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grenadiers couverts de blessures, vainqueurs de l'Europe, qui avaient vu tant de milliers de boulets passer sur leurs têtes, qui sentaient le feu et la poudre; ces mêmes hommes, privés de leur capitaine, étaient forcés de saluer un vieux roi, invalide du temps, non de la guerre, surveillés qu'ils étaient par une armée de Russes, d'Autrichiens et de Prussiens, dans la capitale envahie de Napoléon. Les uns, agitant la peau de leur front, faisaient descendre leur large bonnet à poils sur leurs yeux comme pour ne pas voir; les autres abaissaient les deux coins de leur bouche dans le mépris de la rage; les autres, à travers leurs moustaches, laissaient voir leurs dents comme des tigres. Quand ils présentaient les armes c'était avec un mouvement de fureur, et le bruit de ces armes, faisait trembler. Jamais, il faut en convenir, hommes n'ont été mis à une pareille épreuve et n'ont souffert un tel supplice. Si dans ce moment ils eussent été appelés à la vengeance, il aurait fallu les exterminer jusqu'au dernier, ou ils auraient mangé la terre.

Au bout de la ligne était un jeune hussard, à cheval; il tenait son sabre nu; il le faisait sauter et comme danser par un mouvement convulsif de colère. Il était pâle; ses yeux pivotaient dans leur orbite; il ouvrait la bouche et la fermait tour à tour en faisant claquer ses dents et en étouffant des cris dont on n'entendait que le premier son. Il aperçut un officier russe : le regard qu'il lui lança ne peut se dire. Quand la voiture du roi passa devant lui, il fit bondir son cheval, et certainement il eut la tentation de se précipiter sur le roi.

La restauration, à son début, commit une faute irréparable: elle devait licencier l'armée en conservant les maréchaux, les généraux, les gouverneurs militaires, les officiers dans leurs pensions, honneurs et grades ; les soldats seraient

rentrés ensuite successivement dans l'armée reconstituée, comme ils l'ont fait depuis dans la garde royale : la légitimité n'eût pas eu d'abord contre elle ces soldats de l'empire organisés, embrigadés, dénommés comme ils l'étaient aux jours de leurs victoires, sans cesse causant entre eux du temps passé, nourrissant des regrets et des sentiments. hostiles à leur nouveau maître.

La misérable résurrection de la maison rouge, ce mélange de militaires de la vieille monarchie et des soldats du nouvel empire, augmenta le mal: croire que des vétérans illustrés sur mille champs de bataille ne seraient pas choqués de voir des jeunes gens, très-braves sans doute, mais pour la plupart neufs au métier des armes, de les voir porter, sans les avoir gagnées les marques d'un haut grade militaire, c'était ignorer la nature humaine.

Pendant le séjour que Louis XVIII avait fait à Compiègue, Alexandre était venu le visiter. Louis XVIII le blessa par sa hauteur : il résulta de cette entrevue la déclaration du 2 mai, de Saint-Ouen. Le roi y disait « qu'il était résolu à donner pour base de la constitution qu'il destinait à son peuple les garanties suivantes : le gouvernement représentatif divisé en deux corps, l'inipôt librement consenti, la liberté publique et individuelle, la liberté de la presse, la liberté des cultes, les propriétés inviolables et sacrées, la vente des biens nationaux irrévocable, les ministres responsables, les juges inamovibles et le pouvoir judiciaire indépendant, tout Français admissible à tous les emplois, etc., etc. »

Cette déclaration, quoiqu'elle fût naturelle à l'esprit de Louis XVIII, n'appartenait néanmoins ni à lui, ni à ses conscillers; c'était tout simplement le Temps qui partait de son repos ses ailes avaient été ployécs, sa fuite suspendue depuis 1792; il reprenait son vol ou son cours. Les excès

de la terreur, le despotisme de Bonaparte, avaient fait rebrousser les idées; mais, sitôt que les obstacles qu'on leur avait opposés furent détruits, elles affluèrent dans le lit qu'elles devaient à la fois suivre et creuscr. On reprit les choses au point où elles s'étaient arrêtécs; ce qui s'était passé fut comme non avenu l'espèce humaine, reportée au commencement de la révolution, avait seulement perdu quarante ans de sa vie; or, qu'est-ce que quarante ans dans la vie générale de la société? Cette lacune a disparu lorsque les tronçons coupés du temps se sont rejoints.

Le 30 mai 1814 fut conclu le traité de Paris entre les alliés et la France. On convint que dans le délai de deux mois toutes les puissances qui avaient été engagées de part et d'autre dans la présente guerre enverraient des plénipotentiaires à Vienne pour régler dans un congrès général les arrangements définitifs.

Le 4 juin, Louis XVIII parut en séance royale dans une assemblée collective du corps législatif et d'une fraction du sénat. Il prononça un noble discours; vieux, passés, usés, ces fastidieux détails ne servent plus que de fil historique.

La charte, pour la plus grande partie de la nation, avait l'inconvénient d'être octroyée: c'était remuer, par ce mot très-inutile, la question brûlante de la souveraineté royale ou populaire. Louis XVIII aussi datait son bienfait de l'an de son règne, regardant Bonaparte comme non avenu, de même que Charles II avait sauté à pieds joints par-dessus Cromwell c'était une espèce d'insulte aux souverains qui avaient tous reconnu Napoléon, et qui dans ce moment même se trouvaient dans Paris. Ce langage suranné et ces prétentions des anciennes monarchies n'ajoutaient rien à la légitimité du droit, et n'étaient que de puérils anachronismes. A cela près, la charte remplaçant le despotisme, nous apportant la liberté légale, avait de quoi satisfaire les

hommes de conscience. Néanmoins, les royalistes qui en recueillaient tant d'avantages, qui, sortant ou de leur village, ou de leur foyer chétif, ou des places obscures dont ils avaient vécu sous l'empire, étaient appelés à une haute et publique existence, ne reçurent le bienfait qu'en grommelant; les libéraux, qui s'étaient arrangés à cœur joie de la tyrannie de Bonaparte, trouvèrent la charte un véritable code d'esclaves. Nous sommes revenus au temps de Babel; mais on ne travaille plus à un monument commun de confusion : chacun bâtit sa tour à sa propre hauteur, selon sa force et sa taille. Du reste, si la charte parut défectueuse, c'est que la révolution n'était pas à son terme; le principe de l'égalité et de la démocratie était au fond des esprits et travaillait en sens contraire de l'ordre monarchique.

Les princes alliés ne tardèrent pas à quitter Paris : Alexandre, en se retirant, fit célébrer un sacrifice religieux sur la place de la Concorde. Un autel fut élevé où l'échafaud de Louis XVI avait été dressé. Sept prêtres moscovites célébrèrent l'office, et les troupes étrangères défilèrent devant l'autel. Le Te Deum fut chanté sur un des beaux airs de l'ancienne musique grecque. Les soldats et les souverains mirent genou en terre pour recevoir la bénédiction. La pensée des Français se reportait à 1793 et à 1794, alors que les bœufs refusaient de passer sur des pavés que leur rendait odieux l'odeur du sang. Quelle main avait conduit à la fête des expiations ces hommes de tous les pays, ces fils des anciennes invasions barbares, ces Tartares, dont quelques-uns habitaient des tentes de peaux de brebis au pied de la grande muraille de la Chine? Ce sont là des spectacles que ne verront plus les faibles générations qui suivront mon siècle.

PREMIÈRE ANNÉE DE LA RESTAURATION.

Dans la première année de la restauration, j'assistai à la troisième transformation sociale; j'avais vu la vieille monarchie passer à la monarchie constitutionnelle et celle-ci à la république; j'avais vu la république se convertir en despotisme militaire, je voyais le despotisme militaire revenir à une monarchie libre, les nouvelles idées et les nouvelles générations se reprendre aux anciens principes et aux vieux hommes. Les maréchaux d'empire devinrent des maréchaux de France; aux uniformes de la garde de Napoléon se mêlèrent les uniformes des gardes du corps et de la maison rouge, exactement taillés sur les anciens patrons; le vieux duc d'Havré, avec sa perruque poudrée et sa canne noire, cheminait en branlant la tête, comme capitaine des gardes du corps, auprès du maréchal Victor, boiteux de la façon de Bonaparte; le duc de Mouchy, qui n'avait jamais vu brûler une amorce, défilait à la messe auprès du maréchal Oudinot, criblé de blessures; le château des Tuileries, si propre et si militaire sous Napoléon, au lieu de l'odeur de la poudre, se remplissait de la fumée des déjeuners qui montait de toutes parts: sous messieurs les gentilshommes de la chambre, avec messieurs les officiers de la bouche et de la garde-robe, tout reprenait un air de domesticité. Dans les rues on voyait des émigrés caducs avec des airs et des habits d'autrefois, hommes les plus respectables sans doute, mais aussi étrangers parmi la foule moderne que l'étaient les capitaines républicains parmi les soldats de Napoléon. Les dames de la cour impériale introduisaient les douairières du faubourg Saint-Ger

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