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douleurs, libertés et esclavages, puissances et faiblesses, crimes et vertus, honneurs et infamics, richesses et misères, talents, génies, intelligences, gloires, illusions, amours, êtes-vous des perceptions d'un moment, perceptions passées avec les crânes détruits dans lesquels elles s'engendrèrent, avec le sein anéanti où jadis battit un cœur? Dans votre éternel silence, ô tombeaux, si vous êtes des tombeaux, n'entend-on qu'un rire moqueur et éternel? Ce rire est-il le Dieu, la seule réalité dérisoire, qui survivra à l'imposture de cet univers? Fermons les yeux; remplissons l'abîme désespéré de la vie par ces grandes et mystérieuses paroles du martyr : « Je suis chrétien. »

L'ÎLE D'ELBE.

Bonaparte avait refusé de s'embarquer sur un vaisseau français, ne faisant cas alors que de la marine anglaise, parce qu'elle était victorieuse; il avait oublié sa haine, les calomnies, les outrages dont il avait accablé la perfide Albion; il ne voyait plus de digne de son admiration que le parti triomphant, et ce fut l'Undaunted qui le transporta au port de son premier exil; il n'était pas sans inquiétude sur la manière dont il serait reçu la garnison française lui remettrait-elle le territoire qu'elle gardait? Des insulaires italiens, les uns voulaient appeler les Anglais, les autres demeurer libres de tout maître; le drapeau tricolore et le drapeau blanc flottaient sur quelques caps rapprochés les uns des autres. Tout s'arrangea néanmoins. Quand on

apprit que Bonaparte arrivait avec des millions, les opinions se décidèrent généreusement à recevoir l'auguste victime. Les autorités civiles et religieuses furent ramenées à la même conviction. Joseph-Philippe Arrighi, vicaire général, publia un mandement :

«La divine providence, disait la pieuse injonction, a voulu que nous fussions à l'avenir les sujets de Napoléon le Grand. L'île d'Elbe, élevée à un honneur aussi sublime, reçoit dans son sein l'oint du Seigneur. Nous ordonnons qu'un Te Deum solennel soit chanté en actions de grâces, etc. »

L'empereur avait écrit au général Dalesme, commandant de la garnison française, qu'il eût à faire connaître aux Elbois qu'il avait fait choix de leur île pour son séjour, en considération de la douceur de leurs mœurs et de leur climat. Il mit pied à terre à Porto-Ferrajo, au milieu du double salut de la frégate anglaise qui le portait et des batteries de la côte. De là, il fut conduit sous le dais de la paroisse à l'église où l'on chanta le Te Deum. Le bedeau, maître des cérémonies, était un homme court et gros qui ne pouvait pas joindre ses mains autour de sa personne. Napoléon fut ensuite conduit à la mairie; son logement y était prépraré. On déploya le nouveau pavillon impérial, fond blanc, traversé d'une bande rouge semée de trois abeilles d'or. Trois violons et deux basses le suivaient avec des râclements d'allégresse. Le trône, dressé à la hâte dans la salle des bals publics, était décoré de papier doré et de loques d'écarlate. Le côté comédien de la nature du prisonnier s'arrangeait de ces parades: Napoléon jouait à la chapelle comme il amusait sa cour avec de vieux petits jeux dans l'intérieur de son palais aux Tuileries, allant après tuer des hommes par passe-temps. Il forma sa maison : elle se composait de quatre chambellans, de trois officiers d'or

donnance et de deux fourriers du palais. Il déclara qu'il recevrait les dames deux fois par semaine, à huit heures du soir. Il donna un bal. Il s'empara, pour y résider, du pavillon destiné au génie militaire. Bonaparte retrouvait sans cesse dans sa vie les deux sources dont elle était sortie, la démocratie et le pouvoir royal; sa puissance lui venait des masses citoyennes, son rang de son génie; aussi le voyez-vous passer sans effort de la place publique au trône, des rois et des reines qui se pressaient autour de lui à Erfurt, aux boulangers et aux marchands d'huile qui dansaient dans sa grange à Porto-Ferrajo. Il avait du peuple parmi les princes, du prince parmi les peuples. A cinq heures du matin, en bas de soie et en souliers à boucles, il présidait ses maçons à l'île d'Elbe.

Établi dans son empire, inépuisable en acier dès les jours de Virgile,

Insula inexhaustis chalybum generosa metallis,

Bonaparte n'avait point oublié les outrages qu'il venait de traverser; il n'avait point renoncé à déchirer son suaire; mais il lui convenait de paraître enseveli, de faire seulement autour de son monument quelque apparition de fantôme. C'est pourquoi, comme s'il n'eût pensé à autre chose, il s'empressa de descendre dans ses carrières de fer cristallisé et d'aimant; on l'eût pris pour l'ancien inspecteur des mines de ses ci-devants États. Il se repentit d'avoir affecté jadis le revenu des forges d'Illua à la Légion d'honneur; cinq cent mille francs lui semblaient alors mieux valoir qu'une croix baignée dans le sang sur la poitrine de ses grenadiers :

- Où avais-je la tête? dit-il; mais j'ai rendu plusieurs stupides décrets de cette nature.

Il fit un traité de commerce avec Livourne, et se proposait d'en faire un autre avec Gênes. Vaille que vaille, il entreprit cinq ou six toises de grand chemin et traça l'emplacement de quatre grandes villes, de même que Didon dessina les limites de Carthage. Philosophe revenu des grandeurs humaines, il déclara qu'il voulait vivre désormais comme un juge de paix dans un comté d'Angleterre : et pourtant, en gravissant un morne qui domine PortoFerrajo, à la vue de la mer qui s'avançait de tous côtés au pied des falaises, ces mots lui échappèrent:

Diable! il faut l'avouer, mon ile est très-petite. Dans quelques heures il eut visité son domaine; il y voulut joindre un rocher appelé Pianosa.

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L'Europe va m'accuser, dit-il en riant, d'avoir déjà fait une conquête.

Les puissances alliées se réjouissaient de lui avoir laissé en dérision quatre cents soldats; il ne lui en fallait pas davantage pour les rappeler tous sous le drapeau.

La présence de Napoléon sur les côtes de l'Italic, qui avait vu commencer sa gloire et qui garde son souvenir, agitait tout. Murat était voisin; ses amis, des étrangers, abordaient secrètement ou publiquement à sa retraite ; sa mère et sa sœur, la princesse Pauline, le visitèrent; on s'attendait à voir bientôt arriver Marie-Louise et son fils. En effet parurent une femme et un enfant : reçue en grand mystère, elle alla demeurer dans une villa retirée, au coin le plus écarté de l'ile sur le rivage d'Ogygie, Calypso parlait de son amour à Ulysse qui, au lieu de l'écouter, songeait à se défendre des prétendants. Après deux jours de repos, le cygne du Nord reprit la mer pour aborder aux myrtes de Baïes, emportant son petit dans sa yole blanche.

Si nous eussions été moins confiants, il nous eût été facile de découvrir l'approche d'une catastrophe. Bonaparte était

trop près de son berceau et de ses conquêtes; son île funèbre devait être plus lointaine et entourée de plus de flots. On ne s'explique pas comment les alliés avaient imaginé de reléguer Napoléon sur les rochers où il devait faire l'apprentissage de l'exil: pouvait-on croire qu'à la vue des Apennins, qu'en sentant la poudre des champs de Montenotte, d'Arcole et de Marengo, qu'en découvrant Venise, Rome et Naples, ses trois belles esclaves, les tentations les plus irrésistibles ne s'empareraient pas de son cœur? Avait-on oublié qu'il avait remué la terre et qu'il avait partout des admirateurs et des obligés, les uns et les autres ses complices? Son ambition était déçue, non éteinte; l'infortune et la vengeance en ranimaient les flammes; quand le prince des ténèbres, du bord de l'univers créé, aperçut l'homme et le monde, il résolut de les perdre.

Avant d'éclater, le terrible captif se contint pendant quelques semaines. Auprès de l'immense pharaon public qu'il tenait, son génie négociait une fortune ou un royaume. Les Fouché, les Gusman d'Alfarache, pullulaient. Le grand acteur avait établi depuis longtemps le mélodrame à sa police et s'était réservé la haute scène ; il s'amusait des victimes vulgaires qui disparaissaient dans les trappes de son théâtre.

Le bonapartisme, dans la première année de la restauration, passa du simple désir à l'action, à mesure que ses espérances grandirent et qu'il eut mieux connu le caractère faible des Bourbons. Quand l'intrigue fut nouée au dehors, clle se noua au dedans, et la conspiration devint flagrante. Sous l'habile administration de M. Ferrand, M. de Lavalette faisait la correspondance : les courriers de la monarchie portaient les dépêches de l'empire. On ne se cachait plus; les caricatures annonçaient un retour souhaité : on voyait des aigles rentrer par les fenêtres du château des

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