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les Hollandais n'entraient au Japon qu'en marchant sur la croix. L'on sait la ridicule histoire de ce comte d'Anjou, Foulques Nerra, qui avait tant à expier, et qui alla tant de fois à Jérusalem. Condamné par les infidèles à salir le saint tombeau, il trouva moyen de verser au lieu d'urine un vin précieux (1). Il revint à pied de Jérusalem et mourut de fatigue à Metz.

Mais les fatigues et les outrages ne les rebutaient pas. Ces hommes si fiers, qui pour un mot auraient fait couler dans leur pays des torrens de sang, se soumettaient pieusement à toutes les bassesses qu'il plaisait aux Sarrasins d'exiger. Le duc de Normandie, les comtes de Barcelonne, de Flandre, de Verdun, accomplirent dans le onzième siècle ce rude pélerinage. L'empressement augmentait avec le péril; seulement les pèlerins se mettaient en plus grandes troupes. En 1954, l'évêque de Cambrai tenta le voyage avec trois mille Flamands et ne put arriver. Treize ans après, les évêques de Mayence, de Ratisbonne, de Bamberg et d'Utrecht. s'associèrent à quelques chevaliers normands, et formèrent une petite armée de sept mille hom

(1) Gesta consulum Andegav., ap. Scr. fr. X, 256: Deludendo dixerunt nullo modo ad Sepulcrum optatum pervenire posse, nisi super illud mingeret.... Quod vir prudens, licet invitus, annuit. Quæsita igitur arietis vesicâ, purgatâ atque mundatâ, et optimo vino albo repletâ ; quin etiam aptè inter ejus femora posita est, et coNes discalciatus.... accessit, vinumque super Sepulcrum fadit,

mes (1). Ils parvinrent à grand'peine, et deux mille tout au plus revirent l'Europe. Cependant les Turcs, maitres de Bagdad et partisans de son calife, s'étant emparés de Jérusalem, y massacrèrent indistinctement tous les partisans de l'incarnation, Alides et Chrétiens. L'empire grec, resserré chaque jour, vit leur cavalerie pousser jusqu'au Bosphore, en face de Constantinople (2). D'autre part les fatemites tremblaient derrière les remparts de Damiette et du Caire. Ils s'adressèrent, comme les Grecs, aux princes de l'Occident. Alexis Comnène était déjà lié avec le comte de Flandre qu'il avait accueilli magnifiquement à son passage; ses ambassadeurs célébraient avec le génie hableur des Grecs les richesses de l'Orient, les empires, les royaumes qu'on pouvait y conquérir; les lâches allaient jusqu'à vanter la beauté de leurs filles et de leurs femmes (3), et semblaient les promettre aux occidentaux.

Tous ces motifs n'auraient pas suffi pour émouvoir le peuple et lui communiquer cet ébranlement profond qui les porta vers l'Orient. Il y avait déjà long-temps qu'on lui parlait de guerres saintes. La vie de l'Espagne n'était qu'une

(1) Ingulfus, ap. Gibbon, XI, 258. Additamenta Sigiberto Cemblac, ap. Scr. fr. XI, 638. Baron. annal. eccles,, ad ann. 1064. (2) Gibbon, IX, 228.

(3) Guibert. Noyig., I. I, c. 4, ap. Bongars, p. 476: Infert denique (Imperator) ut videlicet « præter hæc universâ pulcherrimarum feminarum voluptate trahantur. »

croisade; chaque jour on apprenait quelque victoire du Cid, la prise de Tolède ou de Valence, bien autrement importantes que Jérusalem. Les Génois, les Pisans, conquérans de la Sardaigne et de la Corse, ne poursuivaient-ils pas la croisade depuis un siècle? Lorsque Sylvestre II écrivit sa fameuse lettre au nom de Jérusalem, les Pisans armèrent une flotte, débarquèrent en Afrique, et y massacrèrent, dit-on, cent mille Maures (1). Toutefois, l'on sentait bien que la religion était pour peu de chose dans tout cela. Le danger animait les Espagnols, l'intérêt les Italiens. Ces derniers imaginèrent plus tard de couper court à toute croisade de Jérusalem, de détourner et d'attirer chez eux tout l'or que les pèlerins portaient dans l'Orient; ils chargèrent leurs galères de terre prise en Judée, rapprochèrent ce qu'on allait chercher si loin, et se firent une Terre-Sainte dans le Campo-Santo de Pise.

Mais on ne pouvait donner ainsi le change à la conscience religieuse du peuple, ni le détourner du saint tombeau. Dans les extrêmes misères du moyen-âge, les hommes conservaient les larmes pour les misères de Jérusalem. Cette grande voix qui, en l'an mil, les avait menacés de la fin du monde, se fit entendre encore, et leur dit d'aller en Palestine pour s'acquitter du répit que Dieu

(1) Michaud, Histoire des Croisades, t. I. Gerbert, ap. Ser. fr. X, 426.

Voy. la lettre de

leur donnait. Le bruit courait que la puissance des Sarrasins avait atteint son terme. Il ne s'agissait que d'aller devant soi par la grande route que Charlemagne avait, disait-on, frayée autrefois (1), de marcher sans se lasser vers le oleil levant, de recueillir la dépouille toute prête, de ramasser la bonne manne de Dieu. Plus de misère ni de servage; la délivrance était arrivée. Il y en avait assez dans l'Orient pour les faire tous riches. D'armes, de vivres, de vaisseaux, il n'en était besoin; c'eût été tenter Dieu. Ils déclarèrent qu'ils auraient pour guides les plus simples des créatures, une oie et une chèvre (2). Pieuse et touchante confiance de l'humanité enfant!

Un Picard, qu'on nommait trivialement Coucou Piètre (Pierre Capuchon, ou Pierre l'Hermite, à Cucullo), contribua, dit-on, puissamment par son éloquence à ce grand mouvement du peuple (3).

(1) Per viam quam jamdudum Carolus Magnus, mirificus Francorum rex, aptari fecit usque Constantinopolim. Anonymi gesta Franc. Hierosolym., ap. Bongars, p. 1. Robert. Monach., p. 33. — Des prophètes annonçaient que Charlemagne viendrait lui-même commander la croisade.

(2) Albert. Aquens., 1. I, c.31. Ancerem quemdam divino spiritu asserebant afflatum, et capellam non minùs eodem repletam; et hos sibi duces fecerant. C'est ainsi que les' Sabins descendirent de leurs montagnes sous la conduite d'un loup, d'un pic et d'un bœuf; qu'une vache mena Cadmus en Béotie, etc.

(3) Guibert. Nov., 1. II, c. 8 : « le petit peuple, dénué de ressources, mais fort nombreux, s'attacha à un certain Pierre l'Hermite, et lui obéit comme à son maître, du moins tant que les choses se passèrent dans notre pays. J'ai découvert que cet homme, originaire, si je ne me trompe, de la ville d'Amiens, avait mené d'abord une

Au retour d'un pélerinage à Jérusalem, il décida le pape français Urbain II à prêcher la croisade à Plaisance, puis à Clermont [1095] (1). La prédication fut à peu près inutile en Italie; en France tout le monde s'arma. Il y eut au concile de Clermont quatre cents évêques ou abbés mitrés. Ce fut le triomphe de l'église et du peuple. Les deux plus grands noms de la terre, l'empereur et le roi de France, y furent condamnés, aussi bien que les Turcs, et la querelle des investitures mêlée à

vie solitaire sous l'habit de moine, dans je ne sais quelle partie de la Gaule supérieure. Il partit de là, j'ignore par quelle inspiration; mais nous le vimes alors parcourant les villes et les bourgs, et pré chant partout; le peuple l'entourait en foule, l'accablait de présens, et célébrait sa sainteté par de si grands éloges, que je ne me souviens pas que l'on ait jamais rendu à personne de pareils honneurs. Il se montrait fort généreux dans la distribution de toutes les choses qui lui étaient données. Il ramenait à leurs maris les femmes prostituées, non sans y ajouter lui-même des dons, et rétablissait la paix et la bonne intelligence entre ceux qui étaient désunis, avec une merveilleuse austérité. En tout ce qu'il faisait ou disait, il semblait qu'il y eût en lui quelque chose de divin; en sorte qu'on allait jusqu'à arracher les poils de son mulet, pour les garder comme reliques : ce que je rapporte ici, non comme louable, mais pour le vulgaire qui aime toutes les choses extraordinaires. Il ne portait qu'une tunique de laine, et par dessus, un manteau de bure qui lui descendait jusqu'aux talons; il avait les bras et les pieds nus, ne mangeait point ou presque point de pain, et se nourrissait de vin et de poissons. »

(1) Souvenez-vous encore, dit-il, de ces paroles de Dieu méme qui a dit à l'Eglise : « J'amènerai vos enfans de l'Orient, et je vous rassemblerai de l'Occident. » Dieu a amené vos enfans de l'Orient, puisque ce pays de l'Orient a doublement produit les premiers principes de notre Eglise, et il les rassemble de l'Occident, en réparant les maux de Jérusalem par les bras de ceux qui ont reçu les derniers les enseignemens de la foi, c'est-à-dire, par les Occidentaux. Id., 1. II, c.

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