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poésie d'un Dieu enfermé dans un pain, l'esprit dans la matière, l'infini dans l'atôme. Les anciens pères avaient entrevu cette doctrine, mais le temps n'était pas venu. Ce ne fut qu'au neuvième siècle, à la veille des dernières épreuves de l'invasion barbare, que Dieu daigna descendre pour confirmer le genre humain dans ses extrêmes misères, et se laisser voir, toucher et goûter. L'église irlandaise eut beau réclamer au nom de la logique, le dogme triomphant n'en poursuivit pas moins sa route à travers le moyen-âge.

un

La question de la liberté fut l'occasion d'une plus vive controverse. Un moine allemand, saxon (1), Gotteschalk (gloire de Dieu ) avait professé la doctrine de la prédestination, ce fatalisme religieux qui immole la liberté humaine à la prescience divine. Ainsi l'Allemagne acceptait l'héritage de saint Augustin; elle entrait dans la carrière du mysticisme, d'où elle n'est guère sortie depuis. Le saxon Gotteschalk présageait le saxon Luther. Comme Luther, Gotteschalk alla à Rome, et n'en revint pas plus docile; comme lui, il fit annuler ses vœux monastiques.

Réfugié dans la France du nord, il y fut mal reçu. Les doctrines allemandes ne pouvaient être bien accueillies dans un pays qui se séparait de

(1) Voy. sur cette affaire les textes qu'a réunis Gieseler, Kirchengeschichte, II, 101, sqq. Dans sa profession de foi, Gotteschalk demanda à prouver sa doctrine en passant par quatre tonneaux d'eau bouillante, d'huile, de poix, et en traversant un grand feu.

l'Allemagne. Contre le nouveau prédestinianisme s'éleva un nouveau Pélage.

D'abord l'aquitain Hincmar, archevêque de Reims, réclama en faveur du libre arbitre et de la morale en péril. Violent et tyrannique défenseur de la liberté, il fit saisir Gotteschalk qui s'était refugié dans son diocèse, le fit juger par un concile, condamner, fustiger, enfermer. Mais Lyon, toujours mystique, et d'ailleurs rivale de Reims sur laquelle elle eût voulu faire valoir son titre de métropole des Gaules, Lyon prit parti pour Gotteschalk. Des hommes éminens dans l'église des Gaules, Prudence, évêque de Troyes, Loup, abbé de Ferrières, Ratramne, moine de Corbie, que Gotteschalk appelait son maître, essayèrent de le justifier en interprétant ses paroles d'une manière favorable. Il y eut des saints contre des saints, des conciles contre des conciles. Hincmar, qui n'avait pas prévu cet orage, demanda d'abord le secours du savant Raban, abbé de Fulde (1), chez lequel Gottes

(1) Selon quelques-uns, Raban et son maître Alcuin, auraient été Scots. Low, p. 404.

Guillaume de Malmesbury rapporte l'anecdote suivante (traduction de Guizot) : « Jean était assis à table en face du roi, et de l'autre côté de la table. Les mets ayant disparu, et comme les coupes circulaient, Charles, le front gai, et après quelques autres plaisanteries, voyant Jean faire quelque chose qui choquait la politesse gauloise, le tança doucement en lui disant: Quelle distance y a-t-il entre un sot et un scot? (Quid distai inter sottum et scotum?) Rien que la table, répondit Jean, renvoyant l'injure à son au

teur. »

chalk avait été moine, et qui le premier avait dénoncé ses erreurs. Raban hésitant, Hincmar s'adressa à un Irlandais qui avait combattu Pascase Ratbert sur la question de l'Eucharistie, et qui était alors en grand crédit près de Charles-leChauve. L'Irlande était toujours l'école de l'Occident, la mère des moines, et comme on disait, l'île des Saints. Son influence sur le continent avait diminué, il est vrai, depuis que les Carlovingiens avaient partout fait prévaloir la règle de saint Benoît sur celle de saint Colomban. Cependant, sous Charlemagne même, l'école du Palais avait été confiée à l'irlandais Clément; avec lui étaient venus Dungal et saint Virgile. Sous Charles-le-Chauve, les Irlandais furent mieux accueillis encore. Ce prince, ami des lettres, comme sa mère Judith, confia l'école du Palais à Jeanl'irlandais (autrement dit le Scot, ou l'Érigène). Il assistait à ses leçons, et lui accordait le privilége d'une extrême familiarité. On ne disait plus l'École du Palais, mais le Palais de l'École.

Ce Jean, qui savait le grec et peut-être l'hébreu, était célèbre alors pour avoir traduit, à la prière de Charles-le-Chauve, les écrits de Denis l'aréopagite, dont l'empereur de Constantinople venait d'envoyer le manuscrit en présent au roi de France. On s'imaginait que ces écrits, dont l'objet est la conciliation du néoplatonisme Alexandrin avec le christianisme, étaient l'ouvrage de

Denis l'aréopagite dont parle saint Paul, et l'on se plaisait à confondre ce Denis avec l'apôtre de la Gaule.

L'Irlandais fit ce que demandait Hincmar. Il écrivit contre Gotteschalk en faveur de la liberté; mais il ne resta pas dans les limites où l'archevêque de Reims eût voulu sans doute le retenir. Comme Pélage, dont il relève, comme Origène, leur maître commun, il attesta moins l'autorité que la raison elle-même; il admit la foi, mais comme commencement de la science. Pour lui, l'écriture est simplement un texte livré à l'interprétation; la religion et la philosophie sont le même mot. Il est vrai qu'il ne défendait la liberté contre le prédestinianisme de Gotteschalk que pour l'absorber et la perdre dans le panthéisme Alexandrin. Toutefois, 1 violence avec laquelle Rome attaqua Jean-le-Scot, prouve assez combien sa doctrine effraya l'autorité. Disciple du breton Pélage, prédécesseur du breton Abailard, cet Irlandais marque à la fois la renaissance de la philosophie et la rénovation du libre gé nie celtique contre le mysticisme de l'Allemagne.

Au même moment où la philosophie essayait ainsi de s'affranchir du despotisme théologique, le gouvernement temporel des évêques était convaincu d'impuissance. La France leur échappait; elle avait besoin de mains plus fortes et plus guerrières, pour la défendre des nouvelles

invasions barbares. A peine débarrassée des Allemands qui l'avaient si long-temps gouvernée, elle se trouvait faible, inhabile, administrée, défendue par des prêtres; et cependant arrivaient par tous ses fleuves, par tous ses rivages, d'autres Germains, bien autrement sauvages que ceux dont elle était délivrée.

Les incursions de ces brigands du nord (Northmen), étaient fort différentes des grandes migrations germaniques qui avaient eu lieu du quatrième au sixième siècle. Les Barbares de cette première époque, qui occupèrent la rive gauche du Rhin, ou qui s'établirent en Angleterre, y ont laissé leur langue. La petite colonie des saxons de Bayeux a gardé la sienne au moins cinq cents ans. Au contraire, les Northmen des neuvième et dixième siècles ont adopté la langue des peuples chez lesquels ils s'établissent. Leurs rois, Rou, de Russie et de France( Ru-Rik, Rollon), n'ont point introduit dans leur patrie nouvelle l'idiôme germanique. Cette différence essentielle entre les deux époques des invasions me porterait à croire que les premières, qui eurent lieu par terre, furent faites par des familles, par des guerriers suivis de leurs femmes et de leurs enfans; moins mêlés aux vaincus par des mariages, ils purent mieux conserver la pureté de leur race et de leur langue. Les pirates de l'époque où nous sommes parvenus, semblent avoir été le plus souvent des exilés, des bannis, qui se firent rois de la mer,

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