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Bonaparte, parvenu à Witepsk, eut un moment l'idée de s'y arrêter. Rentrant à son quartier général, après avoir vu Barclay se retirer encore, il jeta son épée sur des cartes, et s'écria :

Je m'arrête ici! ma campagne de 1812 est finie: celle de 1815 fera le reste.

Heureux s'il eût tenu à cette résolution que tous ses généraux lui conseillaient! Il s'était flatté de recevoir de nouvelles propositions de paix. Ne voyant rien venir, il s'ennuya; il n'était qu'à vingt journées de Moscou.

-Moscou, la ville sainte ! répétait-il.

Son regard devenait étincelant, son air farouche. L'ordre de partir est donné. On lui fait des observations; il les dédaigne; Daru, interrogé, lui répond « qu'il ne conçoit ni le but ni la nécessité d'une pareille guerre. » L'empereur réplique :

Me prend-on pour un insensé? Pense-t-on que je fais la guerre par goût?

Ne lui avait-on pas entendu dire à lui (empereur): « que la guerre d'Espagne et celle de Russie étaient deux chancres qui rongeaient la France? »

Mais pour faire la paix il fallait être deux, et l'on ne recevait pas une seule lettre d'Alexandre.

Et ces chancres, de qui venaient-ils? Ces inconséquences passent inaperçues et se changent même au besoin en preuves de la candide sincérité de Napoléon.

Bonaparte se croyait dégradé s'il s'arrêtait dans une faute qu'il reconnaît. Ses soldats se plaignent de ne plus le voir qu'aux moments des combats, toujours pour les faire mourir, jamais pour les faire vivre : il est sourd à ces plaintes. La nouvelle de la paix entre les Russes et les Tures le frappe et ne le retient pas il se précipite à Smolensk. Les proclamations des Russes disaient :

« Il vient (Napoléon), la trahison dans le cœur et la loyauté sur les lèvres, il vient nous enchaîner avec ses légions d'esclaves. Portons la croix dans nos cœurs et le fer dans nos mains; arrachons les dents à ce lion; renversons le tyran qui renverse la terre. »

Sur les hauteurs de Smolensk, Napoléon retrouve l'armée russe, composée de cent vingt mille hommes.

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Le 17, au point du jour, Belliard poursuit une bande de Cosaques et la jette dans le Dniéper; le rideau replié, on aperçoit l'armée ennemie sur la route de Moscou; elle se retirait. Le rêve de Bonaparte lui échappe encore. Murat, qui avait trop contribué à la vaine poursuite, dans son désespoir voulait mourir. Il refusait de quitter une de nos batteries écrasée par le feu de la citadelle de Smolensk non encore évacuée :

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Retirez-vous tous; laissez-moi seul ici! s'écriait-il.

Une attaque effroyable avait lieu contre cette citadelle: rangée sur des hauteurs qui s'élèvent en amphithéâtre, notre armée contemplait le combat au-dessous : quand elle vit les assaillants s'élancer à travers le feu et la mitraille, elle battit des mains comme elle avait fait à l'aspect des ruines de Thèbes.

Pendant la nuit un incendie attire les regards. Un sousofficier de Davoust escalade les murs, parvient dans la citadelle au milieu de la fumée; le son de quelques voix lointaines arrive à son oreille : le pistolet à la main, il se dirige de ce côté, et, à son grand étonnement, il tombe dans une patrouille d'amis. Les Russes avaient abandonné la ville, ct les Polonais de Poniatowski l'avaient occupée.

Murat, par son costume extraordinaire, par le caractère de sa vaillance qui ressemblait à la leur, excitait l'enthou

siasme des Cosaques. Un jour qu'il faisait sur leurs bandes une charge furieuse, il s'emporte contre elles, les gourmande et leur commande : les Cosaques ne comprennent pas, mais ils devinent, tournent bride et obéissent à l'ordre du général ennemi.

Lorsque nous vîmes à Paris l'hetman Platoff, nous ignorions ses afflictions paternelles : en 1812 il avait un fils beau comme l'Orient; ce fils montait un superbe cheval blanc de l'Ukraine; le guerrier de dix-sept ans combattait avec l'intrépidité de l'âge qui fleurit et espère: un hulan polonais le tua. Étendu sur une peau d'ours, les Cosaques vinrent respectueusement baiser sa main. Ils prononcent des prières funèbres, l'enterrent sur une butte couverte de pins ; ensuite, tenant en main leurs chevaux, ils défilent autour de la tombe, la pointe de leur lance renversée contre terre : on croyait voir les funérailles décrites par l'historien des Goths, ou les cohortes prétoriennes renversant leurs faisceaux devant les cendres de Germanicus, versi fasces.

«Levent fait tomber les flocons de neige que le printemps du Nord porte dans ses cheveux. » (Edda de Sæmund.)

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Bonaparte écrivit de Smolensk en France qu'il était maître des salines russes et que son ministre du trésor pouvait compter sur quatre-vingts millions de plus.

La Russie fuyait vers le pôle : les seigneurs, désertant leurs châteaux de bois, s'en allaient avec leurs familles, leurs scrfs et leurs troupeaux. Le Dniéper, ou l'ancien Borysthène, dont les eaux avaient jadis été déclarées saintes par Wladimir, était franchi: ce fleuve avait envoyé aux peuples civilisés des invasions de barbares; il subissait maintenant les invasions des peuples civilisés. Sauvage déguisé sous un nom grec, il ne se rappelait même plus les premières migrations des Slaves; il continuait de couler inconnu, parmi ses forêts, portant dans ses barques, au lieu des enfants d'Odin, des châles et des parfums aux femmes de Saint-Pétersbourg et de Varsovie. Son histoire pour le monde ne commence qu'à l'orient des montagnes où sont les autels d'Alexandre.

De Smolensk on pouvait également conduire une armée à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Smolensk aurait dû avertir le vainqueur de s'arrêter; il en eut un moment l'envie : «L'empereur, dit M. Fain, découragé, parla du projet de s'arrêter à Smolensk. »

Aux ambulances on commençait déjà à manquer de tout. Le général Gourgaud raconte que le général Lariboissière fut obligé de délivrer l'étoupe de ses canons pour panser les blessés. Mais Bonaparte était entraîné; il se délectait à contempler aux deux bouts de l'Europe les deux aurores qui éclairaient ses armées dans des plaincs brûlantes et sur des plateaux glacés.

Roland, dans son cercle étroit de chevalerie, courait après Angélique; les conquérants de première race poursuivent une plus haute souveraine: point de repos pour eux qu'ils n'aient pressé dans leurs bras cette divinité couronnée de tours, épouse du Temps, fille du Ciel et mère des dieux. Possédé de sa propre existence, Bonaparte avait tout réduit à sa personne; Napoléon s'était emparé de

Napoléon; il n'y avait plus que lui en lui. Jusqu'alors il n'avait exploré que des lieux célèbres; maintenant il parcourait une voie sans nom, le long de laquelle Pierre avait à peine ébauché les villes futures d'un empire qui ne comptait pas un siècle. Si les exemples instruisaient, Bonaparte aurait pu s'inquiéter au souvenir de Charles XII qui traversa Smolensk en cherchant Moscou. A Kolodrina il y eut une affaire meurtrière: on avait enterré à la hâte les cadavres des Français, de sorte que Napoléon ne put juger de la grandeur de sa perte. A Dorogobouj, rencontre d'un Russe avec une barbe éblouissante de blancheur descendant sur sa poitrine: trop vieux pour suivre sa famille, resté seul à son foyer, il avait vu les prodiges de la fin du règne de Pierre le Grand, et il assistait, dans une silencieuse indignation, à la dévastation de son pays.

Une suite de batailles présentées et refusées amenèrent les Français sur le champ de la Moskowa. A chaque bivac, l'empereur allait discutant avec ses généraux, écoutant leurs contentions, tandis qu'il était assis sur des branches de sapin ou se jouait avec quelque boulet russe qu'il poussait du pied.

Barclay, pasteur de Livonie, et puis général, était l'auteur de ce système de retraite qui laissait à l'automne le temps de le rejoindre : une intrigue de cour le renversa. Le vieux Kutuzoff, battu à Austerlitz parce qu'on n'avait pas suivi son opinion, laquelle était de refuser le combat jusqu'à l'arrivée du prince Charles, remplaça Barclay. Les Russes voyaient dans Kutuzoff un général de leur nation, l'élève de Suwaroff, le vainqueur du grand vizir en 1811, et l'auteur de la paix avec la Porte, alors si nécessaire à la Russie. Sur ces entrefaites, un officier moscovite se présente aux avant-postes de Davoust; il n'était chargé que de propositions vagues; sa mission réelle semblait être de regar

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