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tre, que j'appellerai sœur Marguerite, était de la beauté la plus rare et la plus distinguée. Les austérités du couvent avaient dû la dépouiller de sa chevelure, mais n'avaient pu faire disparaître les sourcils noirs les mieux dessinés et les plus arqués, sous lesquels brillaient des yeux d'un iris bleu clair, protégés aussi par de longs cils noirs. La naissance, les lignes et les ailes très-mobiles du nez étaient pures et gracieuses; ses lèvres, qui rappelaient le corail, se relevaient par de doux mouvements et donnaient souvent à sa physionomie une expression de gaieté douce et de bienveillants sourires. L'éclat du teint de cette jeune religieuse (elle avait à peine vingt-deux ans) et la blancheur de sa coiffe produisaient des jeux de lumière et de couleur à charmer la vue. Ses dents, qui ne se montraient pas, mais qui se laissaient voir, avaient le ton et l'éclat que donne la santé. On surprenait et on admirait sur cette figure, d'un ovale charmant, trois choses qui d'ordinaire ne vont guère de compagnie la beauté, l'esprit et la vertu. Entre le bord. inférieur de la coiffe et le bout de l'épaule, on remarquait une distance qui donnait de la dignité et de l'élégance aux mouvements de tête. Toute sa personne était harmonieuse. La voix douce et timbrée de sœur Marguerite parlait peut-être plus encore au cœur qu'à l'oreille.

:

Dans ces entraînements de jeunesse qui respectent peu les convenances, je n'adressais jamais la parole à la sœur Cunégonde, et je ne me lassais pas de prolonger le plus possible, avec sœur Marguerite, des causeries qui ne pouvaient cependant avoir d'intérêt que par des inflexions de voix discrètes, et par des regards aussi

respectueux que possible. Tous ces manéges n'avaient point échappé à la sœur Cunégonde, et elle aussi, par ses regards sévères et par ses nuances de langage, ne me cachait ni son mécontentement ni ses tacites reproches.

La passion de la peinture et l'amour font lever de bonne heure j'arrivais toujours le premier à l'hôpital de la Charité, heureux d'admirer, de contempler et d'aimer secrètement la noble et belle servante de Dieu.

A l'extrémité d'une des salles de mon service, s'élevait la chapelle où se célébraient les offices des morts. J'éprouvai un violent battement de cœur en y surprenant un matin sœur Marguerite seule, plaçant des cierges autour d'un cercueil; je m'approchai d'elle, et ma vive émotion suffit à lui apprendre que j'avais bien des choses à lui dire. La première, elle m'adressa la parole avec le plus spirituel sourire : « J'ai, monsieur, à vous faire ici un sermon... En face du tabernacle et en présence d'un cercueil, mes paroles et les vôtres ne peuvent manquer du respect qu'on doit à Dieu. Je ne me suis faite religieuse qu'après avoir vu expirer dans mes bras ma sœur plus âgée que moi, dont la vie avait été pleine de désordres. J'ai assisté à son agonie, à ses regrets et à ses remords, et je n'ai voulu vivre ni mourir comme elle. Je sais donc le monde plus que vous ne le pensez, et je viens franchement vous supplier de me traiter avec la même indifférence que sœur Cunégonde, ou de la traiter avec autant de politesse que moi. Les passions entrent dans nos cœurs de religieuses, comme dans le cœur de toutes les femmes! seulement nous les réprimons avec plus ou moins de ferveur pour plaire à Dieu.

Votre conduite expose et excite sœur Cunégonde à pécher, en manquant de charité envers vous, et surtout envers moi laissez-nous toutes deux, pauvres religieuses, nous occuper de notre salut avec bonheur et avec joie la religion, aussi bien que le monde, a ses joies et ses bonheurs. J'ai entendu dire que vous vous distinguiez dans vos études : eh bien! soyez tout à la science, comme nous tout entières à Dieu. Je vous parle comme à un frère... (En ce moment, la sœur Marguerite allumait le dernier cierge autour du cercueil.) Eloignezvous, j'ai deux prières à adresser au ciel : l'une pour ce mort que je ne connais pas, afin qu'il soit heureux dans l'autre vie; l'autre pour vous que je crois connaître, afin que vous soyez heureux sur cette terre et que vous réussissiez dans toutes vos entreprises. >>

Attendri, ému de tant d'esprit, de tant de grâce, de raison et de bonté de cœur, je répondis d'une voix presque entrecoupée de larmes : « Voilà, ma sœur, du bonheur pour toute ma vie! Je me sens maintenant le courage de suivre tous vos conseils; mais ne pensez pas que jamais je vous oublie. » Sœur Marguerite me pria de nouveau de m'éloigner : « Croyez à mes saintes prières, vous serez heureux! »

Le lendemain, cinq heures du matin tardèrent bien à sonner. J'arrivai à l'hôpital, impatient de retrouver les regards de sœur Marguerite: mais pour la première fois elle était absente. Ce fut pour moi un coup bien douloureux et un triste pressentiment; avant que j'eusse pris mon appareil, la sœur Cunégonde me fit connaître que je devais me rendre auprès de madame la supérieure. Plus de doute, j'avais été dénoncé. Je redoutais bien peu

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les paroles et même les décisions les plus sévères contre moi; je ne me préoccupais que de la sœur Marguerite, si peu coupable et qui n'avait en rien failli à ses plus rigoureux devoirs. Madame la supérieure me déclara que je ne pouvais continuer mon service à l'hôpital de la Charité, qu'elle avait fait son rapport à M. Péligot (alors administrateur des hôpitaux civils). Je fus forcé de quitter l'hôpital de la Charité, et j'entrai à l'hôpital des Enfants, sous M. Guersant. Mon cœur fut longtemps à souffrir de ne plus voir la sœur Marguerite son souvenir agitait toutes mes nuits et tous mes rêves. Mes camarades d'hôpital et d'amphithéâtre, questionnés par moi, m'apprirent bientôt que la sœur Marguerite, qui m'avait souhaité et prédit tant de bonheur, payait bien cher ses fraternelles et innocentes prophéties : la communauté religieuse à laquelle elle appartenait l'avait envoyée à Cayenne! Elle y rendit peut-être le dernier soupir, en me pardonnant de lui avoir causé tant de souffrances, supportées sans aucun doute avec la piété d'une sainte et la résignation d'un martyr.

Que j'ai souvent dit et pensé avec l'auteur des Méditations, chantant les étoiles :

Parmi ces astres brillants...

...

Il en est un, solitaire, isolé,
Qui dans mes longues nuits m'a souvent consolé,
Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre.

CHAPITRE II

LES MAISONS DE JEU DE PARIS.

Trois mois de folie en 1818.- La population des joueurs de profession. - Mes deux procédés pour l'étude de l'anatomie et de la pathologie. — Le café du Roi. Un squelette vendu. rons-nous? ne dinerons-nous pas? La Fille d'honneur.

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dettés du matin; les enrichis du soir.

jeu.

Un dîner d'amis.

-

DineLes en

Trois mois de bénéfice au

Une idée de joueur. — Messieurs de la chambre.

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Les chefs

de parties. Les bouts de table. Les tailleurs. Les mœurs des maisons de jeu. Un conseiller d'Etat. Perse et Juvénal.

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L'argot des joueurs. Le joueur
Les célébrités des maisons de jeu.

Lord Byron.
La ferme des jeux.

- Bernard.

cahier des charges de la ferme des jeux. à 1837.- Les maisons de bouillotte. rouvrez pas les maisons, de jeu.

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Perrin des jeux.

Boursault. Bénazet. Le

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- Les produits bruts de 1819 Les commandants. Ne

Marmontel écrivit ses Mémoires pour ses enfants; il ne craignit pas de leur confesser ses péchés de jeunesse, et de leur montrer les nombreux écueils où peuvent faire naufrage une raison et une sagesse de vingt ans.

A la paternité, au talent de style et à l'esprit près, comme Marmontel, je dirai ici, pour l'expérience de tous, dans quelle route semée de périls ma jeunesse fut un instant engagée, et par quelles circonstances je passai, dans l'année 1818, d'une vie d'études sérieuses aux émotions quotidiennes du trente et quarante. Pendant trois mois, je fus joueur de profession.

De cette vie honteuse, j'ai du moins tiré d'honnêtes et d'utiles enseignements, et j'ai pu observer, depuis

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