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vait au bout de toutes les batailles qu'il n'avait pas livrées. Louis XVIII était la légitimité incarnée; elle a cessé d'être visible quand il a disparu.

SUITE DES CENT-JOURS A GAND.

SOUVENIRS DE L'HISTOIRE DE

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MADAME LA DUCHESSE DE LÉVIS.

GAND. MADAME LA DUCHESSE D'ANGOULÊME ARRIVE A GAND.
MADAME DE SÈZE.

Je faisais à Gand, comme je fais en tous lieux, des courses à part. Les barques glissant sur d'étroits canaux, obligées de traverser dix à douze lieues de prairies pour arriver à la mer, avaient l'air de voguer sur l'herbe; elles me rappelaient les canots sauvages dans les marais à folle avoine du Missouri. Arrêté au bord de l'eau, tandis qu'on immergeait les zones de toile écrue, mes yeux erraient sur les clochers de la ville; l'histoire m'apparaissait sur les nuages du ciel.

Les Gantois s'insurgent contre Henri de Chatillon, gouverneur pour la France; la femme d'Édouard III met au monde Jean de Gand, tige de la maison de Lancastre ; règne populaire d'Artevelde.

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- Bonnes gens, qui vous meut? Pourquoi êtes-vous si troublés sur moi? En quoi puis-je vous avoir courroucés? Il vous faut mourir! » criait le peuple.

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C'est ce que le temps nous crie à tous.

Plus tard je voyais les ducs de Bourgogne; les Espagnols arrivaient. Puis la pacification, les siéges et les prises de Gand.

Quand j'avais rêvé parmi les siècles, le son d'un petit

clairon ou d'une musette écossaise me réveillait. J'apercevais des soldats vivants qui accouraient pour rejoindre les bataillons ensevelis de la Batavie : toujours destructions, puissances abattues, et, en fin de compte, quelques ombres évanouies et des noms passés.

La Flandre maritime fut un des premiers cantonnements des compagnons de Clodion et de Clovis. Gand, Bruges et leurs campagnes fournissaient près d'un dixième des grenadiers de la vieille garde cette terrible milice fut tirée en partie du berceau de nos pères, et elle s'est venue faire exterminer auprès de ce berceau. La Lys a-t-elle donné sa fleur aux armes de nos rois?

Les mœurs espagnoles impriment leur caractère : les édifices de Gand me retraçaient ceux de Grenade, moins le ciel de la Vega. Une grande ville presque sans habitants, des rues désertes, des canaux aussi déserts que ces rues...; vingt-six îles formées par ces canaux, qui n'étaient pas ceux de Venise, une énorme pièce d'artillerie du moyen âge, voilà ce qui remplaçait à Gand la cité des Zégris, le Duro et le Xenil, le Généralif et l'Alhambra : mes vieux songes vous reverrai-je jamais?

Madame la duchesse d'Angoulême, embarquée sur la Gironde, nous arriva par l'Angleterre avec le général Donnadieu et M. de Sèze, qui avait traversé l'Océan, son cordon bleu par-dessus sa veste. Le duc et la duchesse de Lévis vinrent à la suite de la princesse : ils s'étaient jetés dans la diligence et sauvés de Paris par la route de Bordeaux. Les voyageurs, leurs compagnons, parlaient politique.

- Ce scélérat de Chateaubriand, disait l'un d'eux, n'est pas si bête ! depuis trois jours, sa voiture était chargée dans sa cour : l'oiseau a déniché. Ce n'est pas l'embarras si Napoléon l'avait attrapé!

Madame la duchessse de Lévis était une personne très

belle, très-bonne, aussi calme que madame la duchesse de Duras était agitée. Elle ne quittait point madame de Chateaubriand; elle fut à Gand notre compagne assidue. Personne n'a répandu dans ma vie plus de quiétude, chose dont j'ai grand besoin. Les moments les moins troublés de mon existence sont ceux que j'ai passés à Noisiel, chez cette femme dont les paroles et les sentiments n'entraient dans votre âme que pour y ramener la sérénité. Je les rappelle avec regret ces moments écoulés sous les grands marronniers de Noisiel! L'esprit apaisé, le cœur convalescent, je regardais les ruines de l'abbaye de Chelles, les petites lumières des barques arrêtées parmi les saules de la Marne.

Le souvenir de madame de Lévis est pour moi celui d'une silencieuse soirée d'automne. Elle a passé en peu d'heures; elle s'est mêlée à la mort comme à la source de tout repos. Je l'ai vue descendre sans bruit dans son tombeau au cimetière du Père-Lachaise; elle est placée au-dessus de M. de Fontanes, et celui-ci dort auprès de son fils Saint-Marcellin, tué en duel. C'est ainsi qu'en m'inclinant au monument de madame de Lévis, je suis venu me heurter à deux autres sépulcres; l'homme ne peut éveiller une douleur sans en réveiller une autre pendant la nuit, les diverses fleurs qui ne s'ouvrent qu'à l'ombre s'épanouissent.

A l'affectueuse bonté de madame de Lévis pour moi était jointe l'amitié de M. le duc de Lévis le père : je ne dois plus compter que par générations. M. de Lévis écrivait bien; il avait l'imagination variée et féconde qui sentait sa noble race, comme on la retrouvait à Quiberon dans son sang répandu sur les grèves.

Tout ne devait pas finir là; c'était le mouvement d'une amitié qui passait à la seconde génération. M. le duc de Lévis le fils, aujourd'hui attaché à M. le comte de Chambord, s'est approché de moi; mon affection héréditaire ne

lui manquera pas plus que ma fidélité à son auguste maître. La nouvelle et charmante duchesse de Lévis, sa femme, réunit au grand nom de d'Aubusson les plus brillantes qualités du cœur et de l'esprit : il y a de quoi vivre quand les grâces empruntent à l'histoire des ailes infatigables!

SUITE DES CENT-JOURS A GAND.

PAVILLON MARSAN A GAND.

M. GAILLARD, CONSEILLER A LA COUR ROYALE. VISITE SECRÈTE

DE MADAME LA BARONNE DE VITROLLES.

DE MONSIEUR. FOUCHÉ.

BILLET DE LA MAIN

A Gand, comme à Paris, le pavillon Marsan existait. Chaque jour apportait de France à Monsieur des nouvelles qu'enfantait l'intérêt ou l'imagination.

M. Gaillard, ancien oratorien, conseiller à la cour royale, ami intime de Fouché, descendit au milieu de nous; il se fit reconnaître et fut mis en rapport avec M. Capelle.

Quand je me rendais chez Monsieur, ce qui était rare, son entourage m'entretenait, à paroles couvertes et avec maints soupirs, d'un homme qui (il fallait en convenir) se conduisait à merveille: il entravait toutes les opérations de l'empereur; il défendait le faubourg Saint-Germain, etc., etc., etc. Le fidèle maréchal Soult était aussi l'objet des prédilections de Monsieur, et, après Fouché, l'homme le plus loyal de France.

Un jour, une voiture s'arrête à la porte de mon auberge; j'en vois descendre madame la baronne de Vitrolles : elle arrivait chargée des pouvoirs du duc d'Otrante. Elle rem

porta un billet écrit de la main de Monsieur, par lequel le prince déclarait conserver une reconnaissance éternelle à celui qui sauvait M. de Vitrolles. Fouché n'en voulait pas davantage; armé de ce billet, il était sûr de son avenir en cas de restauration. Dès ce moment il ne fut plus question à Gand que des immenses obligations que l'on avait à l'excellent M. Fouché de Nantes, que de l'impossibilité de rentrer en France autrement que par le bon plaisir de ce juste l'embarras était de faire goûter au roi le nouveau rédempteur de la monarchie.

Après les cent-jours, madame de Custine me força de dîner chez elle avec Fouché. Je l'avais vu une fois cinq ans auparavant, à propos de la condamnation de mon pauvre cousin Armand. L'ancien ministre savait que je m'étais opposé à sa nomination à Roye, à Gonesse, à Arnouville; et, comme il me supposait puissant, il voulait faire sa paix avec moi. Ce qu'il y avait de mieux en lui, c'était la mort de Louis XVI: le régicide était son innocence. Bavard, ainsi que tous les révolutionnaires, battant l'air de phrases vides, il débitait un ramas de lieux communs farcis de destin, de nécessité, de droit des choses, mêlant à ce non-sens philosophique des non-sens sur le progrès et la marche de la société, d'impudentes maximes au profit du fort contre le faible; ne se faisant faute d'aveux effrontés sur la justice des succès, le peu de valeur d'une tête qui tombe, l'équité de ce qui prospère, l'iniquité de ce qui souffre, affectant de parler des plus affreux désastres avec légèreté et indifférence, comme un génie au-dessus de ces niaiseries. Il ne lui échappa, à propos de quoi que ce soit, une idée choisie, un aperçu remarquable. Je sortis en haussant les épaules au crime.

M. Fouché ne m'a jamais pardonné ma sécheresse et le peu d'effet qu'il produisit sur moi. Il avait pensé me fasciner

MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE. 3.

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