvement donné à l'industrie, l'abolition des droits féodaux et des dîmes (car je ne pense pas comme les aristocrates que la classe agricole gagnât beaucoup à ce qu'on lui prît son blé pour la commodité de trouver chez le décimateur de la paille à vendre), enfin l'extinction des censives que nous avions avec équité rendues rachetables, et que la convention, moins scrupuleuse, proscrivit tout à coup; voilà les principes d'une incomparable fécondité, entre beaucoup d'autres, qui résultèrent de la première direction révolutionnaire. Ils ne purent être qu'en partie détruits par les extravagances et les crimes dont on souilla jusqu'à l'expression que je viens d'employer. Les États-Unis avaient eu aussi leur assignats, leurs réquisitions et leur maximum; tout fut effacé par quelques années d'un régime complètement libre. Le Directoire en était bien loin; mais dans ce qui ne tenait pas à des besoins immédiats de tyrannie politique ou fiscale, on suivait encore, à beaucoup d'égards, l'impulsion libérale des premières années; aussi les émigrés, les étrangers, les Anglais surtout, revoyant la France après ce terrible intervalle de désordres et de guerre, furent-ils stupéfaits des progrès de sa prospérité. J'avais droit d'être moins surpris, et cependant quand je revis ma patrie, et

surtout mon pays natal, j'éprouvai l'émotion d'un cultivateur qui, à la suite d'un long ouragan, retrou verait plus de semences levées qu'il ne l'avait espéré.

J'insiste sur ce fait dont j'ai recueilli de nombreux témoignages parmi les hommes les moins prévenus dans ce sens, prêtres insermentés, fermiers de moines, juges de seigneurs, etc. Pour en donner une simple idée, il suffirait de copier ici quelques notes de mes premiers voyages à Chavaniac (1). La plupart de mes recherches furent conformes à l'évidence des faits dont j'étais frappé. Il est vrai que, pendant que le sort des quatre cinquièmes de la population était ainsi amélioré, la capitale, les villes commerçantes, et quelques-unes de nos fabriques, avaient cruellement souffert; mais de cette prospérité foncière devait naître, au moment de la paix, un prodigieux déploiement d'industrie commerçante et manufacturière.

Ce serait donc une grande erreur d'attribuer au gouvernement impérial la fortune publique et l'aisance individuelle de la France; je dirai plus, et tout ce que j'ai observé dans ma retraite, tout ce que j'ai vérifié au dehors me démontre que cette prospérité décroît moins encore par l'abus excessif que l'em

(1) Pendant son voyage en Auvergne, au mois d'août 1800, peu de temps après son retour de Hollande, le général Lafayette se livra à beaucoup de recherches sur la condition des ouvriers, particulièrement des cultivateurs, comparée à ce qu'elle était avant 89; il prit avec un vif intérêt et une minutieuse exactitude de nombreuses notes sur les conséquences de l'assiette et de la répartition nouvelle des impôts, des réformes administratives, des grands changements et des progrès qu'il remarqua sous tous ces rapports. Les observations qu'on trouvera à l'appendice de ce vol. n° 1, ne sont qu'un fragment de cette étude qui ne nous est point parvenue en son entier.

pereur en a fait, que par sa manie de substituer partout les vieux préjugés aux idées libérales.

Si la statistique dont on s'occupe établit une comparaison avec l'année 1789, elle sera satisfaisante; mais si l'on prenait un troisième terme, et que ce fût l'an viii ou x, on n'aurait que trop à reconnaître la vérité que je crois devoir consigner dans cet écrit.

Je n'en citerai qu'un exemple entre mille : C'est à l'affranchissement de la navigation intérieure, à la suppression des entrées de Paris et des droits d'aides que la Limagne d'Auvergne avait dû le rapide progrès de sa richesse; elle diminue annuellement à mesure qu'on est revenu aux institutions de l'ancien régime. J'ai vu dans plusieurs autres départements un décroissement semblable produit par diverses causes du même genre. En effet, et malgré l'assertion qu'un citoyen distingué, M. Daunou, a paru adopter dans un écrit récent, il n'est pas plus vrai que « l'autorité arbitraire puisse suppléer aux « principes d'une administration nationale (1), qu'il n'a été vrai précédemment qu'on pût faire de la bonne république au mépris de la déclaration des droits. C'est en substituant une métaphysique de circonstance au simple bon sens de la liberté que beaucoup de patriotes bien intentionnés ont concouru à dénaturer la révolution, et ont fini par procurer à la France un despotisme de leur choix et à eux

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(1) Notice sur Rhulière, p. vi et VII (1807), par M. Daunou. Cet honorable publiciste établit là que malgré l'importance qu'on attache aux formes du pouvoir, les bienfaits de la puissance en peuvent toujours justifier et maintenir l'étendue, et qu'après tout, l'autorité la moins limitée est celle aussi qui trouve le moins d'obstacles au bien qu'elle a la volonté de faire. (Note du général Lafayette.)

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