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comme une marée montante, dans les provinces. Hissé sur l'impériale des diligences, le drapeau tricolore apprenait partout à la fois le combat et la victoire, et, d'un bout de la France à l'autre, les échos se renvoyaient le mot de liberté. En somme, Paris et la France étaient beaux à voir dans ces premiers moments. Tout ce qui ne partageait pas l'ivresse commune refoulait son dépit au fond du cœur. On ne voyait au dehors que l'unanimité des sentiments.

Tout cela, cependant, n'était que la surface. Ce qui s'agitait inaperçu au fond méritait un peu moins d'admiration, et celui qui aurait voulu juger la situation sur cette simple apparence se serait exposé à de singulières méprises.

En effet, au-dessous de cette écorce de délire patriotique, d'unanime fierté pour le brillant triomphe de la colère populaire sur la démence de l'orgueil, un observateur attentif eût pu démêler sans peine de vives préoccupations. Ce trône renversé, cette couronne à terre, créaient pour les hommes de tous les partis une de ces situations neuves qui motivent toutes les craintes, autorisent toutes les espérances, réveillent toutes les passions, et, disons-le, tous les appétits. Pour les uns, hommes rompus aux affaires ou vrais roués d'affaires, pouvait se former ou tout au moins se rétrécir l'horizon dans lequel s'était jusqu'alors mue leur dévorante activité; pour les autres hommes nouveaux, mais la plupart vieux déjà d'ambition fiévreuse, pouvait s'ouvrir ou s'agrandir l'horizon que, sur les ailes de l'espérance, leur pensée avait plus d'une fois déjà parcouru. De là des nécessités de position, des divergences de vues, des lenteurs calculées d'une part, des impatiences visibles de l'autre; et d'une et d'autre part, des enthousiasmes qui, se démenant sur les marches du nouveau trône avant même qu'il fût élevé, allaient être, pour lui, d'utiles ou de compromettants auxiliaires, de loyaux ou de dangereux ennemis.

Un coup d'œil rapide sur les partis divers peut seul jeter quelque lumière sar ces diverses préoccupations des esprits.

On peut classer les partis d'alors en quatre grandes catégories, dans lesquelles venaient se fondre des nuances sans nombre, dont il serait oiseux de vouloir tenir compte: les libéraux, les légitimistes, les bonapartistes et les républicains.Paris naturellement était l'âme et le centre de ces partis.

Le parti libéral était le plus nombreux, le plus actif, le seul organisé, le seul par conséquent en mesure d'hériter de la puissance que le vent de la tempête venait de jeter à terre. Ce parti cependant n'était rien moins qu'homogène. Là se trouvaient des hommes de tous les régimes qui, depuis quarante ans, avaient successivement passé sur la France; c'était, dans les hautes sphères du moins, un amalgame de convictions plus ou moins sincères, un mélange de consciences éprouvées au creuset de dix pouvoirs divers, assez malléables pour que chaque vague politique y eût, en passant, laissé son empreinte, mais aussi assez battues de ces mêmes vagues pour redouter leur inconstance et aspirer après un port. Sans vouloir rien changer à l'organisation constitutionnelle fondée par la Charte, ce parti n'exigeait que quelques garanties légitimes; aussi pouvait-on présumer que l'ordre qui allait sortir du chaos existant n'aurait qu'à s'incliner un peu pour le rallier entièrement.

Le parti légitimiste, atterré du coup qui venait de le frapper, et que seul il n'avait pas prévu, ne se montrait nulle part. Habitué à ne jamais ménager ses ennemis vaincus, il s'attendait à des représailles et comptait peu sur une clémence dont il n'avait jamais donné l'exemple. Il s'effaçait le plus qu'il pouvait et attendait de meilleurs jours pour laisser éclater son dépit, ses rancunes, ses haines et ses espérances.

Aussi annulé que lui dans ces premiers moments, le parti bonapartiste n'était, en quelque sorte, qu'un parti de souvenir et de réflexion. Iln 'avait ni organisation, ni centre, ni moyen d'action nulle part. Seulement la mémoire de Napoléon avait laissé de profondes racines dans les masses; sa gloire et ses malheurs, des sympathies un peu partout, sauf néanmoins dans quelques sommités sociales trop comblées d'honneurs et de biens par l'Empire pour ne pas s'être hâtées d'oublier le bienfait et le bienfaiteur. Aussi ce parti, comme le parti légitimiste, n'était alors en réalité qu'au second plan sur la scène.

Il n'en était pas de même du parti républicain. Ce parti, qui avait très-bravement payé de sa personne pendant les trois journées, était non-seulement en armes, mais encore maître de la rue. Il pouvait parler haut et ferme, et il ne s'en faisait pas faute. Mais, malheureusement pour lui, il se composait de deux éléments bien distincts.

Les uns, républicains de circonstance, avaient le talent sans la conviction; les autres, républicains de bonne foi, avaient la conviction sans le talent. Les premiers, natures faciles et flexibles, émoussés déjà, quoique jeunes, au frottement des hommes et des choses, se seraient accommodés sans peine d'une République modèle avec du luxe et du confort, des chevaux pur sang, du champagne, et des filles d'Opéra : c'était leur rêve. Les autres, natures rudes et farouches, croyant fermement à la sincérité de ce vieux mensonge historique, devise obligée des tribuns de tous les temps: Salus populi suprema lex esto; ne voyant dans l'ordre politique à ériger que la fin sans s'inquiéter des moyens, exigeaient qu'en aucun cas la conséquence ne faillit au principe. Les premiers étaient les habiles du parti; les autres en étaient les dupes. Ces derniers, en outre, étaient parfois un véritable embarras pour les habiles qui craignaient d'effaroucher l'opinion par une raideur prématurée de principes, et de perdre ainsi la partie avant même de l'avoir engagée. Ainsi, dans l'occasion, ces républicains à nuances si tranchées se reniaient-ils mutuellement, les uns comme sectaires trop ardents, les autres comme auxiliaires trop tièdes. De là des scissions plus ou moins apparentes, des diversités de sentiments plus ou moins avouables, l'éveil, le soupçon, et enfin une défiance de l'opinion qu'aucun acte ostensible ne justifiait encore, il est vrai, mais que motivaient suffisamment des espérances imprudentes. En somme, le parti républicain, avant même d'être en quelque sorte en évidence, manquait à la fois de tactique et d'habilité. Se drapant dans les haillons du vieux sans-culottisme républicain ou dans les riches oripeaux du Directoire, se posant fièrement en montagnard de 93 ou en tribun converti de l'an VII, il effrayait les timides, se perdait dans l'esprit des gens sérieux, qui se demandaient si la France de 1830 avait les mêmes. nécessités que celle de 1789; se mettait en suspicion de la nation entière,qui avait payé assez cher les conquêtes civiles de la première révolution pour ne pas les considérer comme non avenues, et enfin, ces hommes qui s'étaient toujours posés comme les régénérateurs de la France et du monde, s'isolaient d'heure en heure si complètement qu'ils semblaient, dès leur nouveau début, vouloir se condamner euxmêmes à user peu à peu dans le vide toute leur consistance de parti. Maintenant que nous avons reconnu en quelques mots le terrain

de cette histoire, suivons-en les acteurs dans leurs destinées spéciales.

Le 2 août 1830, le roi Charles X, pressé par l'attitude de plus en plus menaçante du peuple, avait abdiqué ainsi que le dauphin, en faisant cependant des réserves en faveur du duc de Bordeaux. Mais, comme par la rupture définitive de tous les liens de cohésion entre le peuple et la royauté, cette dernière se trouvait naturellement sans droits légaux, il était aisé de voir que cette double abdication, sanction tardive d'un fait accompli, que ces réserves même faites en vertu d'un droit qui n'existait plus, ne pouvaient être qu'autant de lettres mortes; aussi, sauf les illusions et les désirs des partisans de la légitimité quand même, il ne restait à la famille royale déchue que la perspective d'un dernier exil.

En effet, le 3 août, le duc d'Orléans, nommé, dès le 30 juillet, lieutenant général du royaume, dut ouvrir, en sa nouvelle qualité, la session législative; soixante pairs, deux cent quarante députés, dont vingt de l'extrême droite, s'étaient réunis au Palais-Bourbon. La salle était décorée comme pour les séances royales; seulement, au-dessus de la vaste draperie de velours cramoisi qui couvrait l'estrade du trône, où l'on voyait encore les fleurs de lis d'or, flottait le drapeau tricolore, mélange singulier de deux symboles inconciliables qu'on ne put éviter faute de temps, et qui, par ce motif même, au lieu d'être une anomalie dans cette circonstance, pouvait devenir une éloquente et sévère leçon.

A une heure, le canon des Invalides annonça l'approche du lieutenant général. Il arrivait entouré d'un brillant cortége, précédé et suivi par les acclamations bruyantes d'une partie de la population. Il entra dans la salle aux cris répétés de: Vive le duc d'Orléans ! vive la famille d'Orléans! Il prit place sur un tabouret posé à droite du fauteuil royal; le duc de Nemours, le deuxième de ses fils,se plaça à sa gauche. La duchesse d'Orléans et les princesses ses filles étaient dans une tribune particulière.

Le prince ayant invité les pairs et les députés à s'asseoir, se couvrit et ouvrit la séance par un discours habile, le premier acte officiel d'un règne où l'habileté devait tenir lieu de principes.

Sans trancher d'une manière définitive le nœud de la situation, ce discours posait la question pendante d'une manière assez nette et

faisait franchement la part, soit présente, soit future, de l'accident, de la circonstance et de la nécessité; aussi chaque parti put-il voir, dès ce jour même, le terrain qu'il avait gagné et celui qu'il avait perdu.

Les libéraux, conséquents avec le caractère apparent de la révolution de 1830, qui ne tendait ostensiblement qu'à changer le principe du gouvernement sans toucher à la forme, c'est-à-dire remplacer le principe de la légitimité par droit divin, par le principe de la souveraineté nationale, virent dans ce discours, l'expression sincère de leurs désirs et de leurs espérances.

Le parti royaliste ou légitimiste, revenu de sa terreur depuis qu'il avait vu les vainqueurs ne pas imiter ses fureurs réactionnaires, ne cachait pas son mécontentement de voir le lieutenant général, dans le dernier paragraphe de son discours, annoncer l'abdication de Charles X et du dauphin, sans faire mention des réserves en faveur du duc de Bordeaux.

Les bonapartistes, dans ce moment de transition qui pouvait justifier toutes les espérances, commençaient à s'agiter, se hâtaient de s'organiser pour offrir le duc de Reischtadt, leur candidat, comme une transaction alors possible entre les diverses prétentions encore pendantes.

Quant aux républicains, se voyant distancés d'heure en heure, soit pour avoir bati leurs espérances sur un terrain mal préparé, soit pour n'avoir pas su dissiper à temps des répugnances, les unes légitimes, les autres exagérées, ils agissaient un peu au hasard, n'ayant d'autre plan, pour le moment, que de brouiller tout pour tout dominer.

Ainsi l'opinion produite sur les esprits par le discours du lieutenant général pourrait se résumer en ces quelques mots : ici, de la joie; là, du désappointement; ailleurs, quelques faibles espérances; et ailleurs, enfin, quelque chose de sombre et de menaçant, dont le dernier mot était encore, dans ces jours de crise, un secret du ciel.

Dans les Chambres législatives, où les partis n'étaient pas encore dessinés d'une manière assez précise, cette impression éclatait moins évidente qu'au dehors, où les opinions, un moment réunies par l'enthousiasme du triomphe, n'avaient par tardé à se trancher d'une manière fort nette. Aussi est-ce plutôt au dehors qu'ailleurs qu'il faut chercher l'expression vraie de la situation morale du moment, et dût

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