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Les nobles, ainsi que les prêtres, sont chers à la Bretagne, à la Vendée, comme défenseurs des idées, des habitudes anciennes. La noblesse innombrable et pauvre de la Bretagne était plus rapprochée du laboureur. Il y avait là aussi quelque chose des habitudes de clan. Une foule de familles de paysans se regardaient comme nobles; quelquesuns se croyaient descendus d'Arthur ou de la fée Morgane, et plantaient, dit-on, des épées pour limites à leurs champs. Ils s'asseyaient et se couvraient devant leur seigneur en signe d'indépendance. Dans plusieurs parties de la province, le servage était inconnu: les domaniers et quevaisiers, quelque dure que fut leur condition, étaient libres de leur corps, si leur terre était serve. Devant le plus fier des Rohan (1), ils se seraient redressés en disant, comme ils font, d'un ton si grave: Me zo deuzar armoriq ; et moi aussi, je suis Breton. Un mot profond vient d'être dit sur la Vendée, et il s'applique aussi à la Bretagne: Ces populations sont au fond républicaines (2) ; républicanisme social, non politique.

Ne nous étonnons pas que cette race celtique, la plus obstinée de l'ancien monde, ait fait quel

(1) On connaît les prétentions de cette famille descendue des MacTiern de Léon. Au seizième siècle, ils avaient pris cette devise qui résume leur histoire : « Roi, je ne suis, prince ne daigne, Rohan je suis. »

(2) Témoignage de M. le capitaine Gallaran, à la Cour d'assises de Nantes, octobre 1832.

ques efforts dans les derniers temps pour prolon ger encore sa nationalité; elle l'a défendue de même au moyen-âge. Pour que l'Anjou prévalût au douzième siècle sur la Bretagne, il a fallu que les Plantagenets devinssent, par deux mariages, rois d'Angleterre et ducs de Normandie et d'Aquitaine. La Bretagne, pour leur échapper, s'est donnée à la France; mais il a fallu encore un siècle de guerre entre les partis français et anglais, entre les Blois et les Montfort. Quand le mariage d'Anne avec Louis XII eut réuni la province au royaume, quand Anne eut écrit sur le château de Nantes (1) la vieille devise du château des Bourbons (Qui qu'en grogne, tel est mon plaisir), alors commença la lutte légale des Etats, du parlement de Rennes, sa défense du droit coutumier contre le droit romain, la guerre des priviléges provinciaux contre la centralisation monarchique. Comprimée durement par Louis XIV (2), la résistance recommença sous Louis XV, et La Chalotais, dans un cachot de Brest, écrivit avec un curedent son courageux factum contre les jésui

tes.

Aujourd'hui la résistance expire, la Bretagne devient peu à peu toute France. Le vieil idiôme,

(1) Daru, Histoire de Bretagne, t. II.

(2) Voy. les Lettres de Mme de Sévigné, 1675, de septembre en décembre. Il y eut un très grand nombre d'hommes roués, pendus, envoyés aux galères. Elle en parle avec une légèreté qui fait mal.

miné par l'infiltration continuelle de la langue française, recule peu à peu (1). Le génie de l'improvisation poétique, qui a subsisté si long-temps chez les Celtes d'Irlande et d'Écosse, qui, chez nos Bretons même, n'est pas tout-à-fait éteint, devient pourtant une singularité rare. Jadis, aux demandes de mariage, le bazvalan (2) chantait un couplet de sa composition; la jeune fille répondait quelques vers; aujourd'hui ce sont des formules apprises par cœur qu'ils débitent (3). Les essais, plus hardis qu'heureux des Bretons qui ont essayé de raviver, par la science, la nationalité de leur pays, n'ont été accueillis que par la risée. Moi-même j'ai vu à T*** le savant ami de Le Brigand, le vieux M. D*** (qu'ils ne connaissent que sous le nom de M. Système). Au milieu de cinq ou six mille volumes dépareillés, le pauvre vieillard, seul, couché sur une chaise sé

(1) Selon M. de Romieu, sous-préfet de Quimperlé, on peut mesurer combien de lieues la langue bretonne perd dans un certain nombre d'années. Voy. aussi les ingénieux articles qu'il a insérés dans la Revue de Paris.

(2) Le bazvalan était celui qui se chargeait de demander les filles en mariage. C'était le plus souvent un tailleur, qui se présentait avec un bas bleu et un blanc.

(3) Ces faits, et plusieurs autres, m'ont été confirmés par M. le Lédan, libraire et antiquaire distingué de Morlaix. Je dois d'autres détails de mœurs à diverses personnes du pays. J'ai consulté, entre autres Bretons, M. de R., fils d'une des familles les plus distinguées de Brest; j'ai toute confiance dans la véracité de cet héroïque jeune homme.

culaire, sans soin filial, sans famille, se mourait de la fièvre entre une grammaire irlandaise et une grammaire hébraïque. Il se ranima pour me déclamer quelques vers bretons sur un rhythme emphatique et monotone, qui, pourtant, n'était pas sans charme. Je ne pus voir, sans compassion profonde, ce représentant de la nationalité celtique, ce défenseur expirant d'une langue et d'une poésie expirantes.

Nous pouvons suivre le monde celtique le long de la Loire, jusqu'aux limites géologiques de la Bretagne, aux ardoisières d'Angers; ou bien jusqu'au grand monument druidique de Saumur, le plus important peut-être qui reste aujourd'hui; ou encore, jusqu'à Tours, la métropole ecclésiastique de la Bretagne, au moyen-âge.

Nantes est un demi Bordeaux, moins brillant et plus sage, mêlé d'opulence coloniale et de sobriété bretonne. Civilisé entre deux barbaries, commerçant entre deux guerres civiles, jeté là comme pour rompre la communication. A travers, passe la grande Loire, tourbillonnant entre la Bretagne et la Vendée; le fleuve des noyades. Quel torrent! écrivait Carrier, enivré de la poésie de son crime, quel torrent révolutionnaire que cette Loire !

C'est à Saint-Florent, au lieu même où s'élève la colonne du vendéen Bonchamps, qu'au neuvième siècle, le breton Noménoé, vainqueur des Norhmans, avait dressé sa propre statue; elle

était tournée vers l'Anjou, vers la France, qu'il regardait comme sa proie (1). Mais l'Anjou devait l'emporter. La grande féodalité dominait chez cette population plus disciplinable; la Bretagne, avec son innombrable petite noblesse, ne pouvait faire de grande guerre ni de conquête. La noire ville d'Angers porte, non-seulement dans son vaste château, et dans sa Tour du Diable, mais sur sa cathédrale même, ce caractère féodal. Cette église de Saint-Maurice est chargée, non de saints, mais de chevaliers armés de pied en cap : toutefois ses flèches boîteuses, l'une sculptée, l'autre nue, expriment suffisamment la destinée incomplète de l'Anjou. Malgré sa belle position sur le triple fleuve de la Maine, et si près de la Loire, où l'on distingue à leur couleur les eaux de quatre provinces, Angers dort aujourd'hui. C'est bien assez d'avoir quelque-temps réuni sous ses Plantagenets, l'Angleterre, la Normandie, la Bretagne et l'Aquitaine; d'avoir, plus tard, sous le bon Réné et ses fils, possédé, disputé, revendiqué du moins les trônes de Naples, d'Aragon, de Jérusalem, et de Provence, pendant que sa fille Marguerite soutenait la Rose Rouge contre la Rose Blanche et Lancastre contre York. Elles dorment aussi au murmure de la Loire, les villes de Saumur et de

(1) D. Morice, Preuves de l'histoire de Bretagne, t. I, p. 278. Charles-le-Chauve, à son tour, s'en fit élever une en regard de la Breta

gne.

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