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qui l'attachaient au passé, s'était aventuré à la recherche d'un nouvel ordre social, tout avait été mis en question. Dans l'enthousiasme du premier élan, l'antiquité tout entière avait semblé renaître pour venir apposer le sceau à sa fin. Alors on avait pu recueillir tous les débris épars du passé, les trier, séparer le bon du mauvais, déblayer le terrain, amonceler des matériaux et poser la première pierre du nouvel ordre social.

Mais pendant que s'élevait l'édifice, une effroyable secousse, dont la commotion subite imprima une oscillation au monde, avait failli tout engloutir, la religion, les lois, les mœurs, la société elle-même. Heureusement, sous l'irrésistible influence de l'esprit chrétien qui dominait ce mouvement sous une forme rude et neuve, les grands principes de la tradition évangélique étant encore ardents et vivaces au fond des cœurs, tout avait peu à peu repris son niveau. Cette révolution n'était apparue que comme l'introduction violente, dans l'ordre civil et politique, du principe chrétien, liberté, égalité, fraternité, principe saint qui semble le tout final des sociétés, et une nouvelle ère des conséquences et de l'application du christianisme s'était ouverte.

En effet, le premier résultat du premier grand combat du christianisme avait été de changer l'esclavage en servage: ce travail humanitaire avait été complété au neuvième siècle.

Après un second combat, un second résultat, complété au dixhuitième, avait été de changer le servage en prolétariat.

Le prolétariat avait à se modifier à son tour par un nouveau perfectionnement qui devait signaler la troisième ère ou le troisième grand combat du christianisme.

En attendant ce résultat, qui ne pouvait être que l'œuvre du temps, de la raison et du progrès, et non pas de la violence, qui ne peut jamais rien fonder de stable, avec le développement nouveau qu'avait pris l'esprit humain après le second combat de 1789, il lui était resté définitivement aequis le droit sacré de l'homme, la liberté de l'esprit, la chute du principe de l'esclavage et l'introduction définitive, dans l'ordre social, du principe d'égalité relative et de fraternité.

L'incendie d'où étaient sortis tous ces titres perdus du genre humain avait mis l'univers en combustion. Par le seul effet de l'expansion

de sa lueur, une ère nouvelle avait brillé sur les deux hémisphères; l'esprit de liberté s'était agité partout, et s'il n'avait pas effectué son triomphe dans le présent, il l'avait assuré dans l'avenir, si les mauvaises passions n'en pervertissaient pas le but.

Cette forme de progrès était logique. En effet, les grandes vicissitudes humanitaires ne naissent pas d'un vain caprice des peuples. Elles ont leur fondement dans les entrailles de l'univers; elles en sont le résultat le plus élevé; elles sont une condition du monde, de faire connaître à telle époque telle forme de civilisation. Ce germe, produit naturel de la pensée des siècles, éclot, mûrit sur un point, et porte ses fruits au jour marqué par la Providence des nations.

Par un privilége dont la France a lieu de s'enorgueillir, l'esprit progressif humain semble s'être résumé en elle. C'est elle qui représente le moins imparfaitement l'idée sociale du monde; c'est elle qui a toujours pris l'initiative des grands principes de dignité humaine; c'est elle qui paraît avoir été chargée de mûrir le germe précieux de la régénération des peuples; ce fut elle enfin qui, en 1789, ouvrit, entre deux principes inconciliables, cette grande lutte, qui n'était que la protestation du droit contre la force, le spectacle de la liberté se débattant contre les fers qui l'enchaînaient, de la dignité humaine se levant en face de l'oppresion, qui n'était, en un mot, que l'esprit de propagande progressive, révélant aux intelligences le besoin de rendre la société à elle-même, de briser la pierre du sépulcre, où les iniquités des siècles avaient enfoui les droits du genre humain.

Aussi, lorsque, à cette mémorable époque, la France avait semblé dire à l'Europe: Lève-toi et marche! l'Europe avait marché. Elle s'était levée, non comme la vague passagère qui frappe le rivage, mais comme le soulèvement de l'Océan remué dans ses abimes.

Ce qui s'était alors passé en France, tout le monde le sait : lutte impuissante d'une vieille monarchie, sa courte mais terrible agonie, son prompt mais sanglant triomphe, décadence des sentiments monarchiques, d'une part; de l'autre, développement des principes progressifs aveugles fureurs des aristocraties continentales, calme bravoure des valeureuses phalanges républicaines et impériales: orgueil éphémère de la conquête barbare, gloires impérissables de la résistance patriotique; on avait vu, en un mot, réuni, dans un laps

de quelques années, tout ce qui jette un si brillant éclat dans les annales de la grandeur antique.

Tout cela avait été comme un miroir magique où les peuples avaient pu à la fois lire la formule de leurs droits et le présage de leur avenir. Dès ce moment, ils avaient été moralement en insurrection contre leur passé.

Et cela devait être. Les peuples ont un lendemain, et ils le savent. L'appel de la France à la régénération humaine avait tellement retenti dans le monde, qu'il avait réveillé des nations endormies, galvanisé des peuples morts.

Le despotisme continental avait à son tour pris l'alarme, s'était uni dans une ligue impie. Mais quand les iniquités de la force ont fait leur temps, il n'est plus au pouvoir des hommes de leur redonner la vie qu'elles ont perdue. Issues d'âges de barbarie, l'éclat de la civilisation est mortel pour elles; elles sont destinées à mourir avec les siècles qui les ont produites.

Aussi, dès que la révolution se fut révélée aux peuples, non-seulement empreinte d'un grand caractère d'à-propos et d'utilité, mais encore de providentielle sollicitude, la France leur était apparue comme un phare d'avenir. Comme elle portait leurs espérances, leurs vœux connus, leurs sympathies s'étaient naturellement tournés vers elle. Foyer ardent vers lequel rayonnaient toutes les forces, toutes les intelligences, rien ne demeura en dehors du mouvement qu'elle imprimait aux esprits. Alors, aux cœurs de tous les peuples, résonnèrent d'elles-mêmes toutes les cordes intimes qui font vibrer les sentiments généreux et les croyances ardentes: sainte similitude qu'on est forcé de respecter quand on la comprend !

Cet accord intime des peuples était un fait nouveau; immense, sans précédents dans l'histoire. Alors et dès ce moment, l'œuvre progressive européenne n'apparut que comme une œuvre providentielle, comme une simple introduction, dans l'ordre social et politique européen, du principe chrétien : liberté, égalité, fraternité, titre perdu du genre humain qu'avaient, au prix de leur sang, retrouvé nos pères. Alors ce même principe, qui dominait toutes les réactions sous une forme rude et neuve, se révéla lui-même comme le lien le plus indestructible pour unir le passé au présent: statues incomplètes dont

l'une n'a été retirée que mutilée des débris des âges, et dont l'autre attend sa perfection de l'avenir. Alors encore la France, qui approchait le plus de l'œuvre d'ensemble de l'humanité; la France, en qui s'était toujours résumé l'esprit progressif humain ; qui semblait, en un mot, destinée à mener à bonne fin l'œuvre du christianisme, se montra revêtue du triple caractère d'apôtre de la Providence, de missionnaire de la civilisation et de mandataire des peuples. Alors enfin on put comprendre sans peine que le monde eût marché, quand, par sa révolution, la France avait imprimé un mouvement au monde.

Là où il y avait unité d'esprit, il devait y avoir unité de tendance. Pendant que, dans des vues d'un ordre si élevé que les regards de l'homme ne sauraient y atteindre, s'étaient combinés entre la France révolutionnaire et les peuples révolutionnés ces éléments de cohésion différente, avait grandi l'empereur Napoléon. Dans la lutte ouverte entre la démocratie européenne et la royauté, il s'était cru appelé, à force de grandeur et de gloire, à être le médiateur. Il avait fait de ce grand œuvre l'œuvre de sa vie ; c'est lui qui l'a dit, on doit l'en croire. Point de mire des coups de l'Europe oligarchique, il était mort en léguant au monde un ensemble d'institutions, dans lesquelles vivait le triomphe de son œuvre.

Par l'avènement au trône de Napoléon, un fait nouveau et dominant s'était produit dans l'ordre politique européen.

Ce fait, le voici :

Une société, broyée sous des fers séculaires, se lève, en 1789, au nom de la légitimité du DROIT HUMAIN, contre la légitimité d'un faux

DROIT DIVIN.

Un homme, un nom, Napoléon Bonaparte, se dresse, grand de génie et de gloire, au milieu de l'arène où se débattait ce grand intérêt humanitaire.

En lui s'incarne le principe du droit humain : en d'autres termes, la révolution devient homme.

Deux unités restent en présence: Napoléon Bonaparte et l'Europe absolutiste

L'un représente le droit humain, l'autre un mensonge de droit divin. Le principe représenté par le premier est une rénovation sociale dans les hommes et dans les choses: c'est un monde nouveau avec la

liberté réglée, l'égalité relative, une part égale de soleil pour tous, et pour drapeau cette devise: Tout par le peuple et pour le peuple.

Le principe représenté par l'autre, c'est le vieux monde avec ses vieux abus, ses priviléges odieux, ses exactions arbitraires, et pour devise cet inique adage: Nos pères ont été les maîtres, nous voulons resler ce que furent nos pères.

De là une lutte à mort entre les deux unités, Napoléon et l'Europe absolutiste.

Napoléon tombe!

Ce nom principe, le droit humain couronné qu'il représente, serat-il entraîné dans cette catastrophe? Deux bouleversements successifs, à quinze années d'intervalle viennent violemment protester contre cet odieux abus de la force, qui, dans la vie des peuples, s'étant substitué au droit, voulait se perpétuer dans son inique usurpation.

Et c'est là toute l'histoire de cette période. On comprend, apres cela, combien les faits de détail perdaient de leur importance en regard de ce résultat d'ensemble. C'était comme les ombres et les clairs d'un tableau. Chacun d'eux concourt à l'ensemble, mais n'en est qu'un détail plus ou moins significatif. Aussi avons-nous jugé à propos de gé néraliser cette période. Au lieu de faire des tableaux politiques partiels de la Restauration, de la révolution de Juillet 1830, de celle de Février 1848, nous avons jugé à propos de ne faire qu'un seul tableau politique, moral et physique de Paris; d'un tout qui se lie, s'enchaîne et forme, en quelque sorte, une époque où se dessine un monde nouveau qui prend ou se prépare à prendre possession de l'ancien, et où chaque partie concourt à l'ensemble et ne le forme pas. Diviser les événements, ce serait les amoindrir. Nous les ferons suivre, en les séparant seulement par un simple sous-titre. Notre devancier Dulaure, avec son esprit essentiellement généralisateur, aurait, nous le croyons, suivi cette marche, et c'est pour nous un motif de l'adopter.

Dans le peu que Dulaure a dit, dans son Tableau politique de Paris, de la Restauration, il n'a guère laissé pressentir que son agonie; il nous reste à mentionner sa mort et à en classer les causes. Pour cela, nous reprendrons les faits au début de la seconde Restauration, ne fût-ce que pour compléter son Tableau, que les rigueurs des parquets d'alors l'ont forcé de laisser fort incomplet.

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