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Le midi et les pays vineux n'ont pas, comme l'on voit, le privilége de l'éloquence. La Picardie vaut la Bourgogne : ici il y a du vin dans le cœur. On peut dire qu'en avançant du centre à la frontière belge, le sang s'anime, et que la chaleur augmente vers le nord (1). La plupart de nos grands artistes, Claude Lorrain, le Poussin, Lesueur (2), Goujon, Cousin, Mansart, Lenôtre, David, appartiennent aux provinces septentrionales ; et si nous passons la Belgique, si nous regardons cette petite France de Liége, isolée au milieu de la langue étrangère, nous y trouvons notre Grétry (3).

Pour le centre du centre, Paris, l'Ile-de-Franee, il n'est qu'une manière de les faire connaitre, c'est de raconter l'histoire de la monarchie. On

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(1) J'en dis autant de l'Artois qui a produit tant de mystiques; Arras est la patrie de l'abbé Prévost. Le Boulonnais a donné en un même homme, un grand poète et un grand critique; je parle de notre Sainte-Beuve. (2) Claude le Lorrain, né à Chamagne en Lorraine, en 1600, mort en 1682. Poussin, originaire de Soissons, né aux Andelys en 1594, mort en 1665. — Lesueur, né à Paris en 1617, mort en 1655. Jean Cousin, fondateur de l'École française, né à Soucy près Sens, vers 1501. Jean Goujon, né à Paris, mort en 1572. Germain Pilon, né à Loué, à six lieues du Mans, mort à la fin du seizième siècle. Pierre Lescot, l'architecte, à qui l'on doit la fontaine des Innocens, né à Paris en 1510, mort en 1571. - Callot, ce rapide et spirituel artiste, qui grava quatorze cents planches, né à Nancy en 1593, mort en 1635. Mansart, l'architecte de Versailles et des Invalides, né à Paris en 1645, mort en 1708. Lenôtre, né à Paris en 1613, mort en 1700, etc.

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(3) Né en 1741, mort en 1813. C'est une grande et curieuse originalité que celle de Liége. Quand aura-t-elle un historien ?

les caractériserait mal en citant quelques noms propres ; ils ont donné l'esprit national; ils ne sont pas un pays, mais le résumé du pays. La féodalité même de l'Ile-de-France exprime des rapports généraux. Dire les Montfort, c'est dire Jérusalem, la croisade du Languedoc, les communes de France et d'Angleterre et les guerres de Bretagne; dire les Montmorency, c'est-à-dire la féodalité rattachée au pouvoir royal, d'un génie médiocre, loyal et dévoué. Quant aux écrivains si nombreux, qui sont nés à Paris, ils doivent beaucoup aux provinces dont leurs parens sont sortis, ils appartiennent surtout à l'esprit universel de la France qui rayonna en eux. En Villon, en Boileau, en Molière et Régnard, en Voltaire, on sent ce qu'il y a de plus général dans le génie français; ou si l'on veut y chercher quelque chosc de local, on y distinguera tout au plus un reste de cette vieille sève d'esprit bourgeois, esprit moyen, moins éteudu que judicieux, critique et moqueur, qui se forma d'abord de bonne humeur gauloise et d'amertume parlementaire entre le parvis Notre-Dame et les degrés de la Sainte-Chapelle.

Mais ce caractère indigène et particulier est encore secondaire : le général domine. Qui dit Paris, dit la monarchie toute entière. Comment s'est formé en une ville ce grand et complet symbole du pays ? Il faudrait toute l'histoire du pays pour l'expliquer : la description de Paris en se

rait le dernier chapitre. Le génie parisien est la forme la plus complexe à la fois et la plus haute de la France. Il semblerait qu'une chose qui résultait de l'annihilation de tout esprit local, de toute provincialité, dût être purement négative. Il n'en est pas ainsi. De toutes ces négations d'idées matérielles, locales, particulières, résulte une généralité vivante, une chose positive, une force vive. Nous l'avons vu en Juillet.

C'est un grand et merveilleux spectacle de promener ses regards du centre aux extrémités, et d'embrasser de l'œil ce vaste et puissant organisme, où les parties diverses sont si habilement rapprochées, opposées, associées, le faible au fort, le négatif au positif, de voir l'éloquente et vineuse Bourgogne entre l'ironique naïveté de la Champagne, et l'âpreté critique, polémique, guerrière de la Franche-Comté et de la Lorraine; de voir le fanatisme languedocien entre la légèreté provençale et l'indifférence gasconne; de voir la convoitise, l'esprit conquérant de la Normandie contenus entre la résistante Bretagne et l'épaisse et massive Flandre.

Considérée en longitude, la France ondule en deux longs systèmes organiques, comme le corps humain est double d'appareil, gastrique et cérébrospinal. D'une part, les provinces de Normandie, Bretagne et Poitou, Auvergne et Guyenne, de l'autre, celles de Languedoc et Provence, Bourgogne et Champagne, enfin celles de Picardie et

de Flandre, où les deux systèmes se rattachent. Paris est le sensorium.

La force et la beauté de l'ensemble consistent dans la réciprocité des secours, dans la solidarité des parties, dans la distribution des fonctions, dans la division du travail social. La force résistante et guerrière, la vertu d'action est aux extrémités, l'intelligence au centre; le centre se sait lui-même et sait tout le reste. Les provinces frontières, coopérant plus directement à la défense, gardent les traditions militaires, continuent l'héroïsme barbare, et renouvellent sans cesse d'une population énergique le centre énervé par le froissement rapide de la rotation sociale. Le centre, abrité de la guerre, pense, innove dans l'industrie, dans la science, dans la politique; il transforme tout ce qu'il reçoit. Il boit la vie brute, ́et elle se transfigure. Les provinces se regardent en lui; en lui elles s'aiment et s'admirent sous une forme supérieure; elles se reconnaissent à peine :

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Cette belle centralisation, par quoi la France est la France, elle attriste au premier coup-d'œil. La vie est au centre, aux extrémités, l'intermédiaire est faible et pâle. Entre la riche banlieue de Paris et la riche Flandre, vous traversez la vieille et triste Picardie; c'est le sort des provinces cen

tralisées qui ne sont pas le centre même. Il semble que cette attraction puissante les ait affaiblies, atténuées. Elles le regardent uniquement, ce centre, elles ne sont grandes que par lui. Mais plus grandes sont-elles par cette préoccupation de l'intérêt central, que les provinces excentriques ne peuvent l'être par l'originalité qu'elles conservent. La Picardie centralisée a donné Condorcet, Foy, Béranger, et bien d'autres, dans les temps modernes. La riche Flandre, la riche Alsace, ontelles eu de nos jours des noms comparables à leur opposer ? Dans la France, la première gloire est d'être Français. Les extrémités sont opulentes, fortes, héroïques, mais souvent elles ont des intérêts différens de l'intérêt national; elles sont moins françaises. La Convention eut à vaincre le fédéralisme provincial, avant de vaincre l'Europe. Le carlisme est fort à Lille, à Marseille. Bordeaux est français, sans doute, mais tout autant colonial, américain, anglais; il faut qu'il transporte des sucres, qu'il place ses vins.

C'est néanmoins une des grandeurs de la France, que sur toutes ses frontières elle ait des provinces qui mêlent au génie national quelque chose du génie étranger. A l'Allemagne, elle oppose une France allemande, à l'Espagne une France espagnole, à l'Italie une France italienne. Entre ces provinces et les pays voisins, il y a analogie et néanmoins opposition. On sait que les nuances diverses s'accordent souvent moins que les couleurs

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