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que ceux de la libre concurrence. Les corps de métiers investis de priviléges exclusifs exerçaient leurs industries avec un complet absolutisme. L'émulation n'existait pas et ne pouvait pas exister parmi les compagnons qui se voyaient condamnés à un éternel vasselage. En effet, les jurés des métiers exigeaient des aspirants un chef-d'œuvre, dont l'exécution demandait ordinairement une année de travail, et qui était presque toujours refusé, si le compagnon n'avait pas assez d'argent pour acheter les suffrages de la jurande. Rebutés par tant de difficultés insupportables, les ouvriers, même les plus habiles, se résignaient ou à travailler en chambre, ou à passer leur vie dans les ateliers des maîtres.

Le monopole se montrait en tout et pour tout si impitoyable, si jaloux, si envahisseur, que des industriels exerçant leurs professions comme maîtres dans les faubourgs de certaines villes, étaient obligés de demander de nouvelles lettres de maîtrisc pour s'établir dans l'intérieur des mêmes cités. Un tel abus était par trop criant; aussi le gouvernement, effrayé par les plaintes de certains corps de métiers, déclara par l'ordonnance de 1597, que les maîtres exerçant dans les faubourgs de Paris et des autres villes du royaume, pourraient s'établir dans l'intérieur de ces mêmes villes. Tout artisan reçu maître à Paris pouvait travailler de son état dans toute la France, en déposant ses lettres de maîtrise au greffe de justice de sa nouvelle résidence. On dispensa les aspirants des droits de confrérie, des frais de banquet si onéreux pour les pauvres compagnons, et les jurés convoqués pour juger le chef-d'œuvre ne recurent plus d'autre rétribution qu'une somme spécifiée dans le nouveau règlement et désignée sous le nom de droit d'assistance.

Ces dispositions palliatives ajoutées à l'ordonnance de 1581, furent éludées pendant toute la durée du règne de Henri III, et son successeur Henri IV fut obligé de recourir à un nouvel édit pour forcer la main aux maîtres des métiers.

L'habillement des classes ouvrières subit de nombreuses variations dès le commencement du seizième siècle. Sous les règnes de Charles IX et d'Henri III, les artisans, dit M. Willemin (1), portaient une veste serrée à la taille, et la grègue à canon, espèce de large culotte ouverte par le bas, un peu au-dessus du genou; des chausses très-longues se per

(4) Monuments français inédits, tome 11, planche 247 à 272.

daient sous l'extrémité de la grègue. Ces chausses ou plutôt ces bas étaient assujettis par des jarretières de couleurs nouées sur le côté; le collet de la chemise était renversé, et la coiffure consistait en un large chapeau de feutre. Les femmes portaient un corsage en étoffe collant, avec guimpe et fraise, mais le plus souvent décolleté. Le tablier qu'on appelait devanteau ou devantière formait le complément indispensable de leur toilette.

Henri III en érigeant la permission de travailler en un droit royal et domanial, avait eu un double but, celui de se procurer de l'argent en taxant les métiers, et celui de tenir sous la main de l'autorité la classe si nombreuse des travailleurs, qui savait par tradition combien avait été important le rôle des ouvriers dans les événements politiques du quatorzième et du quinzième siècle. L'ordonnance de 1581 rivait la chaîne déjà si lourde qu'ils avaient à porter, et c'est probablement à l'exaspération sourde qu'elle suscita chez les corporations qu'il faut attribuer l'empressement qu'elles mirent à seconder les ligueurs. D'ailleurs, le mouvement religieux qui commença par le massacre de la Saint-Barthélemy, avait des tendances démocratiques qui séduisirent les ouvriers, et les déterminèrent à s'enrôler sous la bannière des Seize. Leur participation à ce terrible drame qui ensanglanta Paris, ne fut pas très-ostensible, mais il n'en est pas moins avéré que les marchands, les chefs de métier et tous les membres des no.nbreuses corporations fournirent de redoutables contingents aux ducs de Guise et de Mayenne. Pendant quelques années le mousquet remplaça les outils du travail, et ce ne fut qu'après l'entrée d'Henri IV dans Paris, que les ateliers reprirent leur ancienne activité.

Le ministre Sully dont le système politique fut si large, à certains égards, ne comprit pas que l'ordonnance de 1581 avait aliéné au roi de Navarre des milliers de vaillants soldats, et au lieu d'inaugurer le nouveau règne en proclamant la liberté du travail, il maintint les prohibitions de Henri III. I commit même une faute impardonnable chez un homme de sa trempe et de son caractère, en vendant des lettres de maîtrise qui dispensaient les titulaires d'apprentissage et de toute épreuve. Le ministre obtint par cette voie de fortes sommes, mais cette subite création de nouvelles maîtrises jeta la perturbation dans le commerce et les ateliers.

La librairie parisienne eut beaucoup à souffrir pendant la longue période des guerres religieuses. On créa deux censures, l'une ecclésiastique chargée de l'examen des livres religieux, l'autre laïque pour inspecter les écrits politiques et littéraires. Les cartes et peintures furent surtout l'objet d'ordonnances très-sévères. Les imprimeurs et les colporteurs d'écrits prohibés, de caricatures (1), étaient passibles pour la première fois du fouet, et de la peine capitale en cas de récidive. La célèbre ordonnance de Moulins autorisa le recteur de l'Université ou son délégué à se transporter chez les libraires, pour visiter leurs livres et papiers. L'arrêt du 1er avril 1620 défendit aux imprimeurs et aux libraires de s'établir hors du quartier de l'Université, et relégua les relieurs-doreurs dans la même circonscription. Les gens de qualité qui possédaient chez eux une imprimerie furent obligés de la supprimer, par arrêt du conseil, du 21 novembre 1630. Louis XIII ordonna en même temps qu'aucun manuscrit ne fût livré à l'impression, avant d'avoir reçu l'approbation du censeur et du garde des sceaux.

Ce système de persécution adopté par une police craintive, soupçonneuse, ruina la corporation des imprimeurs-libraires. On l'appliqua à plusieurs classes de la population, notamment à tous les artisans tenant hôtelleries, maisons garnies ou cabarets. Il leur fut défendu de recevoir aucun habitant domicilié; on voulait atteindre ainsi et disperser les familles d'ouvriers; en effet, les hommes de métier obligés de travailler le plus souvent à de grandes distances de leurs habitations, ne pouvaient sans perdre beaucoup de temps aller prendre leurs repas dans leurs foyers. On murmura beaucoup, et en dépit de la sévérité de la police, mesure fut presque toujours éludée.

Pendant tout le temps que durèrent les guerres de religion, les métiers de Paris eurent à supporter de longs jours de misère; le travail manquait, le commerce était presque anéanti, et les ouvriers inoccupés se trouvaient sous le coup de la loi qui les assimilait aux vagabonds. Nous devons dire pourtant que les derniers Valois et Henri IV lui-même s'occupèrent avec la sollicitude la plus grande des subsistances de Paris. En 1567, le nombre des employés au service des marchés aux grains fut 'considérablement réduit, dans le but très-honorable de diminuer les frais.

(1) Fontanon, Ordonnance du 17 janvier 4561.

Les boulangers des faubourgs n'étaient assujettis ni à l'apprentissage, ni à la maîtrise, ils exerçaient leur commerce en toute liberté. Le gouvernement leur avait laissé ce privilége, afin d'avoir à sa disposition, dans les cas de disette, une quantité de pain suffisante. Cette tolérance avait attiré un si grand nombre de boulangers dans les faubourgs SaintAntoine, Saint-Martin et Saint-Denis, qu'on y en comptait cinq à six cents, tandis que le faubourg Saint-Germain, quoique beaucoup plus étendu que tous les autres ensemble, n'en avait que soixante-dix, parceque la boulangerie se trouvait sujette à la jurande dans sa circonscription. Charles IX et Henri III soumirent les boulangers des faubourgs aux mêmes formalités que ceux de l'intérieur de la ville (1).

Pendant toute la période du moyen âge, les bouchers de Paris s'étaient approvisionnés au marché des Champeaux (2). Au commencement du dix-septième siècle, ils firent leurs achats les plus considérables à Poissy et autres villes du voisinage; mais les nouveaux marchés furent soumis à la même discipline que ceux de Paris, où l'on continua de vendre les veaux et les porcs.

La vente du gibier et de la volaille fut concentrée sur un seul marché, quai de la Mégisserie, qui reçut le nom de Vallée de misère. Henri III donna aux bouchers de nouveaux statuts, dont plusieurs articles avaient pour objet spécial de prévenir les fraudes capables de nuire à la santé, comme aux intérêts des consommateurs. Les fruits et les légumes étaient visités par les jurés-gardes des métiers sur les marchés, les places publiques, et même dans les boutiques de revendeurs.

Le commerce de Paris prospéra pendant les dernières années du règne d'Henri IV et sous le ministère du cardinal de Richelieu; les transactions d'outre-mer autrefois fort rares et fort chanceuses, devinrent plus fréquentes, et sans les entraves des maîtrises et juraudes, l'industrie française se serait développée dans des proportions gigantesques, sous le long règne de Louis XIV qui s'ouvre devant nous.

(4) Ordonnance de 15€0. (2) Aujourd'hui les halles,

CHAPITRE VII.

Les corporations sous Louis XIV. Le marché et les facteurs. Bouchers de Poissy. - Edit de 1673. Le colbertisme. - Son application au commerce et à l'industrie. - Revue rétrospective des inconvén ents attachés au système des jurandes. Procès des corporations. De quelques endroits de Paris où les vriers pouvaient s'établir sans maitrise, Nouvelle législation industrielle et commerciale. Colbert et les marchands de Paris (anecdole). - Opinion de l'économiste Forbonnais au sujet de l'arrêt de 1670 contre les drapiers. Les communautés se grèvent de dettes. Les apprentis condamnés au célibat. L'élection du prévôt des marchands est enlevée aux Parisiens. L'edit de 1673 exécuté sous Louis XV. Les communautés se multiplient, -Avénement de Louis XVI. — Turgot propose l'abolition des corvées, des maitrises et jurandes.

Les corporations ouvrières de plus en plus opprimées par l'odieux système des maîtrises et jurandes comprenaient depuis longtemps que les priviléges achetés à prix d'argent entravaient l'industrie et le commerce. L'édit de 1581, aggravé par ceux de 1597, et surtout par les mesures fiscales que Sully avait adoptées, pesait comme un joug désormais insupportable, non-seulement sur les fabricants mais encore sur les marchands. Le monopole avait tout envahi, et l'industriel le plus habile ne pouvait fabriquer des produits, ni les vendre, sans payer des taxes énormes. Les communautés se ruinaient pour acheter des titres illusoires que leur disputaient bientôt d'autres communautés rivales. Les artisans ne pouvaient plus prétendre à la maîtrise, et végétaient livrés au bon plaisir des privilégiés.

Le mécontentement était général lorsque Louis XIV monta sur le trône. Les dilapidations du trésor public, les exactions des traitants qui usuraient l'État et le commerce, mirent le comble à la détresse de l'industrie dès les premières années de la régence d'Anne d'Autriche. Aussi lorsque éclatèrent les troubles de la Fronde, non-seulement la bourgeoisie parlementaire et marchande, mais encore les maîtres de communautés et les gens de métier se tournèrent contre le parti royaliste, et prirent une part très-active à ce mouvement politique, dans l'espoir d'y trouver une condition meilleure. Mais les travailleurs furent encore dupes de leur généreux patriotisme, comme ils l'avaient déjà été en 1358, en 1413, et pendant les guerres de la Ligue. La royauté, la noblesse et la haute bourgeoisie se firent de nouvelles concessions, et l'industrie resta chargée de son joug séculaire.

Cependant le nouveau règne fut marqué par d'éclatantes victoires, et

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