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d'Alexandrie, de Tunis, de Grenade, de Madrid et de Burgos; ces lignes tracées sur toutes sortes de papiers, avec toutes sortes d'encres, apportées par tous les vents, m'intéressent. Il n'y a pas jusqu'à mes firmans que je ne me plaise à dérouler j'en touche avec plaisir le vélin, j'en suis l'élégante calligraphie, et je m'ébahis à la pompe du style. J'étais donc un bien grand personnage ! Nous sommes de bien pauvres diables, avec nos lettres et nos passe-ports à quarante sous, auprès de ces seigneurs du turban!

Osman Seïd, pacha de Morée, adresse ainsi, à qui de droit, mon firman pour Athènes :

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« Hommes de loi des bourgs de Misitra (Sparte) et d'Argos, cadis, nadirs, effendis, de qui puisse la sagesse s'augmenter encore; honneur de vos pairs et de nos « grands vayvodes, et vous par qui voit votre maître, qui «<le remplacez dans chacune de vos juridictions, gens « en place et gens d'affaires, dont le crédit ne peut que croître;

"

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« Nous vous mandons qu'entre les nobles de France, un « noble (particulièrement) de Paris, muni de cet ordre, « accompagné d'un janissaire armé et d'un domestique "pour son escorte, a sollicité la permission et expliqué son « intention de passer par quelques-uns des lieux et posi«<tions qui sont de vos juridictions, afin de se rendre à Athènes, qui est un isthme hors de là, séparé de vos juridictions.

« Vous donc, effendis, vayvodes et tous autres désignés « ci-dessus, quand le susdit personnage arrivera aux lieux << de vos juridictions, vous aurez le plus grand soin qu'on s'acquitte envers lui des égards et de tous les détails dont « l'amitié fait une loi, etc., etc.

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« An 1221 de l'Hégire, »

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Mon passe-port de Constantinople pour Jérusalem porte:

« Au tribunal sublime de Sa Grandeur le cadi de Kouds (Jérusalem), schérif très-excellent effendi :

Très-excellent effendi, que Votre Grandeur, placée sur « son tribunal auguste, agrée nos bénédictions sincères et «nos salutations affectucuses.

« Nous vous mandons qu'un personnage noble, de la « cour de France, nommé François-Auguste de Chateaubriand, se rend en ce moment vers vous, pour accomplir le saint pèlerinage (des chrétiens). ›

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Protégerions-nous de la sorte le voyageur inconnu près des maires et des gendarmes qui visitent son passe-port? On peut lire également dans ces firmans les révolutions des peuples combien de laissez-pusser a-t-il fallu que Dieu donnât aux empires, pour qu'un esclave tartare imposât des ordres à un vayvode de Misitra, c'est-à-dire à un magistrat de Sparte; pour qu'un musulman recommandât un chrétien au cadi de Kouds, c'est-à-dire de Jérusalem?

L'Itinéraire est entré dans les éléments qui composent ma vie. Quand je partis en 1806, un pèlerinage à Jérusalem paraissait une grande entreprise. Ores que la foule m'a suivi et que tout le monde est en diligence, le merveilleux s'est évanoui; il ne m'est guère resté en propre que Tunis: on s'est moins dirigé de ce côté, et l'on convient que j'ai désigné la véritable situation des ports de Carthage. Cette honorable lettre le prouve:

« Monsieur le vicomte,

« Je viens de recevoir un plan du sol et des ruines de Carthage, donnant les contours exacts et les reliefs du ter

rain; il a été levé trigonométriquement sur une base de quinze cents mètres ; il s'appuie sur des observations barométriques faites avec des baromètres correspondants. C'est un travail de dix ans de précision et de patience; il confirme vos opinions sur la position des ports de Byrsa.

« J'ai repris, avec ce plan exact, tous les textes anciens, et j'ai déterminé, je crois, l'enceinte extérieure et les autres parties du Cothon, de Byrsa et de Mégara, etc., etc. Je vous rends la justice qui vous est due à tant de titres.

« Si vous ne craignez pas de me voir fondre sur votre génie avec ma trigonométrie et ma lourde érudition, je serai chez vous au premier signe de votre part. Si nous vous suivons, mon père et moi, dans la littérature, longissimo intervallo, au moins nous aurons tâché de vous imiter pour la noble indépendance dont vous donnez à la France un si beau modèle.

« J'ai l'honneur d'être, et je m'en vante, votre franc admirateur,

« DUREAU DE LA MALLE. »

Une pareille rectification des lieux aurait suffi autrefois pour me faire un nom en géographie. Dorénavant, si j'avais encore la manie de faire parler de moi, je ne sais où je pourrais courir, afin d'attirer l'attention du public : peut-être reprendrais-je mon ancien projet de la découverte du passage au pôle-nord; peut-être remonterais-je le Gange. Là, je verrais la longue ligne noire et droite des bois qui défendent l'accès de l'Himalaya; lorsque, parvenu au col qui attache les deux principaux sommets du mont Ganghour, je découvrirais l'amphithéâtre incommensurable des neiges éternelles; lorsque je demanderais à mes guides, comme Heber, l'évêque anglican de Calcutta, le nom des autres montagnes de l'est, ils me répondraient

qu'elles bordent l'empire chinois. A la bonne heure! Mais revenir des Pyramides, c'est comme si vous reveniez de Montlhéry. A ce propos, je me souviens qu'un pieux antiquaire des environs de Saint-Denis, en France, m'a écrit pour me demander si Pontoise ne ressemblait pas à Jérusalem.

La page qui termine l'Itinéraire semble être écrite en ce moment même, tant elle reproduit mes sentiments actuels.

« Il y a vingt ans, disais-je, que je me consacre à l'étude au milieu de tous les hasards et de tous les chagrins; diversa exilia et desertas quærere terras: un grand nombre des feuilles de mes livres ont été tracées sous la tente, dans les déserts, au milieu des flots; j'ai souvent tenu la plume sans savoir comment je prolongerais de quelques instants mon existence... Si le ciel m'accorde un repos que je n'ai jamais goûté, je tâcherai d'élever en silence un monument à ma patrie; si la Providence me refuse ce repos, je ne dois songer qu'à mettre mes derniers jours à l'abri des soucis qui ont empoisonné les premiers. Je ne suis plus jeune, je n'ai plus l'amour du bruit; je sais que les lettres, dont le commerce est si doux quand il est secret, ne nous attirent au dehors que des orages. Dans tous les cas, j'ai assez écrit si mon nom doit vivre; beaucoup trop s'il doit mourir. »

Il est possible que mon Itinéraire demeure comme un manuel à l'usage des Juifs errants de ma sorte : j'ai marqué scrupuleusement les étapes et tracé une carte routière. Tous les voyageurs, à Jérusalem, m'ont écrit pour me féliciter et me remercier de mon exactitude; j'en citerai un témoignage :

« Monsieur,

« Vous m'avez fait l'honneur, il y a quelques semaines, de me recevoir chez vous, ainsi que mon ami, M. de SaintLaumer ; en vous apportant une lettre d'Abou-Gosch, nous venions vous dire combien on trouvait de nouveaux mérites à votre Itinéraire en le lisant sur les lieux, et comme on appréciait jusqu'à son titre même, tout humble et tout modeste que vous l'ayez choisi, en le voyant justifié à chaque pas par l'exactitude scrupuleuse des descriptions, fidèles encore aujourd'hui, sauf quelques ruines de plus ou de moins, seul changement de ces contrées, etc.

<< Rue Caumartin, 23. »

<< JULES FOLEntlot.

Mon exactitude tient à mon bon sens vulgaire; je suis de la race des Celtes et des tortues, race pédestre; non du sang des Tartares et des oiseaux, races pourvues de chevaux et d'ailes. La Religion, il est vrai, me ravit quelquefois dans ses bras; mais quand elle me remet à terre, je chemine, appuyé sur mon bâton, me reposant aux bornes pour déjeuner de mon olive et de mon pain bis. « Si je suis moult allé en bois, comme font volontiers les François, » je n'ai cependant jamais aimé le changement pour le changement; la route m'ennuie ; j'aime seulement le voyage à cause de l'indépendance qu'il me donne, comme j'incline vers la campagne, non pour la compagne, mais pour la solitude.

<< Tout ciel m'est un, dit Montaigne, vivons entre les nôtres, allons mourir et rechigner entre les inconnus. »

Il me reste aussi de ces pays d'Orient quelques autres lettres, parvenues à leur adresse plusieurs mois après leur

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