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ménageaient guère, il leur imposa silence avec autorité, en leur disant : « Taisez-vous, Véron m'a sauvé la vie. »

Je viens de raconter là mon premier haut fait comme médecin, et ce ne fut pas le dernier. Une nuit, à trois heures du matin (les jeunes médecins ont surtout des clients de nuit), je fus réveillé par mon portier suivi de deux ou trois femmes; on venait me prier de porter secours à une vieille concierge d'une maison voisine; elle avait depuis plus de six heures un saignement de nez que les nosographes ont illustré du nom d'épistaxis. Quelques médecins appelés avaient déjà conseillé l'emploi de la colophane et de la glace; l'emploi de ces astringents avait été sans résultat; mais, passé minuit, aucun de ces médecins dont la réputation était faite, et qui préféraient la clientèle de jour à la clientèle de nuit, n'avait voulu porter de nouveaux secours.

Le tamponnement de l'ouverture postérieure et antérieure des fosses nasales me parut le seul moyen de salut; il n'y avait pas de temps à perdre ; le pouls était filiforme; la malade avait eu déjà de nombreuses syncopes; je n'avais jamais pratiqué cette opération délicate, plus pénible que douloureuse pour le patient. Toutes les portières du quartier, émues et inquiètes, étaient là ! Je me surpris plus d'habileté et d'adresse que je ne l'espérais; l'opération ne dura que peu de temps; on ne vit plus s'écouler une seule goutte de sang. Tous les témoins de cette scène me prodiguèrent leurs bénédictions. On s'extasiait de mon savoir, de mon habileté de chirurgien, et de mon dévouement à l'humanité. Peut-être plus encore par goût pour l'éloge que par crainte d'accidents,

je déclarai, aux applaudissements de tous, que je passerais le reste de la nuit auprès de la malade.

J'ai interrogé le cœur humain chez le médecin, chez le poëte, chez le compositeur, chez l'écrivain, chez l'artiste, chez la danseuse, comme chez l'homme politique, et je crains fort qu'il ne faille avoir la faiblesse d'aimer beaucoup la louange pour savoir la mériter.

Une célébrité de médecin qui prend naissance dans une loge de portier monte souvent jusqu'au premier étage et rayonne même dans plus d'un arrondissement; la pauvre concierge, en deux ou trois jours, recouvra une santé parfaite, et cette cure merveilleuse devint la nouvelle de tout le quartier. J'avais sauvé une portière : ma fortune était faite.

Très-peu de temps après, j'avais trois clients... de jour; parmi ces clients je comptais une cliente, femme riche, d'un certain âge, mais malheureusement très-obèse, et il fallait la saigner. « On ne parle, monsieur, me dit-elle, que de votre habileté, que de votre savoir, et je quitte mon médecin pour recevoir les soins d'un homme déjà si célèbre. Toute ma société fera certainement comme moi, et vous aurez en peu de temps la plus brillante clientèle de Paris. » J'ai souvent entendu dire à mon ancien professeur et vieil ami M. Roux, le plus adroit chirurgien du monde, qu'une saignée à faire lui donnait toujours des inquiétudes, et ces inquiétudes-là commençaient fort à me prendre; enfin, il fallait en venir au fait et s'emparer du bras de la malade, elle ne tarissait pas d'éloges, et il s'agissait de s'en montrer digne. Je plonge la lancette, et la veine n'est pas atteinte; je replonge la lancette, et le sang ne coule pas. Oh! alors la scène change:

« Vous n'êtes qu'un maladroit; le plus petit chirurgien saigne mieux que vous. Que je plains les malades qui se mettent entre vos mains! Pansez-moi au plus vite et allez-vous-en; me voilà peut-être estropiée. » On se doute de l'état de mon âme dans une pareille crise! Le jour de ma grandeur avait été la veille de ma décadence, et une saignée manquée avait fait crouler tous les châteaux de cartes de ma prompte et populaire célébrité ; l'humiliation se mêlait à mon désespoir, et en rentrant chez moi, d'une voix décidée, je dis à ce pauvre Justin, mon portier, que je fis depuis garçon de caisse de l'Opéra : « Justin, je ne veux plus faire de médecine, pas même de saignée, et si on vient vous demander un médecin, vous répondrez qu'il n'y en a plus dans la maison. >>

Si le titre de médecin coûte de longues études à acquérir, il n'est pas moins difficile de le supprimer et de l'effacer.

En France, mais en France seulement, un avocat est propre à tout, tandis qu'un médecin n'est jugé propre à rien, qu'à hanter les hôpitaux et les malades; ce sont là des appréciations peu justes. Il faut, selon moi, placer sur la même ligne tous les hommes qui ont appliqué leur intelligence à de sérieuses études et qui ont appris à apprendre.

L'étude de la médecine rapporte surtout de précieux profits à l'intelligence; l'étude de l'homme animal conduit vite à une observation pratique de l'homme moral, et le médecin est le seul à bien lire tout ce qui est écrit sur le visage humain. L'étude de la médecine, dont le

cadre est si vaste, et qui comprend tant de sciences diverses, exerce puissamment la mémoire, et accoutume l'esprit à des classifications logiques et à des méthodes claires et raisonnées. L'étude de la médecine, en nous apprenant à scruter et à définir toutes les conditions de la vie, toutes les conditions de la mort, en nous rendant témoins de toutes les douleurs de l'homme, de tous les hasards de ses maladies, de toutes les chances de désorganisation de ses tissus, de la formation pathologique et capricieuse de tissus nouveaux, en nous faisant souvent assister, désarmés et impuissants, à ces accidents imprévus qui tuent lentement ou qui tuent comme la foudre, l'étude de la médecine élève l'âme, donne de la force et de la virilité à l'esprit et au caractère, et inspire cette haute et courageuse philosophie, qui ne saurait exclure ni les dogmes de la religion, ni les élans de la foi.

J'ai fait de la médecine et de la physiologie, même à l'Opéra; la science de l'anatomie et de la physiologie peut fournir des renseignements et des conseils utiles à l'art de la danse comme à l'art du chant. L'anatomiste et le physiologiste peuvent mieux encore que les Vestris et les Taglioni prononcer sur l'avenir du jarret d'un danseur, ou mieux qu'un Garcia ou qu'un Bordogni, prononcer sur l'avenir d'un larynx, cet organe de la voix qui est pour ainsi dire le jarret du chanteur.

J'aimais cette étude, cette pratique si émouvante de la médecine, et lorsqu'il me fallut renoncer à continuer ces travaux qui n'avaient cependant point été sans fruits, j'en éprouvai des regrets pleins d'amertume.

Les souvenirs de mes longues années d'études trouve

ront leur place dans ces Mémoires. J'y donnerai quelques crayons des médecins dont le nom restera historique. Grâce à ce que j'ai appris, je pourrai, juge compétent, et à distance des académies et des écoles, dire mon mot sur l'état de la science dont je suis les progrès par goût, sur l'hygiène de l'ouvrier, sur l'hygiène du riche, qui dictent souvent des conseils presque contraires. Je pourrai même divulguer quelques secrets de l'art de vivre longtemps, à l'usage de ceux que la vie

amuse.

De mon service dans les hôpitaux date une simple histoire que je dois consigner ici, parce qu'elle fut pour moi, pendant toute ma vie, un encouragement et un touchant souvenir.

Je remplissais pour la seconde fois les fonctions de chirurgien externe à la Charité. Avant d'entrer dans les salles de malades, on se rendait auprès des deux sœurs religieuses chargées de garnir les appareils de compresses, de bandes, de charpie, etc. Ces deux sœurs, auxquelles je ne donnerai ici que des noms d'emprunt, veillaient aussi aux soins de la chapelle pour les services funèbres. L'une d'elles, gravée de la petite vérole, avait un teint jaune, maladif, et une physionomie bien peu sympathique : je l'appellerai sœur Cunégonde. L'au

1. J'avais concouru une première fois avec succès pour l'externat et pour l'internat. Mais, envoyé interne à Bicêtre, je donnai ma démission, et je fis sous la restauration, pendant un an, le service de chirurgien à l'hôpital de la maison militaire du roi. Ce service manquait d'intérêt. Je concourus une seconde fois pour l'externat, et je fus nommé le second externe. M. Philippe Boyer, le fils du baron Boyer, fut nommé le premier. L'année suivante, je concourus une seconde fois pour l'internat, et je fus nommé le premier interne.

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