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dont, à cette occasion, elle a bien voulu m'ho

norer.

Palais des Tuileries, 8 mars 1855.

Mon cher monsieur Véron, j'ai reçu avec plaisir vos Mémoires d'un Bourgeois de Paris, et je lirai les deux derniers volumes, surtout, avec d'autant plus d'intérêt qu'ils résument les souvenirs fidèles d'un homme qui a vu beaucoup, qui a jugé sainement, et qui a raconté sans passion.

Il me sera bien agréable, n'en doutez pas, de retrouver, dans l'écrivain réunissant d'utiles matériaux pour l'histoire de notre époque, celui-là même dont la sympathie désintéressée m'a donné, aux jours difficiles, l'important appui de l'un des premiers organes de la presse. Recevez mes remercîments sincères, et croyez à mes sentiments.

M. L. Véron, député.

NAPOLÉON.

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Né à Paris le 5 avril 1798, je fus élevé rue du Bac, au fond d'un magasin de papeterie. Le luxe, les plaisirs, les riantes et douces illusions ne firent point cortége à mon enfance; la vie de la veille ressemblait à celle du lendemain. Pour mettre ma jeunesse à l'abri de tous les dangers de l'oisiveté, on me faisait encore l'avenir moins gai que le présent : « Nous vivons modestement par nécessité, me disait-on; ne compte, pour entrer dans le monde, sur aucun appui, sur aucune fortune. » Mais, malgré ces avertissements sévères, on n'en était pas moins économe, moins industrieux, moins persévérant à amasser péniblement quelques épargnes. Seulement,

par prudence, on me cachait avec soin les progrès du petit trésor qui grossissait; on me parlait d'autant plus misère, qu'on possédait presque déjà un commencement de fortune. On résistait au plaisir de m'initier à tous les calculs, à tous les efforts plus ou moins heureux d'une tendresse clandestine, et, de peur de me jeter dans les mauvaises routes d'une trop confiante paresse, on se refusait la joie de faire briller à mes yeux dans le lointain un rayon de soleil et d'espérance.

Mon enfance et ma première jeunesse n'assistèrent qu'à la pratique de toutes ces vertus du foyer, dont la seule récompense est l'avenir assuré des enfants. Vertus profitables à l'honneur des familles et au repos de la société; vertus sans éclat et sans bruit, que les moralistes et les romanciers oublient trop dans leurs études, ou qu'ils ne mettent pas assez en vue dans leurs tableaux.

Que d'enfants pour ainsi dire trompés par la tendresse aveugle de parents imprévoyants et vaniteux! La soie et le velours sont tout au plus assez chatoyants pour les costumes grotesques dont on affuble ces petits millionnaires de cinq ou six ans; dès leur première jeunesse, ils ont leur cheval de selle, et ils paraissent deux ou trois fois par semaine, gantés, parfumés, dans une première loge d'Opéra.

J'ai souvent envié ces jeunes heureux, Crésus dès le maillot. A leur majorité, cependant, combien se surprennent pauvres, et voient finir leurs rêves dorés! Combien de ces enfants gâtés, jetés souvent même sans un sou au milieu des routes encombrées de la société!

La misère et l'ambition trompée troublent alors l'esprit et le cœur de ces fils, de ces filles de famille, et les poussent à tous les désordres. Ils payent du malheur de toute leur vie les joies confuses d'une enfance dont tous les désirs ont été satisfaits et prévenus.

Elevé avec des idées plus prudentes et plus raisonnables, je trouvai dans la petite fortune paternelle dont j'héritai un facile point de départ pour mes entreprises. Cette fortune, quoique modique, avait coûté à mes parents bien des privations. Que leur tendre prévoyance reçoive ici en public les témoignages d'une reconnaissance et d'une piété filiales qu'aucune prospérité n'a jamais pu éteindre ni affaiblir au fond de mon cœur!

Sous le ciel gris d'une enfance studieuse et rarement distraite ou égayée, j'avais cependant un ami de tous les jours qui m'apportait de piquantes excitations pour ma curiosité, de charmants et vifs plaisirs pour mon intelligence c'était le Journal de l'Empire, aujourd'hui le Journal des Débats. Mon père le recevait de seconde main, et tous les jours j'étais chargé d'aller le prendre dans le voisinage. Je n'y manquais pas. Le long de la route, je dévorais les faits-Paris, les articles littéraires et, comme on le pense bien, les feuilletons de Geoffroy. Je m'étais pris surtout d'un goût assez vif pour les articles de Charles Nodier, qui plus tard devait être un de mes collaborateurs à la Revue de Paris.

Le Journal des Débats fut pour moi un précepteur dont j'aimais et je recherchais les leçons de littérature presque quotidiennes. Je pus, pendant toute ma jeunesse, suivre assidûment ses leçons : je ne fis mes étu

des au Lycée impérial qu'en qualité d'externe, et je ne cessai ainsi de demeurer chez mon père.

Mes études finies, il fut décidé que j'étudierais la médecine.

Dans la maison qu'habitait mon père demeurait le docteur Auvity, qui fut nommé, en 1811, médecin du roi de Rome. La réputation de ce médecin des enfants et les honneurs dont il fut bientôt entouré tentèrent ma jeune ambition.

Nommé au concours, en 1821, premier interne des hôpitaux, je fus reçu docteur-médecin en 1823, à la Faculté de Paris. Je consacrai à l'étude de la médecine de longues années.

Quelle vie pleine d'émotions et d'intérêt que celle d'un étudiant en médecine! Ces confraternités, ces associations improvisées autour d'une table de dissection; ces voyages par bandes pour l'étude de la botanique; ces rencontres de nombreux condisciples, dans les hôpitaux, autour du lit des malades et aux cours variés de la journée (M. Charles de Rémusat, de l'Académie française, suivait assidûment avec nous le cours de chimie de M. Thénard); l'étude du caractère, de l'esprit, du savoir, du talent des professeurs: esprit, savoir, talent de qualités et de portées bien diverses; l'étude presque involontaire des aptitudes, des ambitions et de l'avenir des nombreux camarades d'amphithéâtre et de concours; les révélations toujours nouvelles de l'observation et de la science : tout cela remplit la longueur des jours et sert de garde-fou à cette fièvre chaude qu'on appelle la jeunesse.

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