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d'une agonie de six semaines, pendant laquelle on délibéra sur bien des remèdes, qu'on reconnaissait, au moins tout bas, soit insuffisans, soit chimériques. Le message du Directoire fut attaqué avec autant de vigueur que si l'on avait eu le pouvoir d'en châtier l'insolence. Tronçon-Ducoudray, au Conseil des Anciens, montra, dans un tableau d'une éloquente et sombre énergie, toutes les conséquences qu'aurait pour les Directeurs conjurés, pour leurs amis et pour la République, le stupide et lâche calcul de vengeance par lequel ils soumettaient les délibérations de la puissance législative aux délibérations aveugles des armées. Daus ses pressentimens prophétiques, il voyait venir une nouvelle anarchie dont un despotisme militaire ferait la clôture. Ce discours, écouté tantôt dans un profond silence, tantôt avec un assentiment courageux, rappelait aux esprits les temps de notre histoire où de graves personnages, faussement accusés et prêts à mourir, ajournaient au tribunal de Dieu les juges, les pontifes ou les rois qui venaient de porter sur eux un arrêt de mort. Dans la réunion de Clichy, Jordan, Vaublanc, Pastoret, l'Émerer ne voyaient plus qu'un moyen

1797.

1797.

de salut, c'était de rendre le décret d'accu-
sation contre les Directeurs conjurés. Ils se
flattaient que ce coup hardi confondrait leur
audace, déconcerterait des mesures qui n'é- .
taient point encore tout-à-fait arrêtées, met-
trait subitement sous les armes le peuple fi-
dèle de Paris, et pourrait même prévenir
l'invasion si redoutée des armées de Sambre-
et-Meuse et d'Italie; les généraux craindraient
une destitution, et les soldats frémiraient de
s'engager dans une guerre civile. Quoique
Pichegru appuyât cet avis de toute l'autorité
de son nom et de son caracière, on n'osa se
décider à ce périlleux remède. Laisson's au
Directoire, disait-on, tout l'odieux de la vio-
lence: c'était lui en laisser recueillir tous les
fruits. On se contenta de s'occuper d'un pro-
jet de réorganisation de la garde nationale,
dont Pichegru eût été le chef. On refusait,
avec une juste défiance, tout secours d'ar-
gent aux Directeurs; mais ceux-ci ouvraient
auprès de quelques banquiers des emprunts
secrets, et se soumettaient avee reconnais-
sance à des conditions usuraires. Grâces à un
tel secours, Paris se remplissait de Jacobins
militaires que le Directoire lui-même avait
auparavant éloignés comme des complices

de Baboeuf. Augereau, nommé gouverneur 1797. de Paris et de la dix-septième division militaire, appelait, sans beaucoup de mystère, de nouveaux régimens autour de la capitale. Ces mouvemens d'armes, défendus par la constitution, étaient-ils dénoncés à la tribune, les Directeurs se faisaient un jeu d'inventer des prétextes dérisoires ou de nier l'évidence. Ce qui les servit le mieux, ce fut la perfidie du général Augereau, qui déclara répondre, sur sa tête et sur son honneur, de la sûreté des deux Conseils. Plus on le connaissait emporté, plus on fut disposé à croire à sa franchise. Mais les illusions duraient peu. Toujours il perçait quelque chose des sombres projets du Directoire. Des avis mystérieux et trop certains étaient donnés aux députés qui avaient le plus à craindre ses ressentimens ; nul ne voulut fuir avant l'événement, ni balbutier à la tribune un triste désaveu d'opinions loyales.

Les triumvirs ne voulaient point de sang cette fois. Roberspierre avait trop décrié les échafauds, pour que ceux qui ressuscitaient son despotisme pussent recourir au même genre de cruautés. Une déportation à Cayenne tran

1797. quillisait la conscience philanthropique de La Réveillère-Lépeaux. Soumettre des hommes d'un âge avancé d'abord à une détention rigoureuse, puis à un ignominieux voyage à Rochefort, puis à une navigation assez semblable à celle d'un bâtiment négrier, puis les exposer au désert brûlant et pestilentiel de Sinnamari, puis remettre entre leurs mains des instrumens aratoires, qui sous un tel climat ne sont maniés que par les nègres, c'était pour les trois Directeurs savourer à longs traits les plaisirs de la vengeance, et se ménager encore un moyen de vanter leur modération. Avec quelle tranquillité n'apprendraient-ils pas la mort successive de leurs victimes sous un autre hémisphère! Ainsi rassurés sur les effets d'une proscription qu'ils auraient presque nommée paternelle, ils n'hésitaient plus à y comprendre tous ceux des députés qu'ils pouvaient craindre. Leurs deux collègues Barthélemy et Carnot figuraient en tête de la liste fatale; ni les vertus de l'un, ni les crimes politiques de l'autre ne pouvaient leur servir de rempart. Ainsi le Directoire, dans sa brutale colère, apprenait à tout factieux que les Directeurs eux-mêmes pouvaient

être décimés. Cinq Conventionnels, coupables 1797. du vote régicide, furent transformés en royalistes sous l'encre rouge des triumvirs. A l'exemple des Marc-Antoine, des Octave, des Lépide, ils se faisaient des concessions et sacrifiaient leurs anciens amis à la haine ou aux soupçons de l'un d'eux. Ni Thibaudeau, ni le ministre Cochon-l'Apparent ne trouvait grâce à leurs yeux. Leur liste ressemblait à celle de ces jugemens du tribunal révolutionnaire qui rendaient complices d'une même conspiration des hommes non seulement étrangers les uns aux autres, mais séparés par une haine cruelle. Quelle joie pour leur vengeance de procéder ensuite à la proscription de tous les écrivains qui les avaient voués soit au ridicule, soit à la haine publique; de briser quarante-deux presses de journaux, et d'envoyer à Sinnamari, sous le nom de journalistes, des hommes qui tenaient un rang honorable dans la littérature, ou qui en faisaient l'espoir.

La Réveillère-Lépeaux, lui qui, mis hors la loi après le 31 mai, aurait dû montrer le plus d'horreur pour les proscriptions arbitraires, y poussait le plus ardemment ; il se croyait un grand homme d'état, parce qu'il se sentait

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