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et la banque en fut pour neuf cents francs de perte; cette leçon valait bien neuf cents francs.

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Un général célèbre avait inventé un coup qui porte son nom. Il joua, un jour, sous l'empire, au Cercle des Etrangers, à rouge ou à noire un petit rouleau cacheté aux extrémités, et qui avait toutes les apparences d'un rouleau d'or de mille francs s'il perdait, il reprenait son rouleau, et donnait un billet de mille franes; il vient à gagner; il dit au banquier, qui, à son tour, lui offrait mille francs : « Mais permettez, j'ai joué plus gros jeu.» On ouvrit le rouleau, et on y trouva, au milieu de quelques pièces d'or, quinze ou vingt billets de mille francs.

Le général fut payé, mais on se souvint de la leçon, et on ne joua plus qu'avec des masses à découvert, et qu'avec des mises limitées.

Dans les cent-jours, il se fit contre la banque un coup qui porte encore le nom de celui qui l'avait inventé. Un des complices, laissant tomber une pièce de monnaie, fit semblant de la chercher sous la table, et, pendant ce temps, il y plaça une machine infernale... A un moment donné, un autre complice faisait le même manége et mettait le feu aux poudres. Seuls, les auteurs de ce coup n'étaient point troublés, et au milieu du désordre et de l'effroi général, ils s'emparaient, en fuyant, de l'or et des billets de banque étalés sur la table; ils se disaient: « Sauvons la caisse. » Après ce coup de main, la mise en banque ne fut plus étaléc sur la table; elle fut seulement enfermée dans des boîtes en cuivre, très à jour pour tenter l'œil du joueur.

Tous les joueurs de profession sont restés inconsola

bles de la fermeture des jeux. On proposait récemment devant moi un mariage à un jeune homme bien né, élégant, et qui, dans sa vie de joueur, avait su étonner la galerie par des coups d'audace et par de gros bénéfices: « La dot, lui disait-on, est de deux cent mille francs. Ce ne serait, répondit-il avec tristesse, un mariage possible que si les maisons de jeu étaient rouvertes. >>

En 1849, dans un voyage sur le Rhin, j'ai visité toutes les maisons de jeu de l'Allemagne; j'y ai retrouvé une grande partie du personnel de 1818; personnel de tailleurs, de bouts de tables, de Messieurs de la chambre, et surtout de vieux joueurs. La passion du jeu, comme l'avarice, met presque le cœur humain en dehors des autres misères de la vie; le joueur, l'avare, se nourrissent de chimères, leur plaisir est le seul qui ne craigne pas la satiété; leur passion sans mélange est toujours plus vive.

Byron, en peignant l'avare, a peint aussi le joueur.

« Les terres lui appartiennent; les vaisseaux lui apportent les produits embaumés de Ceylan, de l'Inde ou de la Chine. Les routes frémissent sous le blé qui remplit ses chars champêtres ; la vigne lui prépare la grappe qui rougira comme les lèvres de l'Aurore. Ses caves mêmes seraient des demeures dignes des rois! Mais, méprisant tous les appétits sensuels, l'avare règne sur tout, par la pensée... » le joueur par l'espérance.

Disons-le pour l'honneur de la justice et de la morale, les joies durables de l'avare ne coûtent de privations et de supplices qu'à lui seul; privations et supplices qui

n'en sont même pas pour lui. Les joies si fugitives du joueur peuvent coûter l'honneur et la ruine des familles et conduire, par la pente la plus douce, un cœur né honnête aux plus profonds calculs de l'improbité et du crime.

Je fus souvent le voisin, pendant mes séances de jeu, d'un jeune homme de bonne famille, d'une figure trèsagréable, bien élevé. Il jouait une marche qui fut longtemps heureuse, la montante et la descendante. Rencontrant récemment une femme qui avait été de ses amies, je lui demandai des nouvelles de mon camarade de jeu cette femme pâlit; des larmes roulèrent dans ses yeux; elle se pencha à mon oreille pour me dire: Il a été pendu à Londres pour faux.

Les jeux publics étaient autorisés avant 89.

Le 21 messidor an vii, le bureau central du canton de Paris prohiba les maisons de jeu, pour cause d'immoralité.

Fouché, sous le consulat, accorda sans adjudication à un certain Perrin, qu'on appela bientôt Perrin des jeux, l'autorisation de donner à jouer ; il lui prescrivit surtout de créer un cercle des étrangers.

Cette autorisation d'ouvrir des jeux publics ne fut pourtant pas gratuite. J'ai entendu dire à Bénazet, qui fut fermier des jeux sous la restauration, que Perrin remettait tous les matins cinquante louis à Fouché sans reçu. Fouché faisait payer aussi de temps en temps sur la caisse des jeux de Perrin des bons de police de dix ou vingt mille francs.

Le Cercle des Etrangers, situé alors dans l'ancien hôtel

Aguado, rue Grange-Batelière, comptait trois présidents. C'étaient MM. le marquis de Tilly-Blaru, le comte Esprit de Castellane et le marquis de Livry; ils touchaient chacun cinquante mille francs comme traitement annuel. On n'y jouait que le trente et un et le creps. Les mises n'étaient pas limitées. On y soupait tous les soirs; des femmes à la mode, Clotilde de l'Opéra, étaient admises à ces soupers. On dinait trois fois par semaine à ce cercle. Le prince de Talleyrand et son ami Montrond y jouaient très-gros jeu.

Le Cercle des Etrangers donnait assez souvent des bals masqués, on les appelait les bals Livry. Sous le directoire, sous le consulat, les bals masqués firent fureur. La baronne Hamelin, madame Tallien, toutes les femmes distinguées de la société étaient invitées à ces bals. Sous le consulat et dans les premiers jours de l'empire, Napoléon y vint plusieurs fois passer quelques instants, donnant le bras à Duroc et masqués tous deux.

Les présidents du Cercle des Etrangers ne permettaient guère à Perrin de s'y montrer.

Si j'en crois tous les contemporains du directoire et du consulat, rien ne peut donner une idée des plaisirs, de l'éclat et de l'ivresse de cette époque de renaissance.

Le premier consul voulut un jour faire fermer les jeux; mais Fouché déclara à Bonaparte que les jeux étaient ses meilleurs moyens et ses plus grosses ressources de police; les jeux publics furent maintenus.

Un certain Bernard succéda à Perrin, puis à Bernard succédèrent Boursault et Bénazet.

La ferme des jeux fut plus tard mise en adjudication. Les trois fermiers des jeux qui se succédèrent sous

la restauration et sous la monarchie de Juillet sont MM. Bernard, Boursault et Bénazet.

Boursault, dont j'ai plusieurs fois visité la curieuse et splendide habitation, était un homme de ce temps-ci. D'une physionomie très-accentuée, violent, emporté, toujours prêt à prendre une voix de tonnerre, il avait dû se faire écouter et, peut-être, se faire applaudir dans plus d'un club, pendant la révolution. Il avait joué des rôles tragiques, et même composé une tragédie. Dans une conversation intime ou d'affaires, et sans le moindre àpropos, il vous déclamait des vers de Voltaire ou les siens.

Sous le directoire, sous l'empire, et même sous la restauration, Boursault se cramponna à toute affaire qui pouvait donner de gros gains. Selon lui, l'énormité des bénéfices relevait et moralisait toute entreprise : il soumissionna les boues de Paris, les vidanges de Paris, les jeux de Paris.

L'habitation de Boursault était magnifique et d'un luxe intelligent. On remarquait dans sa galerie quelques bons tableaux; mais il avait surtout, dans ses appartements, les serres les plus riches, les fleurs les plus rares, dans un temps où l'horticulture était un luxe exceptionnel et bien loin de tous les progrès qui se produisent chaque jour.

Ce fut dans les serres de Boursault que, vers les dernières années de l'empire, une entrevue eut lieu entre le duc de Rovigo et Châteaubriand, par les soins de la baronne Hamelin. Cette entrevue n'amena aucun rapprochement.

Montrond avait toujours un mot cruel contre la fatuité ou l'insolence des enrichis et des parvenus; il avait donné à Boursault un sobriquet qui faisait pouffer de riré

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