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d'avoir place dans ses satires. C'est ce qui lui a fait souffrir fort long-temps, avec une patience qui tient quelque chose de l'héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté cela de les faire mettre sous la presse. Mais enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu [a]. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses enfants ainsi défigurés et mis en pièces, sur-tout lorsqu'il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide, que tout le sel de ses vers ne pourroit pas relever: je veux dire de ce Jugement sur les Sciences [b], qu'on a cousu

[a] A Rouen, en 1665.

[b] Despréaux ignoroit alors, suivant Brossette, que Saint-Évremont eût composé ce jugement. L'humeur que lui donnoit l'édition fautive de ses satires influe nécessairement sur ce qu'il dit d'un opuscule où l'on trouve les aperçus ingénieux mais aussi l'épicurisme de son auteur. Ce dernier, au rapport de son biographe Desmaizeaux, n'eut jamais connoissance des expressions méprisantes que le satirique met sous la plume de Barbin. Nous verrons ailleurs que sa morale peu sévère inspiroit à Despréaux de l'éloignement pour ses ouvrages. La collection des œuvres de Saint-Évremont est sans doute beaucoup trop volumineuse; mais elle offre des observations fines sur différents sujets, principalement sur l'histoire et sur l'art dramatique. Parmi ses lettres les plus agréables, on distingue celles qu'il adresse à la belle duchesse de Mazarin et à la fameuse Ni

si

peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie ; et il a cru, enfin, que puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il valoit mieux subir le joug de bonne grace, et faire de lui-même ce qu'on avoit déja fait malgré lui. Joint que ce galant homme qui a pris le soin de la première édition, y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres (1), pour lesquelles il appréhendoit le même sort. Mais en même temps il m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages en quelques endroits de ses écrits. Il les

non de Lenclos. Celle-ci lui inspira les seuls vers que l'on ait retenus de lui.

Né à Saint-Denis-le-Guast, près de Coutances, en 1613, Saint-Évremont mourut à Londres en 1703. Il étoit maréchal-de-camp. Une lettre ironique sur le cardinal Mazarin, découverte après la mort de ce ministre, et sur-tout son attachement pour Fouquet, l'éloignèrent de sa patrie, tant qu'il vécut, c'est-à-dire pendant plus de quarante ans.

(1) De la satire III sur un festin ridicule, et de la satire V sur la noblesse. (Brossette.)

prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrace par quelque exemple fameux, pris des plus célébres auteurs de l'antiquité, dont ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés; et que s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais (1). Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches,

(1) Tout ce qui suit, jusqu'à la fin de la préface, fut ajouté dans l'édition de 1668. ( Brossette. ) * Cette note a été copiée jusqu'à présent par les divers éditeurs; elle est pourtant inexacte: il falloit dire, dans l'édition de 1667.

et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique. Il est bien aise aussi de faire savoir dans cette édition que le nom de Scutari[a], l'heureux Scutari, ne veut dire que Scutari; bien que quelques uns l'aient voulu attribuer à un des plus fameux poëtes de notre siècle, dont l'auteur estime le mérite et honore la vertu./

J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires, de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des muses: parceque, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison; et si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement: comme ils contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir des injures sales et odieuses: cela marque la bassesse de votre ame, sans rabaisser la gloire de

[a] Cet éloge ironique de Scudéri, qui termine l'alinéa, n'existe que dans l'édition de 1667. On ne le retrouve plus dans celle de 1668, et nul éditeur jusqu'à ce jour ne paroît

en avoir eu connoissance.

celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sang froid [a] n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y auroit aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu'on fait à l'auteur d'avoir pris ses pensées dans Juvénal [b] et dans Horace [c]; mais, tout bien considéré, il trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croiroit se faire tort d'y répondre.

[a] Dans les éditions données par Despréaux on trouve, « et le lecteur qui est de sens froid. »

[b] Voyez à l'égard de ce poëte le Discours sur la satire.

[c] Horace, né à Vénuse vers l'an 66 avant l'ère vulgaire, mort à l'âge de cinquante-sept ans. Badin, raisonnable, tendre, sublime, il chante tour-à-tour les plaisirs, la sagesse, les passions, la gloire; et, toujours judicieux, il conforme son ton aux lois du goût, qu'il étoit si digne de proclamer.

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